Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 5 septembre 2025, n°21/12395

Rendue par la Cour d’appel de Aix-en-Provence le 5 septembre 2025, la décision commente un licenciement économique individuel prononcé dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Le litige portait sur la réalité des difficultés économiques, le périmètre pertinent d’appréciation et, surtout, la preuve de la suppression effective de l’emploi du salarié.

Le salarié, embauché en 1991 comme technicien, avait été licencié en décembre 2018 après la mise en place d’un plan collectif validé par l’autorité administrative. Il soutenait l’absence de démonstration de difficultés caractérisées et de suppression réelle de son emploi, ainsi qu’un manquement aux obligations de reclassement et d’ordre des licenciements. Le conseil de prud’hommes de Toulon l’avait débouté le 9 juillet 2021. En appel, l’employeur défendait la pertinence du secteur d’activité retenu, l’existence de difficultés confirmées, et l’application régulière des critères d’ordre.

La question de droit tenait à l’articulation entre l’appréciation des difficultés économiques au sens de l’article L.1233-3 du code du travail et l’exigence probatoire d’une suppression d’emploi réelle, individualisée et démontrée, dans le cadre d’un plan validé. La cour admet l’existence de difficultés sur le périmètre pertinent, mais retient l’absence de preuve de la suppression effective de l’emploi du salarié, déclarant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle alloue 15 600 euros de dommages-intérêts, ordonne le remboursement des allocations chômage dans la limite de six mois et la délivrance d’une attestation de salaire conforme.

I. Le contrôle de la cause économique et la preuve de la suppression d’emploi

A. Périmètre d’appréciation et indicateurs économiques

La cour s’aligne d’abord sur le cadre légal en rappelant que « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement […] résultant d’une suppression ou transformation d’emploi […] consécutives notamment à des difficultés économiques » et que « la matérialité de la suppression […] s’apprécie au niveau de l’entreprise ». Elle précise encore que « les difficultés économiques […] s’apprécient […] au niveau du secteur d’activité commun […] établi sur le territoire national ». Cette réaffirmation ordonne l’analyse en deux temps, distincte mais coordonnée.

La motivation retient le secteur d’activité commun de l’entreprise et de sa filiale, au regard de la nature des biens et services, de la clientèle et des canaux de distribution. La cour évoque ensuite la dégradation du chiffre d’affaires et du résultat opérationnel, corroborée par une attestation de contrôle interne, malgré l’absence de pièces comptables exhaustives. Elle se fonde sur une lecture conforme aux arrêts de 2022, citant que « la durée d’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires s’apprécie en comparant le niveau […] au cours de la période contemporaine […] par rapport à celui de l’année précédente » et que, à défaut de cet indicateur, « il appartient au juge […] de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs ». Ce raisonnement, mesuré, admet que des éléments indirects mais fiables peuvent établir des difficultés réelles, sans rigidifier la preuve par le seul chiffre d’affaires.

La solution convainc sur ce point, par sa fidélité au droit positif et sa prudence probatoire. Elle évite de confondre validation administrative du plan et démonstration juridictionnelle des indicateurs, tout en maintenant une exigence d’objectivité des données produites.

B. Réalité et preuve de la suppression d’emploi

Le cœur du litige résidait dans la suppression effective de l’emploi. La cour rappelle utilement deux principes guides. D’une part, « la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige ». D’autre part, « il incombe à l’employeur de démontrer […] la réalité et le sérieux du motif invoqué ». Elle ajoute, en conformité avec la jurisprudence sociale, que « si la suppression du poste occupé par le salarié licencié doit être réelle, elle n’implique pas nécessairement que les fonctions de celui-ci soient supprimées ». Ainsi s’exprime l’exigence d’une suppression d’emploi prouvée, indépendamment d’une simple réorganisation fonctionnelle.

Or, la décision retient que la documentation produite restait générale, évoquant la suppression de postes de techniciens sans précision suffisante, tandis que la lettre mentionnait une suppression seulement « envisagée ». Aucun registre du personnel, état nominatif des départs, ou organigramme comparatif n’était versé, de nature à attester l’extinction du poste effectivement occupé. En l’absence de tels éléments, la cour constate l’insuffisance de preuve sur la suppression effective et juge la cause économique non établie pour l’emploi considéré. La sanction s’impose alors, dans le cadre du barème légal, tout en ménageant la portée autonome de l’exigence probatoire attachée à l’article L.1233-3.

II. Portée et appréciation critique de la solution

A. Maîtrise du juge et articulation avec le plan collectif

La cour réaffirme la pleine compétence du juge prud’homal pour contrôler la cause réelle et sérieuse du licenciement, fût-ce après validation administrative d’un plan. Elle rappelle qu’« en application de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge doit apprécier […] la réalité et le sérieux des motifs économiques invoqués ». Cette formule justifie un double filtre contentieux, d’abord sur l’existence de difficultés, ensuite sur la suppression individualisée. Le contrôle ainsi exercé demeure concret, probatoire et centré sur l’emploi du salarié licencié.

Cette orientation protège l’équilibre entre gestion collective des restructurations et garanties individuelles. Elle évite que la validation du plan, tournée vers la régularité et l’adéquation des mesures d’ensemble, ne vaille présomption irréfragable de cause pour chaque rupture. La solution s’inscrit ainsi dans une ligne constante, qui distingue nettement l’exigence macroéconomique d’un plan et l’exigence microéconomique d’une suppression d’emploi avérée. Elle assure enfin la lisibilité des contrôles en séparant clairement les objets de preuve.

B. Conséquences pratiques et enseignements probatoires

Sur les conséquences, la cour applique le barème de l’article L.1235-3 en retenant 15 600 euros, soit six mois sur un salaire de référence de 2 600 euros, pour vingt-sept années d’ancienneté. La motivation énonce des critères individualisés et prudents, en l’absence d’éléments complets sur la situation postérieure. La décision ordonne aussi, conformément aux textes, le remboursement des allocations dans la limite de six mois, la cour rappelant qu’« en l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause […] l’employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage ». L’accessoire documentaire est régularisé par la remise d’une attestation de salaire conforme.

Au plan probatoire, la décision trace une ligne claire. L’évocation d’une suppression « envisagée » n’équivaut pas à la preuve d’une suppression réalisée. Les pièces utiles incluent un registre du personnel, des tableaux d’effectifs avant et après, un état des mouvements, des fiches de poste supprimées et leurs remplacements éventuels, et, lorsque pertinent, des organigrammes comparatifs. À défaut, la cause réelle et sérieuse reste fragile, même si les difficultés économiques sont caractérisées au niveau du secteur d’activité. L’enseignement pratique est net : la preuve individualisée de la suppression d’emploi doit être conservée et produite, sans se reposer sur la seule validation du plan.

La décision de la Cour d’appel de Aix-en-Provence, 5 septembre 2025, offre ainsi une clarification utile. Elle admet des difficultés établies par un faisceau d’indicateurs, conformément à la jurisprudence récente, tout en réaffirmant, avec constance, l’exigence rigoureuse d’une suppression d’emploi prouvée pour l’emploi du salarié licencié. Ce double mouvement assure une cohérence d’ensemble entre le droit des restructurations et la protection des droits individuels, dans un cadre probatoire lisible et maîtrisé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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