Cour d’appel de Amiens, le 10 juillet 2025, n°24/03148

La présente décision, rendue par la Cour d’appel d’Amiens le 10 juillet 2025, traite de la contestation par un employeur du taux d’incapacité permanente partielle attribué à l’un de ses salariés à la suite d’un accident du travail. Elle aborde deux questions essentielles : d’une part, les conditions d’opposabilité d’une décision attributive de rente lorsque le rapport médical n’a pas été transmis au médecin mandaté par l’employeur, d’autre part, la prise en compte d’un état antérieur dans l’évaluation du taux d’incapacité permanente.

Les faits sont les suivants. Le 21 janvier 2015, un salarié employé en qualité d’agent de manutention a ressenti une douleur à l’épaule droite en préparant une commande. L’employeur a procédé à une déclaration d’accident du travail le lendemain. La caisse primaire d’assurance maladie a notifié sa décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par courrier du 28 janvier 2015. L’état de santé du salarié a été déclaré consolidé au 27 février 2023, et un taux d’incapacité permanente partielle de 20 % lui a été attribué en raison d’une gêne algofonctionnelle de l’épaule droite.

L’employeur a contesté cette décision en saisissant la commission médicale de recours amiable. Celle-ci n’ayant pas statué dans le délai de quatre mois, une décision implicite de rejet est intervenue. L’employeur a alors saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, qui a constaté l’inopposabilité de la décision attributive de rente par jugement du 18 avril 2024, au motif que le rapport médical n’avait pas été transmis au médecin mandaté par l’employeur. La caisse a interjeté appel.

Devant la Cour, l’employeur soutenait que l’absence de transmission du rapport médical à son médecin conseil, tant au stade amiable qu’au stade contentieux, devait entraîner l’inopposabilité de la décision. Il contestait en outre le taux de 20 %, estimant qu’il devait être ramené à 12 % compte tenu de l’existence d’un état antérieur. La caisse faisait valoir que l’absence de transmission au stade précontentieux ne saurait emporter inopposabilité dès lors que l’employeur pouvait faire valoir ses droits devant le juge.

La question posée à la Cour était double. Il s’agissait de déterminer si l’absence de transmission du rapport médical au médecin mandaté par l’employeur, aux différents stades de la procédure, entraîne l’inopposabilité de la décision attributive de rente. Il convenait également d’apprécier si le taux d’incapacité de 20 % était justifié au regard de l’existence alléguée d’un état antérieur.

La Cour d’appel d’Amiens infirme le jugement. Elle juge que l’absence de transmission du rapport médical au stade du recours préalable n’entraîne pas l’inopposabilité de la décision, dès lors que l’employeur dispose de la possibilité de saisir le juge et d’obtenir communication du rapport dans le cadre contentieux. Elle retient en outre que le taux de 20 % est correctement évalué, l’accident ayant révélé et aggravé un état pathologique antérieur qui n’était pas symptomatique avant le fait accidentel.

Cette décision présente un intérêt notable en ce qu’elle précise le régime de la transmission du rapport médical dans le contentieux de l’incapacité permanente (I) et qu’elle rappelle les principes gouvernant la prise en compte de l’état antérieur dans l’évaluation du taux d’incapacité (II).

I. La clarification du régime de transmission du rapport médical au médecin mandaté par l’employeur

La Cour d’appel d’Amiens apporte des précisions importantes sur les conséquences de l’absence de transmission du rapport médical, tant au stade du recours préalable (A) qu’au stade contentieux (B).

A. L’absence de sanction de l’inopposabilité au stade du recours préalable

La Cour rappelle le cadre juridique applicable à la transmission du rapport médical dans le contentieux de l’incapacité permanente. Elle cite les articles L. 142-6, R. 142-8-2 et R. 142-8-3 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi du 24 décembre 2019 et du décret du 30 décembre 2019. Ces textes prévoient que le praticien-conseil transmet le rapport médical à la commission médicale de recours amiable, laquelle le notifie au médecin mandaté par l’employeur lorsque celui-ci a formé un recours préalable.

La Cour énonce que « les délais impartis pour la transmission à la [commission médicale de recours amiable] par le praticien-conseil du rapport médical mentionné à l’article L. 142-6 du code de la sécurité sociale, accompagné de l’avis, et pour la notification de ces mêmes éléments médicaux par le secrétariat de la commission au médecin mandaté par l’employeur, lorsque ce dernier a formé un recours préalable, ne sont assortis d’aucune sanction ».

Cette solution se fonde sur l’économie générale du contentieux de la sécurité sociale. La Cour relève que l’employeur dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l’expiration du délai de rejet implicite de quatre mois et d’obtenir, à l’occasion de ce recours, la communication du rapport médical. Elle précise que « aucune disposition n’autorise l’employeur à obtenir cette communication directement du praticien-conseil du contrôle médical ».

Cette position est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui distingue les obligations pesant sur la caisse au stade précontentieux de celles applicables au stade contentieux. L’employeur n’est pas privé de son droit de contestation par l’absence de transmission au stade amiable, dès lors qu’il peut exercer son recours juridictionnel et obtenir communication des éléments médicaux dans ce cadre.

B. Le rejet de l’inopposabilité au stade contentieux

La Cour examine ensuite le moyen tiré de l’absence de transmission du rapport médical au stade contentieux. L’employeur invoquait les articles L. 142-10 et R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale, qui organisent la transmission du rapport médical à l’expert désigné par la juridiction et au médecin mandaté par l’employeur.

En l’espèce, la caisse justifiait avoir transmis au médecin désigné par la juridiction le rapport médical le 28 décembre 2023, soit antérieurement à l’audience du 22 février 2024. La Cour constate que la caisse a également transmis au service médical, le jour même de sa réception, la demande de communication formulée par l’employeur.

La Cour énonce que « le défaut de transmission à l’expert désigné par la juridiction du rapport médical par le praticien-conseil du service du contrôle médical de la caisse n’est pas en lui-même sanctionné par l’inopposabilité de la décision attributive de rente ». Elle ajoute qu’« il n’y a pas lieu, en tout état de cause, de sanctionner une caisse pour un défaut de transmission du rapport médical qui ne lui incombe pas mais qui relève du praticien conseil faisant partie de l’échelon local du service médical ».

Cette solution opère une distinction entre la caisse primaire d’assurance maladie et le service médical, considéré comme une entité distincte. La caisse ne saurait être sanctionnée pour un manquement imputable au service du contrôle médical, sur lequel elle n’exerce pas d’autorité directe. Cette approche peut susciter des interrogations quant à son articulation avec le principe du contradictoire, qui impose de garantir à l’employeur un accès effectif aux éléments médicaux fondant la décision contestée.

II. La confirmation des principes relatifs à l’état antérieur dans l’évaluation du taux d’incapacité

La Cour d’appel d’Amiens rappelle les principes applicables à la prise en compte de l’état antérieur (A) avant d’en faire application au cas d’espèce (B).

A. Le rappel des principes gouvernant l’indemnisation de l’état antérieur

La Cour rappelle les dispositions de l’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, qui énumère les critères de détermination du taux d’incapacité permanente. Elle cite également les principes généraux du barème indicatif d’invalidité, qui distinguent plusieurs situations selon que l’état antérieur était ou non symptomatique avant l’accident.

La Cour énonce que « l’estimation médicale de l’incapacité doit faire la part de ce qui revient à l’état antérieur, et de ce qui revient à l’accident ». Elle précise les différentes hypothèses prévues par le barème. Lorsqu’« un état pathologique antérieur absolument muet soit révélé à l’occasion de l’accident de travail ou de la maladie professionnelle, mais qu’il ne soit pas aggravé par les séquelles », il n’y a pas lieu d’en tenir compte. En revanche, « lorsque l’accident ou la maladie professionnelle révèle un état pathologique antérieur et l’aggrave, il convient alors d’indemniser totalement l’aggravation résultant du traumatisme ».

Ces principes traduisent la logique indemnitaire propre à la législation sur les risques professionnels. L’accident du travail constitue le fait générateur de l’obligation d’indemnisation. Dès lors qu’il a révélé et aggravé un état antérieur jusqu’alors asymptomatique, l’ensemble des séquelles doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle. Cette solution se distingue de celle applicable en droit commun de la responsabilité, où la prédisposition de la victime peut conduire à un partage de responsabilité.

B. L’application au cas d’espèce

La Cour examine les éléments médicaux versés aux débats. Le médecin conseil de la caisse avait constaté une limitation significative de tous les mouvements de l’épaule dominante. L’antépulsion et l’abduction étaient limitées à 60 degrés en actif, la rétropulsion à 30 degrés, les rotations interne et externe respectivement à 30 et 45 degrés. Une diminution de la force de serrage avait également été objectivée.

Le médecin mandaté par l’employeur invoquait l’existence d’un état antérieur, en relevant que des calcifications tendineuses avaient été constatées une semaine après l’accident et qu’une arthropathie acromio-claviculaire avait été objectivée en novembre 2022. Il proposait de ramener le taux à 12 %.

La Cour écarte cette argumentation. Elle relève que « le médecin désigné par l’employeur ne conteste pas le fait que tous les mouvements de l’épaule dominante sont limités » et qu’« il ne contredit pas non plus la diminution de la force de serrage telle que constatée par le médecin conseil ». Elle constate surtout qu’« il n’est pas démontré que l’assuré présentait, antérieurement à l’accident du travail, un état antérieur symptomatique ».

La Cour conclut que « le taux de 20 % retenu pour une limitation moyenne de tous les mouvements de l’épaule dominante de l’assuré n’a pas à être diminué ». Elle rejette également la demande de mesure d’instruction, considérant qu’elle ne s’avère pas nécessaire au regard des éléments médicaux déjà versés aux débats.

Cette solution illustre la charge de la preuve pesant sur l’employeur qui conteste le taux d’incapacité. Il ne suffit pas de démontrer l’existence d’un état antérieur objectivé par l’imagerie médicale. Encore faut-il établir que cet état était symptomatique avant l’accident et qu’il contribuait aux limitations fonctionnelles constatées à la date de consolidation. En l’absence d’une telle démonstration, l’intégralité des séquelles doit être imputée à l’accident du travail.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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