Cour d’appel de Amiens, le 18 juin 2025, n°24/01494

La Cour d’appel d’Amiens, 18 juin 2025, se prononce sur la validité de sanctions disciplinaires et d’un licenciement pour faute grave prononcé au terme d’une séquence d’absences rapprochées et de transmissions tardives de justificatifs. Engagée en 2018 sous convention SYNTEC, la salariée avait reçu une mise en garde en 2021, puis un avertissement en février 2023, avant une convocation en mars et un licenciement en avril 2023. Saisi, le conseil de prud’hommes de Creil, 25 mars 2024, a annulé l’avertissement, jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et accordé diverses sommes, dont un rappel au titre du complément d’allocations maladie. L’employeur a interjeté appel sur les sanctions et la cause de la rupture, la salariée a formé appel incident pour l’annulation de la mise en garde et une majoration des indemnités.

La juridiction d’appel devait déterminer si les absences invoquées, parfois justifiées tardivement, et la récurrence alléguée d’un comportement fautif caractérisaient une faute grave ou, à tout le moins, une cause réelle et sérieuse, au regard de la lettre de licenciement, de l’épuisement du pouvoir disciplinaire et des exigences probatoires. Elle devait également statuer sur l’obligation de compléter les indemnités journalières au titre du régime conventionnel et de prévoyance. Elle annule la mise en garde de 2021, confirme l’annulation de l’avertissement de 2023, écarte la faute grave et toute cause réelle et sérieuse, ajuste l’indemnité de licenciement et confirme le rappel d’allocations complémentaires.

I. Délimitation des griefs et contrôle de proportionnalité

A. La lettre de licenciement fixe strictement le périmètre du litige

La formation rappelle un principe de méthode, décisif pour l’office du juge. Elle énonce que « La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux qu’elle énonce. » La portée est double. D’une part, les griefs doivent se lire à l’aune des seules périodes et manquements visés. D’autre part, les précisions ultérieures ne peuvent ajouter des faits autonomes, mais seulement éclairer la récurrence alléguée.

La cour admet que l’employeur puisse, pour établir une répétition, rappeler des faits antérieurs non visés par la rupture, sans encourir la prescription, dès lors qu’il ne les érige pas en nouveaux griefs. Elle circonscrit cependant l’analyse aux absences listées dans la lettre, qui borne l’instance disciplinaire. Ce cadre nourrit ensuite l’examen de la proportionnalité des sanctions antérieures et de la rupture.

S’agissant des mesures disciplinaires, la cour annule la mise en garde de 2021 en relevant l’exactitude du justificatif adressé le premier jour ouvré suivant le début de l’arrêt. Le motif décisif est limpide et dénué d’ambiguïté temporelle : « Le 11 juin 2021 étant un vendredi sans qu’il soit prétendu que la salariée travaillait les samedi et dimanche suivant, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir satisfait à l’obligation contractuelle précitée en adressant son arrêt de travail dès le lundi, jour travaillé le plus proche. » Cette motivation conjugue la règle contractuelle de délai avec une appréciation concrète des jours ouvrables.

La cour confirme également l’annulation de l’avertissement de février 2023, après avoir constaté que l’employeur avait requalifié l’absence en « absence autorisée non payée ». Elle en tire une leçon de proportionnalité, en visant l’écoulement du temps et l’attitude même de l’employeur. Le motif est sans équivoque : « Néanmoins, l’employeur ayant lui-même indiqué dans la lettre de licenciement qu’il l’avait finalement considérée en absence autorisée non payée pour cette période, le recours à une sanction disciplinaire plus de 18 mois après une précédente mise en garde apparait disproportionné. » En fixant un repère temporel clair, la cour entend prévenir une gradation artificielle et tardive de la discipline.

B. L’appréciation concrète des absences et la charge de la preuve

La cour rappelle le cadre légal du licenciement disciplinaire. Elle retient que « La faute grave privative du préavis prévu à l’article L.1234-1 du même code, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. » Elle souligne ensuite la règle probatoire cardinale, qui innerve l’ensemble du contentieux prud’homal : « Le doute doit profiter au salarié. » L’employeur doit donc caractériser des manquements précis, imputables, et d’une gravité telle qu’ils rendent impossible la poursuite du contrat.

L’examen des dates visées dans la lettre conduit à neutraliser plusieurs griefs. L’absence des 13 à 17 février 2023 ne peut être réutilisée, le pouvoir disciplinaire ayant été épuisé par l’avertissement concomitant. L’absence du 21 février 2023, initialement évoquée comme celle du 22, avait été annoncée la veille par courriel, sans refus exprès, de sorte que le caractère fautif n’est pas retenu. La journée du 13 mars 2023 est couverte par une visite médicale, laquelle constitue un motif légitime. Celle du 14 mars 2023 avait été autorisée. Celle du 22 mars 2023 est justifiée par un certificat enfant malade, non contesté dans son bien-fondé.

Reste le 7 mars 2023, pour lequel l’information est intervenue tardivement au regard d’une indisponibilité connue depuis la veille. La cour retient le manquement, limité à l’obligation d’information, mais en réduit la portée disciplinaire. Elle juge que « Ce seul fait ne saurait suffire à justifier son licenciement alors même que les précédentes sanctions relatives à ses absences ont été annulées et que la récurrence du comportement reproché n’est pas plus établie, les retenues sur salaire opérées depuis l’embauche étant insuffisantes à démontrer le caractère fautif des absences. » Le raisonnement articule l’absence de gravité suffisante et l’insuffisance probatoire de la prétendue réitération.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une application constante des standards probatoires et de proportionnalité

La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante sur trois plans. En premier lieu, la borne procédurale imposée par la lettre de licenciement, explicitement rappelée, garantit la loyauté du débat et la sécurité des motifs. Le rappel textuel selon lequel la lettre « lie les parties et le juge » réaffirme une orthodoxie protectrice de la défense de la salariée, tout en n’interdisant pas les précisions de contexte.

En deuxième lieu, la cour fait un usage mesuré de la proportionnalité des sanctions. En censurant une mise en garde infondée et un avertissement reconverti en absence autorisée, elle refuse la constitution d’un dossier disciplinaire par empilement tardif. Elle réaffirme la temporalité propre à la discipline, qui exclut les résurgences punitives lorsque l’employeur a, de fait, accepté l’absence ou requalifié la situation.

En troisième lieu, la qualification de la faute grave est contrôlée avec rigueur. L’exigence d’impossibilité de maintien, adossée à la charge de la preuve et au bénéfice du doute, conduit à écarter une rupture disciplinaire sur la base d’un unique manquement d’information. La cohérence est manifeste avec l’article L.1232-1 du code du travail, qui requiert une cause réelle et sérieuse, et avec l’article L.1234-1 pour l’exigence aggravée de la faute grave.

La motivation sur le complément d’allocations maladie s’avère également instructive. La cour déduit de la convention collective SYNTEC et de l’accord de branche prévoyance l’obligation effective de mise en œuvre du relais de garanties. L’employeur ne peut se retrancher derrière l’épuisement d’un maintien à 100 % sans actionner la prévoyance prévue. La confirmation du rappel opéré par les premiers juges rappelle que le maintien conventionnel s’apprécie en combinant sécurité sociale et prévoyance, dans la limite de la rémunération nette.

B. Enseignements pratiques en matière d’absences et d’indemnisation

Plusieurs enseignements se dégagent pour la gestion des absences et la rédaction de la lettre de licenciement. La portée clinique de la solution tient d’abord à l’exigence d’une traçabilité claire des autorisations, refus ou tolérances. Le fait d’avoir traité une période comme autorisée non payée affaiblit durablement la prétention disciplinaire pour des faits identiques, sauf éléments nouveaux sérieux.

Ensuite, l’argument de récurrence exige un socle probatoire solide, distinct de simples retenues salariales. Celles-ci n’attestent pas à elles seules d’un caractère injustifié. Les justificatifs médicaux, les convocations à la médecine du travail, les certificats enfant malade neutralisent, s’ils sont établis, le fondement même du grief. La décision incite les employeurs à exiger, et à conserver, les pièces utiles dans des délais raisonnables, en évitant les confusions de dates.

Enfin, s’agissant des conséquences financières d’un licenciement injustifié, l’arrêt applique le barème de l’article L.1235-3. La cour situe l’indemnisation entre trois et cinq mois et confirme l’évaluation des premiers juges en fonction de l’ancienneté, de l’âge, de la rémunération et des perspectives de reclassement. Le réajustement isolé de l’indemnité légale de licenciement, sans remise en cause du préavis ni des dommages-intérêts, illustre une approche fine des différents postes, chacun soumis à son régime propre.

L’arrêt rappelle, en creux, que la lettre de licenciement doit être rédigée avec précision, en distinguant manquements prouvés, faits prescrits, et éléments de contexte. Il conforte l’idée que la discipline ne tolère ni la surenchère a posteriori, ni la confusion entre tolérance pratique et reproche ultérieur. En définitive, la combinaison du principe selon lequel « Le doute doit profiter au salarié » et de la définition exigeante de la faute grave dessine une ligne jurisprudentielle stable, protectrice et pragmatique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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