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Par arrêt du 5 septembre 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée sur les suites d’un licenciement économique d’une salariée protégée, préalablement autorisé par l’inspection du travail. Cette décision illustre la ligne de partage entre compétence administrative et compétence judiciaire en matière de licenciement des salariés protégés.
Une salariée, engagée en qualité de secrétaire standardiste depuis le 2 mai 1989, détenait un mandat de membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. À la suite de la suppression des subventions départementales, l’employeur a engagé une procédure de licenciement économique collectif. L’inspection du travail a autorisé le licenciement par décision du 7 septembre 2016. La salariée a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et son contrat de travail a pris fin le 15 septembre 2016.
Par requête du 12 janvier 2017, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Draguignan aux fins de voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement de constater le non-respect des critères d’ordre et d’obtenir diverses sommes indemnitaires. Par jugement du 1er juillet 2021, le conseil de prud’hommes a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, constaté le respect des critères d’ordre et débouté la salariée de ses demandes. La salariée a interjeté appel le 4 août 2021.
La salariée soutenait que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et que l’employeur n’avait pas respecté les critères d’ordre du licenciement. L’employeur opposait l’autorité de la décision administrative devenue définitive.
La cour devait déterminer si le juge judiciaire pouvait apprécier le caractère réel et sérieux du motif économique en présence d’une autorisation administrative définitive et, dans la négative, s’il restait compétent pour contrôler l’application des critères d’ordre.
La cour d’appel a infirmé partiellement le jugement. Elle s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande relative au licenciement sans cause réelle et sérieuse, a déclaré cette demande irrecevable, a dit que l’employeur n’avait pas respecté les critères d’ordre et l’a condamné à verser huit mille euros de dommages et intérêts à la salariée.
Cette décision invite à examiner le partage des compétences juridictionnelles en matière de licenciement autorisé (I) avant d’analyser le contrôle judiciaire résiduel sur les critères d’ordre (II).
I. Le partage des compétences en matière de licenciement autorisé
L’arrêt rappelle le fondement du principe de séparation des pouvoirs (A) puis en tire les conséquences sur l’étendue du contrôle judiciaire (B).
A. Le fondement du principe de séparation des pouvoirs
La cour d’appel d’Aix-en-Provence fonde son raisonnement sur un principe cardinal du droit public français. Elle énonce qu’« en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n’appartient qu’à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l’annulation ou à la réformation des décisions prises par l’administration dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique ».
Ce rappel liminaire inscrit la solution dans une tradition constitutionnelle ancienne. La loi des 16-24 août 1790 interdit aux tribunaux judiciaires de troubler les opérations des corps administratifs. Le décret de fructidor an III réitère cette prohibition. Ces textes révolutionnaires fondent encore aujourd’hui la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.
L’autorisation de licenciement constitue une décision administrative prise dans l’exercice de prérogatives de puissance publique. L’inspecteur du travail vérifie la réalité du motif économique, le respect de l’obligation de reclassement et l’absence de lien avec le mandat. Sa décision, si elle n’est pas contestée dans les délais, acquiert un caractère définitif.
La cour tire les conséquences de ce caractère définitif en rappelant que « lorsqu’une autorisation administrative de licenciement devenue définitive a été accordée à l’employeur, le juge judiciaire ne peut sans violer le principe de séparation des pouvoirs apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement ». Cette formule reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
B. L’incompétence du juge judiciaire sur le motif économique
L’arrêt détaille l’étendue de l’incompétence judiciaire. La cour précise que le juge judiciaire ne peut apprécier « le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard de la cause économique ou du respect par l’employeur de son obligation de reclassement légale et conventionnelle ».
Cette solution procède d’une logique rigoureuse. L’inspecteur du travail a expressément statué sur ces questions. Sa décision mentionne les éléments économiques justifiant la réorganisation : la suppression des subventions départementales représentant plus de quatre millions d’euros, le résultat négatif de l’exercice 2015, le déficit prévisionnel pour 2016. Elle relève également les efforts de reclassement et le refus par la salariée de la proposition formulée.
Permettre au juge judiciaire de réexaminer ces éléments reviendrait à autoriser un contrôle juridictionnel parallèle sur des questions déjà tranchées par l’autorité administrative. Une telle dualité de contrôle créerait un risque de contrariété de décisions. Le principe de séparation des pouvoirs commande de l’éviter.
La cour se déclare en conséquence « incompétente pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse » et déclare cette demande « irrecevable ». Cette double qualification mérite attention. L’incompétence traduit l’impossibilité juridique pour la juridiction de connaître de la question. L’irrecevabilité sanctionne le défaut de droit d’agir devant cette juridiction. Les deux notions convergent ici pour fermer tout accès au juge judiciaire sur le motif économique.
Cette solution protège la cohérence du système juridictionnel. Elle présente toutefois l’inconvénient de priver le salarié de tout recours lorsqu’il n’a pas contesté l’autorisation administrative dans les délais. La rigueur du principe l’emporte sur cette considération d’équité.
II. Le contrôle judiciaire résiduel sur les critères d’ordre
L’arrêt réserve cependant la compétence du juge judiciaire sur les critères d’ordre (A) et en tire les conséquences indemnitaires (B).
A. La compétence maintenue du juge judiciaire
La cour rappelle que « alors même qu’une autorisation administrative a été accordée à l’employeur par l’inspecteur du Travail, il n’appartient qu’au juge judiciaire d’apprécier la mise en œuvre des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements ». Elle cite à l’appui les arrêts de la chambre sociale du 11 décembre 2001 et du 10 décembre 2003.
Cette répartition s’explique par la nature différente du contrôle exercé. L’inspecteur du travail vérifie la légalité de la procédure et la réalité du motif. Il ne procède pas à un examen individuel de la situation de chaque salarié au regard des critères d’ordre. Cette appréciation relève de l’exécution du licenciement, non de son autorisation.
Les critères d’ordre sont définis par l’article L. 1233-5 du code du travail. La cour reproduit les dispositions applicables : charges de famille, ancienneté de service, situation rendant la réinsertion difficile, qualités professionnelles. L’employeur peut privilégier un critère à condition de tenir compte de l’ensemble des autres.
En l’espèce, l’employeur avait affecté un coefficient 3 au critère des qualités professionnelles contre un coefficient 1 pour les autres critères. Cette pondération était licite en elle-même. La cour relève cependant que « l’employeur ne met pas la cour en mesure de vérifier sur quelles bases il a apprécié les différents critères et plus particulièrement celui relatif aux qualités professionnelles ».
Cette exigence probatoire pèse sur l’employeur en cas de contestation. Il doit « communiquer au juge les éléments objectifs sur lesquels il s’est appuyé pour arrêter son choix ». À défaut, le juge ne peut vérifier l’absence d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir. L’employeur supporte les conséquences de sa carence probatoire.
B. L’indemnisation du préjudice résultant du non-respect des critères
La cour rappelle que « l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’entraîne pas nécessairement un préjudice pour le salarié qui doit donc rapporter la preuve de son existence et de son étendue ». Cette règle, posée par l’arrêt du 26 février 2020, rompt avec la présomption de préjudice qui prévalait antérieurement.
La salariée était âgée de cinquante-neuf ans et comptait plus de vingt-sept années d’ancienneté. Elle percevait un salaire mensuel brut de mille neuf cent quatre-vingt-douze euros. Elle a bénéficié de l’allocation de sécurisation professionnelle à hauteur de quarante-six euros dix-neuf centimes par jour pendant douze mois. Elle indique percevoir en 2022 des allocations représentant la moitié de ses revenus antérieurs.
La cour relève que « la salariée ne produit aucun autre élément pour justifier de son préjudice financier ou moral résultant de la perte injustifiée de son emploi en conséquence du non-respect des critères d’ordre ». Cette motivation laisse entendre que la preuve du préjudice était insuffisante. Néanmoins, la cour accorde huit mille euros de dommages et intérêts « en l’état des éléments communiqués ».
Cette évaluation tient compte des éléments objectifs de la situation : âge proche de la retraite rendant le reclassement difficile, ancienneté importante témoignant d’un attachement à l’emploi, perte de revenus documentée. La somme reste modeste au regard des cent mille euros réclamés. Elle sanctionne l’irrégularité procédurale sans indemniser la perte d’emploi elle-même, laquelle demeure couverte par l’autorité de la décision administrative.
Cette solution illustre la portée résiduelle du contrôle judiciaire. Le salarié protégé licencié avec autorisation ne peut obtenir réparation du licenciement lui-même. Il peut seulement faire sanctionner les irrégularités périphériques à l’autorisation. Le non-respect des critères d’ordre constitue l’une de ces irrégularités, dont l’indemnisation reste soumise à la preuve d’un préjudice distinct.