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L’article L. 1332-4 du code du travail dispose qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance. Ce délai de prescription constitue une garantie fondamentale pour le salarié, en ce qu’il impose à l’employeur de réagir avec célérité face à un comportement qu’il estime fautif. La détermination du point de départ de ce délai soulève des difficultés lorsque l’information relative aux faits reprochés parvient à l’employeur de manière échelonnée ou indirecte.
La cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 18 juin 2025, a eu à se prononcer sur cette question dans le contexte particulier d’un licenciement pour faute grave intervenu pendant la période de crise sanitaire.
Une salariée avait été embauchée le 4 octobre 1999 en qualité de vendeuse par une société spécialisée dans la vente au détail d’habillement. La relation contractuelle, initialement conclue à durée déterminée, s’était poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 4 octobre 2000. Le 18 mars 2021, une cliente avait laissé un message de mécontentement relatif au comportement de la salariée, qui aurait organisé, sur son lieu de travail et pendant ses heures de service, une vente de bijoux par une connaissance extérieure à l’entreprise. Ce message avait été transmis le 26 mars 2021 à la directrice du magasin, supérieure hiérarchique de l’intéressée. Cette dernière affirmait n’en avoir pris connaissance que courant mai 2021, à son retour de la période de fermeture liée à la crise sanitaire. La salariée avait été convoquée à un entretien préalable par courrier du 8 juin 2021 et licenciée pour faute grave le 23 juillet 2021.
Le conseil de prud’hommes d’Amiens, par jugement du 6 mars 2024, avait requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse, rejetant le moyen tiré de la prescription des faits fautifs. La salariée avait formé appel incident pour obtenir la reconnaissance de la prescription et l’indemnisation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La question posée à la cour d’appel était la suivante : le délai de prescription de deux mois prévu à l’article L. 1332-4 du code du travail était-il expiré à la date d’engagement de la procédure de licenciement, compte tenu de la date à laquelle l’employeur avait eu connaissance des faits reprochés ?
La cour d’appel d’Amiens infirme le jugement. Elle juge que l’employeur ne démontre pas que le point de départ du délai de prescription se situe au-delà du 26 mars 2021, date de réception de l’information par la directrice du magasin. Elle en déduit que les faits sont prescrits et que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Cet arrêt illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient la charge de la preuve pesant sur l’employeur quant à la date de connaissance des faits fautifs (I). Il met également en lumière les conséquences attachées à l’expiration du délai de prescription disciplinaire sur la validité du licenciement (II).
I. La charge probatoire de l’employeur quant au point de départ du délai de prescription
La cour d’appel rappelle que lorsque les faits fautifs ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois précédant la convocation à entretien préalable. Cette règle classique trouve ici une application rigoureuse (A). L’arrêt précise également les conditions dans lesquelles une enquête interne peut différer le point de départ du délai (B).
A. L’exigence d’une démonstration effective de la date de connaissance
La cour énonce que « si le fait fautif a été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de ce qu’il n’en a eu connaissance que dans les 2 mois ayant précédé l’engagement des poursuites ». Cette formulation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui fait peser sur l’employeur la charge de prouver la date à laquelle il a été informé des agissements du salarié.
En l’espèce, les faits dataient du 18 mars 2021 et la convocation à entretien préalable avait été adressée le 8 juin 2021. La directrice du magasin attestait n’avoir pris connaissance du message de la cliente que « courant mai 2021 », sans autre précision. La cour relève que l’employeur « ne justifie pas de la fermeture du magasin au-delà du 3 mai 2021 » ni qu’il ait été empêché de consulter ses courriels avant le 26 mai. L’argument tiré de l’activité partielle est écarté, la cour estimant que ce régime « n’apparaît pas constituer en soi un obstacle à la consultation de ses courriels ».
Cette motivation révèle l’exigence d’une preuve circonstanciée. Une simple attestation mentionnant une prise de connaissance tardive, sans élément objectif corroborant l’impossibilité d’accéder plus tôt à l’information, ne suffit pas. L’employeur devait établir concrètement les raisons pour lesquelles la directrice du magasin n’avait pu lire le message avant l’expiration du délai de deux mois courant à compter du 26 mars 2021.
B. L’impossibilité de prolonger un délai déjà expiré par une enquête tardive
La cour admet que la nécessité de recourir à des mesures d’investigation peut différer l’engagement des poursuites disciplinaires. Elle précise que « la seule possibilité pour l’employeur de différer l’engagement des poursuites disciplinaires est la nécessité prouvée de recourir à des mesures d’investigation » et que « le jour des résultats de celle-ci constitue le point de départ du délai de deux mois ».
Cette possibilité suppose toutefois que l’enquête soit diligentée avant l’expiration du délai initial. Or, en l’espèce, « l’enquête n’ayant commencé que le 28 mai par le rappel de la cliente, postérieurement à l’expiration du délai, n’a pu avoir pour effet de le prolonger ». La cour refuse ainsi de valider une enquête engagée après que le délai de prescription était déjà acquis au bénéfice du salarié.
Cette solution s’inscrit dans une logique de protection du salarié. Admettre qu’une enquête tardive puisse ressusciter un pouvoir disciplinaire éteint reviendrait à priver de toute effectivité la prescription bimestrielle. L’employeur doit agir avec diligence dès qu’il dispose d’une information lui permettant de soupçonner un comportement fautif.
II. Les conséquences de la prescription sur la qualification du licenciement
L’expiration du délai de prescription prive le licenciement de tout fondement disciplinaire. La cour en tire les conséquences quant à l’indemnisation de la salariée (A). Elle refuse cependant d’accorder une indemnisation au titre du caractère vexatoire de la rupture (B).
A. Un licenciement privé de cause réelle et sérieuse
La cour juge que « les faits sont prescrits ce qui prive de cause réelle et sérieuse le licenciement ». Cette formulation établit un lien direct entre la prescription des faits fautifs et l’absence de cause réelle et sérieuse. Le licenciement prononcé pour faute grave ne peut reposer sur des faits que l’employeur n’était plus en droit de sanctionner.
La salariée se voit allouer l’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et l’indemnité de licenciement. La cour fixe à 6 000 euros les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en tenant compte de « l’ancienneté dans l’entreprise (22 ans) » mais aussi de « l’absence d’information sur la situation professionnelle de Mme [F] postérieurement à son licenciement ».
La demande de la salariée tendant à obtenir l’équivalent de 53 mois de salaire est rejetée. La cour rappelle que l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, encadre l’indemnisation entre 3 et 16 mois de salaire pour une ancienneté de 22 ans. Cette application du barème confirme que la prescription des faits n’ouvre pas droit à une indemnisation dérogatoire.
B. Le rejet de la demande au titre du licenciement vexatoire
La salariée sollicitait une indemnité distincte pour licenciement vexatoire. La cour rappelle que « le salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse peut prétendre à des dommages-intérêts distincts de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de comportement fautif de l’employeur dans les circonstances de la rupture ».
Elle précise toutefois que « le seul recours à une procédure de licenciement pour faute grave, même si elle n’est pas justifiée, ne constitue pas en soi un procédé brutal et vexatoire ». En l’absence de démonstration d’une faute et d’un préjudice distincts, la demande est rejetée.
Cette solution rappelle que l’indemnisation du préjudice moral suppose la caractérisation d’un comportement fautif autonome de l’employeur dans les modalités de la rupture. Le simple fait de prononcer un licenciement pour faute grave ultérieurement jugé injustifié ne suffit pas à établir un abus ou une brutalité particulière. La salariée aurait dû établir des circonstances spécifiques, telles que des propos humiliants, une publicité donnée au licenciement ou des conditions de notification particulièrement brutales, pour obtenir une réparation distincte.