Cour d’appel de Amiens, le 10 septembre 2025, n°24/03732

La Cour d’appel d’Amiens, 10 septembre 2025 (n° RG 24/03732), se prononce sur la rupture anticipée d’un contrat d’apprentissage et sur l’allégation de circonstances vexatoires. La question porte sur l’étendue de la faculté unilatérale de rupture dans les quarante-cinq premiers jours de formation pratique et sur l’exigence d’un préjudice prouvé.

L’apprentie était engagée du 12 septembre 2022 au 31 août 2024. L’employeur a notifié, le 15 novembre 2022, une rupture avec effet au 30 novembre 2022, en se référant à la période d’essai. L’intéressée se trouvait en formation au centre entre le 15 et le 17 novembre. L’arrêt de travail couvrant cette période n’a été transmis à l’employeur par le centre que le 25 novembre.

Après une ordonnance de référé du 26 juin 2023 ordonnant la délivrance des documents de fin de contrat, le conseil de prud’hommes d’Abbeville, le 25 juin 2024, a retenu l’existence d’un contrat à durée déterminée et a rejeté l’essentiel des prétentions indemnitaires. L’employeur a relevé appel, notamment sur les frais, tandis que la salariée a formé appel incident pour voir juger la rupture abusive et obtenir des dommages-intérêts.

La question de droit tient à la possibilité de rompre unilatéralement et sans motif un contrat d’apprentissage dans les quarante-cinq premiers jours de formation pratique, et aux conditions d’une indemnisation pour circonstances vexatoires. La juridiction d’appel énonce que “Il en résulte que le contrat d’apprentissage peut être rompu unilatéralement et sans motif par l’employeur ou le salarié dans les 45 premiers jours de formation pratique dans l’entreprise, sauf abus.” Elle en déduit, au regard de la chronologie et des éléments produits, que “L’employeur était donc en droit de rompre le contrat sans présenter de motif.”

I. Le régime de la rupture dans les quarante-cinq premiers jours

A. La portée de la faculté de rupture sans motif

Le texte de l’article L. 6222-18 du code du travail borne strictement la faculté de rupture aux “quarante-cinq premiers jours […] de formation pratique en entreprise.” La cour applique cette borne à la lettre et rattache expressément la computation aux jours de pratique. Le planning d’alternance établit que ce seuil n’était pas atteint à la date retenue, ce qui rend opérante la faculté unilatérale.

L’arrêt clarifie la nature de cette faculté, détachée de toute exigence de justification, tout en rappelant sa limite. L’énoncé général retient que “Il en résulte que le contrat d’apprentissage peut être rompu unilatéralement et sans motif […] sauf abus.” L’office du juge se concentre donc sur la vérification du délai et sur l’éventuel détournement de finalité, sans transposer le régime de la période d’essai ni exiger un motif.

B. L’exclusion de l’abus au regard des faits retenus

La discussion portait sur une prétendue sanction disciplinaire déguisée, liée à une absence non justifiée dans les quarante-huit heures. La cour écarte ce grief en raison du contexte d’alternance et de l’information tardive sur l’arrêt de travail. Elle souligne que “Dès lors, son absence était sans conséquence pour l’employeur,” l’intéressée étant en formation théorique au centre.

Surtout, la juridiction conditionne l’abus à une preuve positive, que la salariée ne rapporte pas. Elle tranche en ces termes: “La salariée ne tirant aucun argument en termes de poursuite du contrat de travail du courrier de l’employeur du 5 janvier 2023 […] et ne rapportant pas la preuve que la décision unilatérale de rupture pendant les 45 premiers jours de formation pratique dans l’entreprise présentait un caractère abusif, il convient de la débouter de sa demande de ce chef par confirmation du jugement entrepris.” La cohérence de la solution tient à l’absence d’indices d’un détournement répressif de la faculté légale.

II. Les circonstances de la rupture et leurs effets procéduraux

A. La caractérisation stricte du préjudice allégué

La cour relève des revirements et des hésitations dans la conduite de la rupture, ainsi que le recours au référé pour obtenir les documents de fin de contrat. Elle n’en déduit pourtant aucune indemnisation, faute de preuve d’un dommage certain en lien avec ces errements. Elle précise: “En l’espèce, si les revirements de l’employeur ont rendu les conditions de la rupture du contrat de travail chaotiques pour la salariée […] cette dernière ne justifie pas de l’existence d’un préjudice en découlant quant à la poursuite de sa formation et à l’obtention de ses droits sociaux.”

Cette motivation s’inscrit dans la trilogie classique faute, préjudice, lien de causalité. Le constat de pratiques perfectibles demeure insuffisant, tant que la preuve d’une atteinte concrète aux droits sociaux ou à la trajectoire de formation fait défaut. La charge probatoire reste intégralement supportée par la demanderesse à l’indemnisation.

B. Le traitement équilibré des frais irrépétibles et des dépens

La solution de fond, confirmative sur l’essentiel, est assortie d’un partage des frais. La cour écarte toute indemnité au titre de l’article 700 et laisse à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d’appel. Le dispositif est clair: “Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,” puis “Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens de première instance et d’appel.”

Cette modulation traduit une appréciation d’équité procédurale, dans un litige où les positions ont été partiellement reformulées et où l’économie du litige ne justifie pas de déplacement des charges. Elle conforte la neutralité de l’approche, en harmonie avec la stricte application du régime légal de l’apprentissage.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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