Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 5 septembre 2025, n°21/10735

Par un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 4-6, du 5 septembre 2025, un contentieux prud’homal opposant une infirmière et un exploitant d’EHPAD est tranché. La salariée, embauchée en juin 2018, annonce sa grossesse en août, est arrêtée en octobre, puis prend acte de la rupture en mars 2019 au regard de manquements invoqués. Elle dénonçait un défaut d’information individuelle sur un dispositif de vidéosurveillance, des retards liés aux indemnités journalières et au complément de salaire, une discrimination en raison de la grossesse et un harcèlement moral.

Le conseil de prud’hommes de Draguignan, le 12 avril 2021, avait jugé la prise d’acte démissionnaire et débouté des demandes principales. En appel, la salariée sollicite la nullité, des dommages-intérêts distincts, l’indemnité de préavis et les congés afférents, outre la remise des documents. L’employeur conclut à la confirmation et à l’allocation de frais irrépétibles.

La question posée était de savoir si les manquements établis, notamment le défaut d’information individuelle au dispositif vidéo, les retards de paiement et la dégradation alléguée en lien avec la grossesse, laissaient supposer discrimination et harcèlement, et si leur gravité empêchait la poursuite du contrat, justifiant que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul.

La cour infirme intégralement. Elle retient une atteinte à la vie privée pour défaut d’information individuelle, des retards fautifs dans la transmission des éléments à l’assurance maladie et dans le versement du complément, une discrimination liée à la grossesse, et, par combinaison, un harcèlement moral. Elle précise enfin que « Le harcèlement moral ainsi que la discrimination rendaient impossible la poursuite des relations contractuelles », requalifiant la rupture en licenciement nul, avec indemnisation spécifique et effets salariaux corrélatifs.

I. Délimitation des manquements et méthode probatoire

A. Atteinte à la vie privée et retards salariaux

La cour opère une qualification mesurée en matière de vidéosurveillance. Elle estime qu’aucune écoute ou captation sonore n’était démontrée, mais relève un défaut décisif d’information individuelle postérieurement à la mise en place du dispositif. Elle énonce ainsi que « Mais ce dernier ne justifie pas de l’information individuelle de la salariée embauchée postérieurement à la mise en place du dispositif. » La solution, circonscrite au seul manquement d’information, fonde une réparation symbolique mais ferme du préjudice d’atteinte à la vie privée.

S’agissant des retards de transmission aux organismes sociaux et du complément de salaire, la juridiction insiste sur le caractère alimentaire de la créance. Elle retient que les délais non justifiés ont causé un préjudice indemnisable et motive en ces termes: « Compte tenu de la nature alimentaire de la créance salariale, le préjudice causé à la salariée par les retards qui viennent d’être caractérisés sera réparé par l’allocation de la somme de 500 € […], étant relevé que l’employeur est personnellement responsable de la bonne exécution des contrats de prévoyance qu’il souscrit. » Cette formule rappelle utilement la responsabilité propre de l’employeur, indépendante des mécanismes assurantiels.

B. Discrimination liée à la grossesse et harcèlement moral combiné

La cour applique le régime probatoire propre à la discrimination, en confrontant les éléments avancés et les justifications opposées. Elle rejette les griefs non étayés mais retient que les retards non expliqués, survenus après l’annonce de la grossesse, laissent supposer une prise en considération illicite de cet état. Elle affirme de manière nette: « Dès lors, il apparaît qu’il a discriminé la salariée en considération de sa grossesse. » La motivation, articulée autour de l’absence de raisons objectives, illustre la logique probatoire en deux temps.

Le harcèlement moral est apprécié de façon globale, par combinaison des manquements caractérisés et d’éléments médicaux. Après avoir écarté l’existence d’un « management toxique » sur la base de pièces internes, la cour retient que l’atteinte à la vie privée et la discrimination, conjuguées au stress objectivé, emportent la qualification. Elle énonce: « Ces deux éléments, pris en combinaison avec le stress ressenti par la salariée […] caractérisent des agissements répétés de harcèlement moral […]. » La méthode confirme l’examen d’ensemble des faits matériellement établis, conformément aux textes applicables.

II. Appréciation et portée de la solution

A. Exigence probatoire et calibrage des réparations

La décision se montre rigoureuse sur la preuve des autres griefs, notamment la prétendue rétrogradation. La cour constate l’absence de précisions suffisantes sur les tâches incriminées et retient que l’affectation n’excédait pas le périmètre infirmier. Elle l’énonce sans ambiguïté: « Il n’apparaît pas que la salariée ait été affectée à des tâches ne relevant pas des soins infirmiers […]. » Cette exigence probatoire évite une dilution des qualifications et limite le contentieux aux manquements effectivement établis.

Le calibrage indemnitaire traduit un souci de proportion. Les préjudices d’atteinte à la vie privée, de discrimination et de harcèlement moral reçoivent chacun une réparation distincte et modérée, quand les retards salariaux donnent lieu à un montant ciblé au regard de leur nature. Ce fractionnement respecte la logique des préjudices autonomes, sans surcompensation, et renforce la lisibilité des fondements retenus.

B. Conséquences protectrices et lignes directrices pour l’avenir

La combinaison des qualifications a une incidence déterminante sur la rupture. En consacrant l’impossibilité de poursuite, la cour rattache la prise d’acte au régime le plus protecteur et le motive par cette formule décisive: « Le harcèlement moral ainsi que la discrimination rendaient impossible la poursuite des relations contractuelles. » La nullité emporte alors l’allocation du plancher légal, adapté à l’ancienneté, et la reconnaissance des accessoires salariaux dus.

La solution précise en outre le traitement des suites financières. La cour rappelle que « Les sommes allouées à titre salarial produiront intérêts au taux légal […] » et organise la capitalisation sous condition de délai, consolidant l’effectivité de la réparation. La remise des documents rectifiés s’impose, sans astreinte, en considération de l’autorité attachée à l’arrêt. L’ensemble trace des lignes directrices claires: information individuelle obligatoire en matière de vidéosurveillance, vigilance sur les délais de transmission et de paiement, et charge probatoire accrue lorsque la grossesse est en cause.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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