Cour d’appel de Amiens, le 10 septembre 2025, n°24/03996

La cour d’appel d’Amiens, 10 septembre 2025 (5e chambre prud’homale), statue sur l’appel d’un jugement du conseil de prud’hommes de Compiègne du 31 juillet 2024. Le litige porte sur la qualification du refus réitéré d’un nouveau planning arrêté après la cession d’un fonds de commerce dans un bar-tabac.

Une salariée, engagée en juin 2016 et passée à temps plein en septembre 2016, exécutait ses horaires selon un planning affiché. Un transfert de contrat est intervenu le 14 septembre 2022. Le repreneur a prévu fin octobre un planning applicable en novembre, décalant d’une heure l’entrée et la sortie et insérant une pause méridienne d’une heure. Malgré un avertissement, la salariée a persisté à suivre l’ancien planning. Une mise à pied conservatoire a été notifiée le 1er décembre, puis un licenciement pour faute grave prononcé le 20 décembre.

Le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Saisie par l’employeur, la cour retient l’existence d’une insubordination rendant impossible le maintien du contrat. La solution est fondée sur la distinction entre modification du contrat, qui exige l’accord, et simple changement des conditions de travail, relevant du pouvoir de direction. L’arrêt précise que, faute de contractualisation des horaires et d’atteinte excessive aux droits du salarié, le refus persistant du nouveau planning caractérise une faute grave.

I. Le sens de la décision

A. La lettre de licenciement fixe le litige et la faute grave suppose l’impossibilité de poursuivre le contrat
La cour rappelle d’abord la portée de l’acte disciplinaire en ces termes clairs: «La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux qu’elle énonce.» Le cadre du contrôle est ainsi strictement délimité. Elle rappelle ensuite la définition et le régime probatoire applicables: «La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.» Enfin, le standard probatoire est posé sans ambiguïté: «C’est à l’employeur qui invoque la faute grave […] de rapporter la preuve des faits allégués […]. Le doute profite au salarié.»

La motivation s’inscrit dans cette grille. Les faits retenus sont un refus répété d’exécuter un planning communiqué à plusieurs reprises, malgré un avertissement. L’impossibilité de poursuite résulte de la persistance du comportement, dans un contexte de service à la clientèle exigeant une coordination fine. L’appréciation de la gravité s’opère au regard du trouble causé au fonctionnement, plutôt qu’au seul manquement formel.

B. La modification d’horaires: absence de contractualisation, absence de bouleversement, absence d’atteinte excessive
Le cœur du raisonnement repose sur la distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail. L’arrêt formule la règle directrice: «La modification du contrat de travail requiert l’accord exprès du salarié contrairement au changement des conditions de travail qui relève du pouvoir de direction de l’employeur et peut, à ce titre, être imposé au salarié.» Il précise le critère opérationnel propre aux horaires: «Sauf contractualisation, bouleversement très important dans l’organisation du temps de travail ou atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l’employeur.»

Appliquant ces critères, la cour constate que l’avenant de 2016 confiait l’organisation des horaires à l’employeur, sans planning annexé. Le document invoqué par la salariée n’était qu’une note de service. Elle relève encore que le nouveau planning «ne faisait que décaler d’une heure en matinée et en soirée ses entrées et sorties afin d’instaurer une pause méridienne d’une heure», ce qui exclut un bouleversement très important. Enfin, aucune preuve d’atteinte excessive à la vie personnelle ou au repos n’était produite. Le refus persistant d’appliquer cette répartition quotidienne, relevant du pouvoir de direction, caractérise ainsi une insubordination d’une gravité rendant impossible la poursuite du contrat.

II. Valeur et portée

A. Conformité aux principes et cohérence de l’équilibre retenu
La solution s’accorde avec les principes constants gouvernant la répartition de la durée du travail. Elle distingue clairement ce qui relève de l’engagement contractuel, intangible sans accord, et ce qui relève de l’organisation quotidienne, modulable par l’employeur sous réserve de limites. La double réserve cumulative, «bouleversement très important» ou «atteinte excessive» aux droits personnels, offre un filtre proportionné, qui protège la vie personnelle et le repos tout en préservant la nécessaire souplesse de l’exploitation.

La motivation illustre une méthode probatoire exigeante et équilibrée. Elle vérifie l’existence d’une clause ou d’une annexe contractualisant les horaires. Elle apprécie concrètement l’ampleur du changement (simple décalage et insertion d’une pause légale) et recherche une démonstration circonstanciée de l’atteinte invoquée. En l’absence d’éléments probants, elle retient l’insubordination. La cohérence interne de l’arrêt tient à l’articulation serrée entre la règle de qualification, la preuve et la proportion de la sanction.

B. Portée pratique en contexte de transfert et de petites structures
L’arrêt présente un intérêt particulier après un transfert d’entreprise. Il rappelle qu’un repreneur peut réorganiser la répartition quotidienne du travail, y compris pour introduire des pauses légales et ajuster les flux, sans requérir l’accord du salarié si les horaires ne sont pas contractualisés. La portée est notable dans les petites structures, où l’adéquation entre affluence, coordination des postes et pauses est déterminante.

La décision éclaire aussi le contentieux probatoire. Pour consolider un refus, le salarié doit établir concrètement l’atteinte excessive à sa vie personnelle ou à son repos. Des éléments objectifs, réguliers et circonstanciés sont attendus. Inversement, si un planning avait été annexé au contrat ou si la réorganisation avait entraîné un basculement massif des rythmes (nuit, week-end, amplitudes inédites), la qualification de modification contractuelle ou de bouleversement important pouvait s’imposer. Enfin, la reconnaissance d’une faute grave tient ici à la répétition du refus malgré un avertissement et aux nécessités du service. Elle n’exclut pas, dans d’autres circonstances moins persistantes ou moins perturbatrices, une gradation disciplinaire différente.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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