Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 9 septembre 2025, n°23/06450

Par un arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 9 septembre 2025, la juridiction a confirmé le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle d’un accident allégué par un salarié, employé comme opérateur logistique. Le litige portait sur la matérialité d’un événement dommageable au temps et au lieu du travail, condition préalable à la présomption d’imputabilité.

Les faits tiennent à une douleur dorsale ressentie lors d’un soulèvement de charge sur le site de l’employeur. Un certificat médical initial a été établi le lendemain, décrivant une « lombosciatique bilatérale » consécutive à l’effort invoqué. La date de l’événement a fluctué dans les pièces, entre le 13 et le 14 septembre, sur deux années mentionnées différemment. La cour retient celle figurant au certificat médical et aux mentions du dossier de la caisse.

La caisse a refusé la prise en charge après enquête. La commission de recours amiable a confirmé ce refus. Le pôle social a jugé le recours mal fondé, relevant l’absence de témoin direct et le caractère imprécis des attestations versées. L’appelant sollicitait l’infirmation du jugement, la reconnaissance du caractère professionnel de l’événement, et des condamnations accessoires. L’intimée concluait à la confirmation.

La question de droit tenait à la preuve de la survenance d’un événement précis au temps et au lieu du travail, distincte de la preuve du lien causal, afin de faire jouer la présomption d’imputabilité prévue par le code de la sécurité sociale. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme le jugement, estime les corroborations insuffisantes et condamne l’appelant aux dépens.

I. Le cadre normatif et la condition probatoire de l’accident du travail

A. La définition jurisprudentielle et la marge d’appréciation des juges du fond
La cour rappelle, dans les termes du droit positif, le régime de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale. Elle énonce que « Il résulte des dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci (Soc., 2 avril 2003, pourvoi n° 00-21.768). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail. » Cette définition articule deux axes indissociables, l’exigence d’un événement daté et la constatation d’une lésion, tandis que l’appréciation de leur réunion relève intrinsèquement du pouvoir souverain des juges du fond.

Cette affirmation situe le contrôle à opérer. Elle distingue la qualification d’accident, relevant du fait, et la détermination des conséquences légales, relevant du droit. La cour ne s’écarte pas des critères constants, lesquels posent une exigence d’objectivation minimale de l’événement, à la différence de la seule allégation.

B. La présomption d’imputabilité subordonnée à l’établissement de l’événement
Le raisonnement poursuit en rappelant le mécanisme probatoire. La cour précise que « En revanche, dès lors qu’il est établi la survenance d’un évènement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celui-ci est présumé imputable au travail, sauf pour celui entend la contester de rapporter la preuve qu’il provient d’une cause totalement étrangère au travail. » Cette présomption n’opère qu’après preuve du fait accidentel, de sorte que le débat ne peut être déplacé sur la cause tant que l’événement lui-même demeure incertain.

La cour encadre enfin l’administration de la preuve en ces termes : « Le salarié, respectivement la caisse en contentieux d’inopposabilité, doit ainsi établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel. En effet, il importe qu’elles soient corroborées par d’autres éléments objectifs (Soc 11 mars 1999, pourvoi no 97-17.149, civ.2e 28 mai 2014, pourvoi no 13-16.968). » La logique est claire. La charge porte d’abord sur la matérialité de l’événement, et la preuve doit être externe, précise et convergente.

II. L’appréciation des pièces et la portée de la solution retenue

A. Une corroboration jugée insuffisante, entre date incertaine et témoignage indirect
La cour constate que la date de l’événement a varié selon les documents, avant de retenir celle figurant au certificat médical initial et reprise par le dossier de la caisse. Ce point, clarifié, ne suffit pas à emporter reconnaissance, car la preuve de l’événement demeure le cœur du litige. Le seul témoignage versé, purement indirect, relate un transport chez le médecin et une information rapportée sur un fait supposé s’être produit sur le lieu de travail. Il ne décrit ni circonstances précises, ni perception directe du geste, ni tout élément sensible de nature à établir un événement déterminé.

Les autres indices ne comblent pas ce déficit. Les relevés d’appels ne prouvent ni le contenu ni la chronologie d’une information efficace à l’employeur. Les documents internes et les bulletins de paie, bien que mentionnant une absence au titre d’un accident du travail, ne constituent pas en eux-mêmes des moyens de preuve de la survenance d’un fait accidentel. Les photographies d’entrepôt restent étrangères à la matérialité d’un événement daté et circonstancié. L’ensemble des pièces ne forme pas un faisceau convaincant, ce qui justifie la confirmation du jugement, l’événement n’étant pas objectivé autrement que par les déclarations du salarié.

Cette application stricte du standard probatoire est cohérente avec le rappel initial. À défaut d’éléments objectifs concordants, la présomption d’imputabilité demeure inopérante. La solution s’inscrit ainsi dans la ligne qui distingue nettement la preuve de l’événement et l’imputabilité qui en découle.

B. Une décision de consolidation du standard probatoire et ses enseignements
L’arrêt consolide un équilibre constant entre protection du salarié et sécurité des régimes de prise en charge. En recentrant le contrôle sur la démonstration préalable de l’événement, il évite que la présomption ne supplée une carence probatoire. La formule « il importe qu’elles soient corroborées par d’autres éléments objectifs » fixe un seuil lisible, en maintenant l’exigence de précision, sans exiger l’impossible preuve testimoniale directe.

La portée pratique est nette. À la survenance d’un fait allégué, l’information immédiate, la consignation écrite circonstanciée, la collecte d’attestations directes et détaillées, ainsi que la conservation d’indices matériels, demeurent décisives. Les pièces de gestion ou de paie n’ont pas vocation à prouver la matérialité de l’événement. La démarche probatoire doit donc viser la description précise du geste, du moment, du lieu, et, si possible, sa perception par un tiers.

Au plan normatif, la décision ne modifie pas la définition de l’accident, ni l’économie de la présomption. Elle en réaffirme la condition d’accès : l’existence d’un fait objectivé aux temps et lieu de travail, indépendamment de l’apparition différée de la lésion. La souveraineté d’appréciation rappelée ici invite à la prudence des plaideurs, qui doivent présenter des corroborations substantielles, adaptées à la logique de l’espèce.

En définitive, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 9 septembre 2025, confirme un refus fondé sur l’insuffisance de la preuve de l’événement. Le standard retenu se veut exigeant et constant. Il assure la préservation de la présomption d’imputabilité dans son périmètre exact, sans l’étendre au-delà du socle probatoire que le droit positif requiert.

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Hassan KOHEN
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