Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 9 septembre 2025, n°23/09455

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 9 septembre 2025, tranche un contentieux de recouvrement social articulé autour d’une requalification de prestataires en salariés. La question centrale tient au respect du contradictoire lorsque l’issue du litige dépend de la qualification des relations de travail.

Une association a été contrôlée pour la période 2014 à 2016, à l’issue de laquelle une lettre d’observations a proposé un redressement important. S’en sont suivies mises en demeure et contraintes, puis des oppositions judiciaires contestant, notamment, la qualification de salariat et la régularité de certains actes d’instruction.

Par jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, 26 mai 2023, les contraintes ont été annulées. Les juges ont retenu l’absence de preuve d’un lien de subordination, tout en déclarant régulière la mise en demeure. Saisie par l’organisme de recouvrement, la juridiction d’appel a requis l’appel en cause des travailleurs concernés par la requalification alléguée.

En appel, l’organisme a soutenu l’impossibilité matérielle de retrouver les adresses postales de nombreux intervenants, en raison de l’ancienneté des opérations. L’association a sollicité la confirmation du jugement, subsidiairement l’annulation du redressement pour irrégularité des auditions et, plus subsidiairement, sa réduction. La question de droit était précise: un redressement reposant sur la requalification de relations de travail peut-il être validé si les travailleurs concernés n’ont pas été appelés en la cause?

La cour répond par la négative et confirme l’annulation du redressement, par substitution de motifs, en raison de la méconnaissance du contradictoire. Elle s’appuie explicitement sur l’article 14 du code de procédure civile et une ligne jurisprudentielle constante de la deuxième chambre civile relative à l’appel en cause nécessaire des travailleurs lorsque la qualification de salariat est débattue.

I. Le principe du contradictoire comme préalable nécessaire à la requalification

A. Fondements textuels et ressort jurisprudentiel
La décision prend appui sur l’énoncé cardinal selon lequel: « Selon l’article 14 du code de procédure civile nulle personne ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée. » La cour ne se contente pas d’un rappel formel; elle rattache l’exigence à l’économie du contentieux de l’affiliation, en rappelant le champ de l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale, qui définit l’assujettissement obligatoire au régime général.

Elle mobilise, ensuite, la logique prétorienne relative aux litiges de requalification. La décision donne la règle en des termes dépourvus d’ambiguïté: « La contestation judiciaire d’un redressement de cotisations, à l’occasion duquel une requalification de certaines relations de travail est réalisée, implique d’appeler en la cause tous les organismes de sécurité sociale concernés par le conflit d’affiliation (…), mais aussi les travailleurs concernés par cette qualification de salarié (…). » L’articulation des références de la deuxième chambre civile montre la solidité d’une solution désormais instituée, qui conditionne l’examen du fond à la participation processuelle des personnes dont la situation juridique serait directement affectée.

La conséquence méthodologique découle immédiatement de cet ancrage. La cour énonce que « Sauf à violer le principe du contradictoire, les juges du fond ne peuvent statuer sur le bien-fondé du redressement litigieux sans l’intervention forcée des travailleurs. » La fonction de ces rappels textuels et jurisprudentiels est double: prévenir une décision inopposable aux intéressés et garantir une qualification opérée en pleine connaissance des conditions effectives d’exécution des prestations.

B. Mise en œuvre concrète et contrôle de la preuve d’impossibilité
Sur le terrain de l’espèce, la cour constate que, malgré l’injonction de mise en cause, l’appelante n’a pas procédé aux appels nécessaires, ni établi l’impossibilité alléguée. Le constat d’insuffisance probatoire est formulé sans détour: « Or, elle ne prouve aucunement cette impossibilité. » L’office du juge du contradictoire est simultanément rappelé: « De plus et surtout, le principe rappelé à l’article 14 du code de procédure civile est d’ordre public et l’inobservation de cette règle doit d’ailleurs être relevée d’office. »

La juridiction souligne avoir elle-même soumis la difficulté au débat: « Cette question a été soumise à la contradiction des parties par la cour lorsqu’elle a demandé à l’organisme de procéder à la mise en cause des personnes intéressées. » Dès lors, l’absence d’appel en cause prive le juge de la possibilité de statuer sur le bien-fondé du redressement. La sanction retenue est claire et proportionnée au vice affectant l’instance: « Indépendamment de tout autre moyen de nullité qu’il est inutile d’examiner, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé l’annulation du redressement pour un motif de fond par substitution de motifs. » La solution consacre ainsi la priorité absolue du contradictoire dans les litiges de requalification.

II. Valeur normative et portée pratique de la solution consacrée

A. Convergence avec la jurisprudence de la deuxième chambre civile
La position retenue s’inscrit dans une suite d’arrêts exigeant la présence des intéressés lorsque la qualification de salariat est litigieuse. La référence systématique aux décisions publiées de la deuxième chambre civile signale une normalisation du contrôle de recevabilité procédurale préalable à tout examen du fond. La cour articule la prescription textuelle et son opérativité processuelle, en rappelant que « les juges du fond ne peuvent statuer » sans l’intervention des travailleurs, solution déjà tenue pour acquise par la jurisprudence de cassation.

Cette convergence n’est pas purement formelle. Elle confirme une conception substantive du contradictoire, indissociable de l’efficacité des décisions d’affiliation et de la sécurité juridique des travailleurs concernés. Elle évite les décisions inopposables, réduit les risques de contradictions ultérieures et garantit un débat éclairé sur la réalité du lien de subordination. La reprise d’un standard clair emporte, en outre, une meilleure prévisibilité pour les acteurs du recouvrement et les cotisants.

B. Conséquences pour la conduite des contrôles et la sécurité des redressements
La solution produit des effets procéduraux immédiats. Elle impose aux organismes de recouvrement d’anticiper la nécessité d’appeler les personnes requalifiées, y compris lorsque les contrôles sont anciens. L’allégation d’impossibilité, lorsqu’elle est invoquée, doit être démontrée par des diligences circonstanciées et vérifiables, faute de quoi l’instance est privée de base contradictoire. L’économie contentieuse en est affectée, mais au bénéfice d’un débat complet sur la qualification.

Pour les juges du fond, l’office est clarifié. En présence d’un grief d’absence d’appel en cause, l’ordre public du contradictoire commande de relever le moyen d’office et de surseoir à l’examen au fond tant que les intéressés ne sont pas régulièrement appelés. L’issue adoptée ici — confirmation par substitution de motifs — illustre une hiérarchie nette des exigences, où le respect du contradictoire prime sur les autres débats, notamment ceux relatifs à la réalité du lien de subordination ou à la validité des auditions.

La portée de la solution est équilibrée. Elle protège les droits des travailleurs dont la situation est directement affectée et renforce l’autorité des décisions en matière d’affiliation. Elle incite les organismes à structurer leurs contrôles et à conserver les voies de contact utiles. L’exigence peut rallonger certains contentieux, mais elle assure la solidité des redressements validés, en évitant les annulations ultérieures pour défaut de contradictoire. Dans cette perspective, l’arrêt commente utilement l’ordonnancement des priorités processuelles, au service d’une qualification juridiquement sûre et opposable à tous.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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