Cour d’appel de Amiens, le 10 juillet 2025, n°24/03151

La reconnaissance des maladies professionnelles hors tableau soulève des questions procédurales récurrentes relatives au respect du contradictoire. Le contentieux entre les caisses d’assurance maladie et les employeurs porte fréquemment sur les délais impartis pour consulter et compléter le dossier soumis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Par un arrêt du 10 juillet 2025, la cour d’appel d’Amiens a statué sur l’opposabilité d’une décision de prise en charge d’une maladie professionnelle à un employeur.

Une salariée, employée en qualité d’hôtesse de caisse depuis le 29 décembre 1992, a déclaré une maladie professionnelle au titre d’un trouble anxiodépressif réactionnel au travail. Le certificat médical initial du 18 juillet 2022 mentionnait une souffrance au travail. Le médecin-conseil de la caisse primaire d’assurance maladie a confirmé que cette pathologie, non inscrite à un tableau des maladies professionnelles, bénéficiait d’un taux d’incapacité permanente au moins égal à vingt-cinq pour cent. Le dossier fut transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles conformément à l’article L. 461 alinéa 4 du code de la sécurité sociale. Le 13 février 2023, ce comité rendit un avis favorable. La caisse informa l’employeur de la prise en charge au titre de la législation professionnelle par courrier du 14 février 2023.

L’employeur saisit la commission de recours amiable le 14 avril 2023 pour contester cette décision. Suite au rejet implicite de sa requête, il porta l’affaire devant le tribunal judiciaire de Lille. Par décision du 4 juin 2024, le pôle social de ce tribunal déclara la décision de prise en charge inopposable à l’employeur, estimant que le principe du contradictoire n’avait pas été respecté durant la procédure d’instruction. La caisse interjeta appel le 9 juillet 2024.

L’employeur soutenait n’avoir bénéficié que de vingt-sept jours au lieu de trente pour consulter et compléter le dossier, le délai devant selon lui courir à compter de la réception effective du courrier d’information. Il arguait également n’avoir pas eu accès à l’intégralité des certificats médicaux de prolongation.

La caisse faisait valoir que le délai de quarante jours débute à compter de la saisine du comité, matérialisée par le courrier d’information, et non par sa réception. Elle ajoutait que l’inobservation du délai de trente jours n’entraîne pas l’inopposabilité de la décision.

La question posée à la cour était double : d’une part, le non-respect du délai de trente jours pour consulter et compléter le dossier préalablement à la saisine du comité régional entraîne-t-il l’inopposabilité de la décision de prise en charge ? D’autre part, l’absence de communication des certificats médicaux de prolongation constitue-t-elle une violation du principe du contradictoire ?

La cour d’appel d’Amiens infirme le jugement de première instance et déclare la décision de prise en charge opposable à l’employeur. Elle juge que « le non-respect du délai de 30 jours n’entraîne pas l’inopposabilité » et que « aucun manquement au respect du principe du contradictoire ne pouvait résulter de ce que les certificats médicaux de prolongation n’avaient pas été mis à la disposition de l’employeur ».

Cet arrêt précise utilement le régime des sanctions applicables aux irrégularités procédurales dans l’instruction des maladies professionnelles hors tableau (I) et délimite le périmètre des pièces devant être communiquées à l’employeur au titre du contradictoire (II).

I. La délimitation des irrégularités procédurales entraînant l’inopposabilité

La cour opère une distinction entre les différentes phases du délai de consultation (A) et tire les conséquences d’une jurisprudence récente de la Cour de cassation sur la sanction applicable (B).

A. La distinction entre le délai d’enrichissement et le délai d’observations

L’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale organise la procédure contradictoire préalable à l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Ce texte prévoit un délai global de quarante jours francs durant lequel le dossier est mis à disposition des parties. Ce délai se décompose en deux phases distinctes : les trente premiers jours permettent de consulter, compléter le dossier et formuler des observations ; les dix jours suivants n’autorisent plus que la consultation et la formulation d’observations.

L’employeur contestait le point de départ de ce délai. Il soutenait que le délai de quarante jours francs devait courir à compter de la réception effective du courrier d’information et non de son envoi. En l’espèce, le courrier daté du 19 décembre 2022 ne fut reçu que le 22 décembre 2022. L’échéance du délai de trente jours étant fixée au 18 janvier 2023, l’employeur estimait n’avoir disposé que de vingt-sept jours pour enrichir le dossier.

La cour relève que l’article R. 461-10 « ne précise pas le point de départ du délai de 40 jours francs, et a fortiori celui de 30 jours d’enrichissement du dossier ». Cette lacune textuelle explique les divergences d’interprétation entre les juridictions du fond. Certaines retenaient la date de réception du courrier pour protéger les droits de l’employeur. D’autres se fondaient sur la date d’envoi pour garantir une prévisibilité de la procédure.

L’enjeu pratique est considérable. Retenir la date de réception conduit à des points de départ différents selon les parties, ce qui complexifie la gestion des délais par la caisse. Retenir la date d’envoi peut réduire le temps effectivement disponible pour les destinataires.

B. L’absence de sanction d’inopposabilité pour le non-respect du délai de trente jours

La cour d’appel d’Amiens s’appuie expressément sur un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 5 juin 2025. Cette décision énonce clairement que « l’inobservation du délai de trente jours n’entraîne pas l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la caisse ».

Cette solution opère une distinction entre les deux phases du délai de quarante jours. Seul le non-respect du délai de dix jours francs réservé à la consultation et aux observations peut entraîner l’inopposabilité. L’amputation du délai de trente jours pour enrichir le dossier ne constitue pas une irrégularité substantielle justifiant cette sanction.

Cette interprétation restrictive se fonde sur une hiérarchisation des droits de la défense. Le droit de formuler des observations avant la décision apparaît comme le noyau dur du contradictoire. Le droit de compléter le dossier par des éléments nouveaux, s’il demeure important, relève d’une exigence moins impérative.

La cour constate qu’en l’espèce la société « a été régulièrement informée des délais d’instruction du dossier pour formuler des observations et le compléter ». L’information était complète quant aux échéances. La réduction du délai effectif de trente à vingt-sept jours ne suffit pas à caractériser une atteinte aux droits de l’employeur justifiant l’inopposabilité.

Cette position jurisprudentielle sécurise les décisions des caisses. Elle évite que des contestations portant sur quelques jours de délai ne remettent systématiquement en cause l’opposabilité des prises en charge. Elle incite toutefois les caisses à anticiper les délais postaux pour garantir aux employeurs un délai effectif suffisant.

II. La délimitation des pièces soumises au contradictoire

La cour précise également le périmètre des documents devant être communiqués à l’employeur, en excluant les certificats de prolongation (A), ce qui confirme une conception fonctionnelle du dossier de consultation (B).

A. L’exclusion des certificats médicaux de prolongation

L’employeur soutenait n’avoir pas eu accès à l’intégralité des certificats médicaux de prolongation détenus par la caisse. Selon lui, cette absence de communication constituait une violation du principe du contradictoire justifiant l’inopposabilité de la décision.

La cour rejette cette argumentation en se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2024. Cette décision a jugé que les certificats ou avis de prolongation de soins ou arrêts de travail « ne figurent pas parmi les éléments » devant être mis à disposition. Ces documents, délivrés après le certificat médical initial, « ne portent pas sur le lien entre l’affection, ou la lésion, et l’activité professionnelle ».

L’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale énumère limitativement les pièces composant le dossier soumis à consultation. La Cour de cassation en retient une interprétation stricte. Seuls les documents ayant une incidence sur la reconnaissance du caractère professionnel du sinistre doivent être communiqués.

Les certificats de prolongation attestent de la persistance de l’état de santé justifiant la poursuite des soins ou de l’arrêt de travail. Ils ne contiennent pas d’éléments nouveaux sur l’origine professionnelle de la pathologie. Leur communication ne présente donc pas d’utilité pour l’exercice des droits de la défense de l’employeur sur la question du lien de causalité.

B. Une conception fonctionnelle du dossier de consultation

La cour adopte une conception fonctionnelle des exigences du contradictoire. Les obligations de communication de la caisse se limitent aux pièces pertinentes pour la décision à prendre. Cette approche finaliste distingue les documents selon leur utilité procédurale.

La cour relève que l’employeur « reconnait avoir eu communication de la déclaration d’accident du travail et du certificat médical initial, du questionnaire assuré et de celui rempli par ses soins ». Ces éléments constituent le socle documentaire nécessaire pour apprécier le caractère professionnel de la maladie et exercer utilement le droit de formuler des observations.

Cette solution présente l’avantage de la simplicité. Elle évite aux caisses de communiquer des volumes importants de documents sans rapport direct avec la question soumise au comité régional. Elle préserve également le secret médical en limitant la transmission d’informations de santé à ce qui est strictement nécessaire.

La portée de cette jurisprudence dépasse le seul cas des certificats de prolongation. Elle invite à distinguer, parmi les pièces détenues par la caisse, celles qui ont une incidence sur la reconnaissance du caractère professionnel et celles qui concernent uniquement les suites de cette reconnaissance. Seules les premières relèvent du contradictoire préalable à la décision.

Cette conception fonctionnelle renforce la sécurité juridique des décisions de prise en charge. Les employeurs ne peuvent plus invoquer l’absence de communication de pièces sans rapport avec l’objet de leur contestation pour obtenir l’inopposabilité. Cette évolution jurisprudentielle témoigne d’un équilibre recherché entre les droits de la défense et l’efficacité de la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles.

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Hassan KOHEN
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