Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 5 septembre 2025, n°21/11475

Par un arrêt du 5 septembre 2025, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence statue sur la recevabilité et le bien‑fondé de demandes relatives à un harcèlement moral et à une discrimination syndicale. Le litige porte aussi sur la nullité d’un licenciement consécutif à une inaptitude prononcée après un long arrêt de travail.

Les faits tiennent à deux accidents survenus fin 2014, à une sanction disciplinaire prononcée début 2015 puis annulée par décision prud’homale en 2017, et à un avis d’inaptitude en 2018 dispensant l’employeur de toute recherche de reclassement. Le contrat a été rompu pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

La procédure a conduit le conseil de prud’hommes de Toulon, le 25 juin 2021, à débouter la salariée de l’ensemble de ses demandes, avant un appel régulier. Devant la cour, l’appelante sollicite l’indemnisation du harcèlement moral et de la discrimination, et la nullité du licenciement, à défaut sa réparation au titre d’une cause non réelle et sérieuse. L’intimée oppose principalement des fins de non‑recevoir et conteste toute faute.

La question posée est double. D’une part, déterminer si des demandes nouvelles au titre de faits se poursuivant au‑delà d’une première instance demeurent recevables malgré l’ancien principe d’unicité. D’autre part, apprécier si l’ensemble des éléments établit un harcèlement et une discrimination, et si le licenciement, lié à ces agissements, encourt la nullité. La cour admet la recevabilité, retient le harcèlement et la discrimination, et déclare la rupture nulle, avec indemnisation.

I. Recevabilité des demandes et cadre probatoire

A. L’assouplissement de l’unicité de l’instance par la persistance des faits

La cour rappelle la portée de l’article R. 1452‑6 du code du travail, applicable aux instances engagées avant août 2016, et ses tempéraments tirés d’éléments postérieurs. Elle souligne que la persistance de faits allégués après la première saisine conduit à écarter l’irrecevabilité.

Elle énonce que « La règle de l’unicité de l’instance ne s’oppose pas à l’introduction par le salarié d’une seconde instance pour les faits de harcèlement qui se poursuivent. » Ce considérant, adossé à la référence aux arrêts sociaux cités, situe l’exception dans une logique de continuité factuelle objectivée par des pièces nouvelles ou des effets prolongés.

L’application in concreto retient la poursuite des effets après la clôture de l’instance initiale, au regard notamment du suivi psychiatrique continu et des décisions intervenues en 2017. La solution de recevabilité se justifie alors par la naissance ou la révélation postérieures du fondement, sans méconnaître l’autorité de la chose jugée.

B. La méthode probatoire en matière de harcèlement et de discrimination

Le raisonnement probatoire est solidement construit. La cour adopte le schéma en deux temps, tant pour le harcèlement moral que pour la discrimination, en exigeant d’abord des éléments laissant supposer, puis la justification objective par l’employeur.

Elle précise, s’agissant du harcèlement, que « Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152‑1 du code du travail. » La formulation, classique, commande une approche globale, attentive au contexte et aux effets sur la santé.

Pour la discrimination liée aux mandats, la cour rappelle la règle de l’aménagement de la preuve, en ce sens que « lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. » L’ensemble conforte un office du juge centré sur la concordance des indices et la crédibilité des justifications.

II. Caractérisation des manquements et sanction de la rupture

A. La convergence d’indices et l’insuffisance des justifications patronales

Les éléments retenus forment un faisceau précis et concordant. Sont relevés une entrave au fonctionnement d’une instance représentative, des carences dans la prévention d’un risque identifié, une déclaration d’accident lacunaire, et un usage disproportionné du pouvoir disciplinaire finalement censuré. Les pièces médicales établissent un retentissement psychique durable.

Face à cette présomption robuste, les explications avancées par l’employeur, tenant à des difficultés d’organisation ou à un quiproquo, ne convainquent pas. Elles ne démontrent ni l’objectivité des décisions contestées, ni l’absence de toute intention discriminatoire ou de toute pression constitutive de harcèlement.

La cour en déduit que « Il est en conséquence caractérisé une situation de harcèlement moral et de discrimination. » L’énoncé, net, se place au terme d’un contrôle resserré des faits, conforme aux exigences de l’article L. 1154‑1 et à la jurisprudence sociale récente sur la charge probatoire.

B. Le lien avec l’inaptitude et la nullité du licenciement

La résolution du second pan tient au lien causal entre les agissements et la rupture. Le principe est rappelé avec clarté : « Le licenciement d’un salarié victime de harcèlement moral est nul dès lors qu’il présente un lien avec des faits de harcèlement. » La nullité procède ici d’une immixtion illicite de faits fautifs dans la genèse de l’inaptitude.

La cour retient, au vu des certificats et du suivi spécialisés, que « A l’examen des pièces médicales, le licenciement de la salariée est directement lié à son état de santé et aux faits de harcèlement moral qu’elle a subis. » Le lien est donc direct et déterminant, ce qui disqualifie la cause de rupture, pourtant présentée comme strictement médicale et indépendante.

La conséquence indemnitaire suit l’article L. 1235‑3‑1, qui écarte les plafonds de l’article L. 1235‑3 en cas de nullité. L’allocation de six mois au minimum est rappelée, et l’évaluation globale fixe une somme significative au titre de la nullité, à laquelle s’ajoutent des réparations spécifiques pour le harcèlement et la discrimination.

Cette décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle protectrice des représentants du personnel et exigeante sur la justification patronale. Elle confirme l’effectivité du contrôle probatoire et l’autonomie de la nullité lorsque l’inaptitude trouve sa source dans des manquements répétés affectant la santé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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