Cour d’appel de Amiens, le 10 septembre 2025, n°24/03408

Cour d’appel d’Amiens, 10 septembre 2025. Une salariée, engagée en contrats à durée déterminée d’insertion de 2018 à 2022, d’abord comme agente de production puis comme tutrice stagiaire, a saisi la juridiction prud’homale. Elle sollicitait la requalification en contrat à durée indéterminée, une reclassification au niveau agent de maîtrise, une indemnisation pour harcèlement moral, ainsi que des rappels de salaires et congés payés. Le conseil a rejeté l’ensemble des demandes. La cour confirme, sauf à accorder un complément d’indemnité de congés payés pour la période d’arrêt maladie.

Les faits tiennent à un parcours d’insertion prolongé, assorti d’un changement de fonctions en 2021 vers des tâches d’encadrement opérationnel. La procédure a débuté devant le conseil, saisi à l’été 2023, puis s’est poursuivie en appel. La salariée soutenait l’irrégularité de la durée des contrats d’insertion, l’inadéquation du coefficient conventionnel, la matérialité de faits de harcèlement, et le droit à congés payés durant l’arrêt maladie. La cour retient la validité des renouvellements au regard du régime dérogatoire, l’absence d’éléments suffisants pour la reclassification et le harcèlement, et reconnaît le droit à acquisition de congés pendant l’arrêt.

La question de droit portait d’abord sur l’articulation du contrat d’insertion avec les règles du contrat à durée déterminée, spécialement la prolongation exceptionnelle, puis sur les critères conventionnels de classification, la méthode probatoire en matière de harcèlement moral, et l’incidence d’un arrêt de travail non professionnel sur l’acquisition des congés payés. La décision confirme la position de première instance à l’exception du chef relatif à l’indemnité de congés payés, allouée à hauteur de 863 euros, intérêts à compter du 21 octobre 2024.

I. La qualification et la requalification contestées

A. Les critères conventionnels et l’absence de délégation

La cour rappelle le principe directeur de la qualification: « La qualification professionnelle d’un salarié se détermine selon les fonctions réellement et concrètement exercées. » Elle ajoute: « Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail de démontrer qu’il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique. » L’examen se focalise ainsi sur la nature exacte des missions, leur permanence et le périmètre d’autonomie.

Les éléments produits établissaient un encadrement d’équipe et des tâches de coordination. Toutefois, la juridiction constate l’absence de pouvoir de décision délégué et de participation aux relations commerciales exigés par le niveau revendiqué. Elle en tire logiquement les conséquences: « En cas de différend […] il y a lieu de rechercher la nature de l’emploi effectivement occupé […] et la qualification qu’il requiert au regard de la convention collective applicable. » Dès lors, le refus de reclassification est cohérent avec la grille conventionnelle et la charge de la preuve pesant sur la salariée.

Cette solution, sobre et ferme, souligne une ligne jurisprudentielle constante: l’encadrement opérationnel, même réel, ne suffit pas sans indices précis d’autonomie décisionnelle et de responsabilités fonctionnelles élargies. Elle évite une inflation des qualifications en exigeant des marqueurs objectifs, sécurisant les classifications et la politique salariale.

B. Le cadre dérogatoire du contrat d’insertion

La cour restitue la règle spéciale: « Ces contrats peuvent être renouvelés dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre mois. » Elle rappelle surtout la faculté exceptionnelle: « A titre exceptionnel, ce contrat de travail peut être prolongé […] au-delà de la durée maximale prévue […] par décisions successives d’un an au plus, dans la limite de soixante mois. » L’arrêt en déduit une conséquence déterminante: « Il en résulte que le contrat de travail à durée déterminée d’insertion peut, par exception au régime de droit commun des contrats à durée déterminée, être contracté pour pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise. »

La situation examinée s’inscrit dans ces paramètres dérogatoires, prolongations comprises, sans franchir la borne des soixante mois. Les autorisations délivrées par le prescripteur et l’objet d’insertion justifient la continuité du parcours. La requalification est donc écartée, faute d’irrégularité formelle ou de dépassement des plafonds spécifiques.

Cette lecture, étroitement alignée sur le texte, réaffirme l’économie du dispositif d’insertion: il permet, sous contrôle encadré, une flexibilité temporelle accrue pour des publics éloignés de l’emploi. Elle protège parallèlement la sécurité juridique des employeurs, en bornant l’exception par un plafond absolu et un contrôle final du juge.

II. La protection du salarié et ses limites

A. Le harcèlement moral et la charge probatoire modulée

La juridiction encadre l’office du juge en ces termes: « Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. » Elle précise la méthode probatoire issue du code du travail: « Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral […]. »

Appliqués au cas, ces principes conduisent au rejet. Les écrits unilatéraux et un témoignage jugé imprécis ne suffisent pas à faire présumer des agissements répétés, même dans un contexte d’arrêt de travail et de prescription médicamenteuse. L’employeur n’avait pas à renverser une présomption qui ne naissait pas. La solution, sobre, rappelle la double exigence de matérialité et de cohérence des indices.

La portée de l’arrêt est nette: la modulation de la charge probatoire n’exonère pas le salarié d’étayer, par des éléments convergents, la répétition et l’impact des faits. Le contrôle reste concret et global, séparant rigoureusement les difficultés relationnelles des situations constitutives de harcèlement.

B. Les congés payés et l’alignement sur le droit de l’Union

La cour applique la jurisprudence sociale récente, en ces termes: « tout arrêt de travail pour maladie ou accident, professionnel ou non professionnel, est considéré comme du temps de travail effectif, permettant au salarié d’acquérir des congés payés. » Elle ajoute, au titre du report: « lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report de quinze mois afin de pouvoir les utiliser. »

Constatant l’absence de justification d’un paiement couvrant l’entière période d’arrêt, la cour accorde un solde d’indemnité compensatrice de 863 euros, assorti des intérêts à la date des conclusions introductives sur ce point. La décision transpose fidèlement la ligne tracée par la Cour de cassation et le législateur, privilégiant l’effectivité du droit au repos annuel.

La portée pratique est importante. Les employeurs doivent désormais intégrer systématiquement l’acquisition de congés pendant l’arrêt maladie, hors distinction de l’origine, et gérer les reports. La sécurité juridique progresse, tandis que se rééquilibre la protection du salarié dans l’articulation entre santé, repos et fin de contrat.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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