Cour d’appel de Amiens, le 18 juin 2025, n°22/04419

La Cour d’appel d’Amiens, 18 juin 2025, statue en matière de sécurité au travail après une chute sur des marches menant à une estrade de salle de classe. L’accident, survenu lors d’une surveillance d’épreuve, a été pris en charge au titre professionnel et consolidé avec un taux d’IPP de 13 %. En première instance, le pôle social de Lille, le 29 août 2022, a rejeté la faute inexcusable. L’appelante sollicite l’infirmation, la majoration de rente et une expertise, reprochant l’absence de rambarde, des marches élevées sans butées, ainsi qu’un document unique postérieur. L’employeur conteste la matérialité des griefs, invoque l’inapplicabilité des règles relatives aux travaux en hauteur et souligne la présence de butées. L’organisme social s’en rapporte sur la faute et demande remboursement en cas de reconnaissance. La question est de savoir si, au regard des caractéristiques de l’estrade et des mesures de prévention, l’employeur avait ou devait avoir conscience d’un danger et s’est abstenu des mesures nécessaires, caractérisant une faute inexcusable. La cour confirme le rejet, relevant notamment que « les dispositions de l’article R.4323-59 du code du travail ne s’appliquent pas » et que « l’appelante n’établit pas que l’employeur avait conscience d’un risque de chute lié à l’installation d’une estrade, desservie par deux marches ». Le chef relatif à l’article 700 est infirmé, l’équité ne commandant pas une indemnité.

I) Le sens de la décision

A) Les critères de la faute inexcusable rappelés et circonscrits
La cour reprend la définition normative et l’articule à l’obligation de sécurité. Elle rappelle que « la faute inexcusable est définie comme le manquement de l’employeur à l’obligation légale de sécurité […] lorsqu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger […] et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». La charge de la preuve pèse sur la victime, qui doit établir cette double dimension, conscience et carence, en lien nécessaire avec le dommage. Le raisonnement se place dans le cadre des principes généraux de prévention, sans présumer la faute d’après le seul dommage. Le contrôle porte donc sur l’existence d’un risque identifiable, sa prévisibilité, et l’adéquation des mesures collectives ou organisationnelles attendues.

B) L’application au cas de l’estrade et l’écartement des normes invoquées
La cour examine la matérialité des lieux, l’existence de butées et la hauteur de l’estrade. Elle retient, au vu des pièces, que « les photographies […] montrent que l’accès à l’estrade est composé de deux marches », avec des butées visibles, et que « l’appelante n’apporte aucun élément concret de nature à remettre en cause les dimensions indiquées par l’employeur ». Elle écarte l’article R.4323-59 relatif aux travaux temporaires en hauteur, relevant que « le texte régit […] les travaux temporaires exécutés en hauteur […] situation totalement étrangère à l’installation d’un bureau sur une estrade ». Elle juge inapplicable la norme NFP01-012, l’équipement ne constituant pas un escalier, et retient que l’exigence de garde-corps à 0,50 m n’est pas acquise faute de preuve de hauteur. Le document unique, certes postérieur, ne suffit pas à caractériser la conscience du danger pour les marches, d’autant que « l’analyse des risques […] n’a conduit à l’identification d’un risque quelconque ». La pose d’une rambarde après l’accident est neutralisée par ce motif décisif : « il y a lieu de rappeler que le fait que l’employeur ait après l’accident fait installer une rambarde ne permet de considérer qu’à la date de celui-ci il avait conscience d’un quelconque danger ».

II) La valeur et la portée

A) Une solution cohérente avec l’exigence probatoire et le périmètre des textes
La décision s’accorde avec la jurisprudence constante qui fait de la faute inexcusable une faute qualifiée, exigeant la démonstration d’un risque connu ou connaissable et d’une abstention fautive. Le contrôle de proportionnalité des mesures de protection demeure concret et contextuel. La cour valorise la preuve matérielle disponible, contrôle la cohérence des témoignages et refuse d’étendre des régimes spéciaux de prévention hors de leur champ. Cette orthodoxie probatoire évite de transformer l’obligation de sécurité en garantie de résultat, ce qui demeurerait contraire à l’équilibre actuel. La motivation, centrée sur la configuration des lieux et la finalité des textes, préserve l’articulation entre prévention collective prioritaire et qualification spécifique des travaux en hauteur.

B) Une portée pratique sur la prévention des risques d’estrade et la documentation
La solution souligne que l’inapplicabilité des règles relatives aux travaux temporaires en hauteur n’exonère pas, en soi, de toute vigilance. Elle invite toutefois à caractériser finement la dangerosité propre des marches desservant une estrade ordinaire de salle, en lien avec la fréquence d’usage, la visibilité des nez de marche et la présence de butées. L’absence de document unique antérieur ne vaut pas, seule, conscience du danger spécifique, si les risques identifiés ne visaient pas les modes d’accès. Cette approche incite les employeurs à documenter les risques liés aux plateformes pédagogiques, à tracer les mesures retenues, et à qualifier les équipements au regard des bons référentiels. Elle avertit aussi les victimes sur l’exigence d’éléments objectifs quant à la hauteur, la présence ou non de dispositifs antidérapants, et la causalité. L’équilibre retenu confirme la centralité de la preuve du risque notoire et des lacunes de prévention, sans déductions post hoc tirées d’améliorations ultérieures.

Ainsi, la Cour d’appel d’Amiens, 18 juin 2025, ferme la voie à une faute inexcusable fondée sur une assimilation impropre aux travaux en hauteur et sur un défaut documentaire isolé. Elle recentre l’analyse sur la conscience démontrée du risque et l’adéquation des mesures collectives au regard de la configuration réelle, conformément aux principes généraux de prévention.

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Hassan KOHEN
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