Cour d’appel de Amiens, le 18 juin 2025, n°24/02667

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La Cour d’appel d’Amiens, le 18 juin 2025, statue sur l’appel d’une salariée licenciée pour inaptitude, à la suite d’un contentieux initié devant la juridiction prud’homale. Employée depuis 2014 dans un établissement de plus de dix salariés, elle avait repris après de longues absences avec des préconisations médicales précises, notamment un mi‑temps thérapeutique, une heure de prise de poste non antérieure à 8 heures, ainsi qu’une mise à jour des connaissances assortie d’un accompagnement. Elle a ultérieurement été déclarée inapte, avec impossibilité de reclassement, puis licenciée. En première instance, la formation paritaire avait écarté tout harcèlement moral et jugé la rupture fondée sur une cause réelle et sérieuse.

Devant les juges d’appel, la salariée sollicite la nullité du licenciement en soutenant que l’inaptitude résulte d’agissements répétés de harcèlement, tenant notamment au non‑respect des préconisations médicales et des obligations légales de retour d’absence. L’employeur conclut à la confirmation, contestant tant l’existence d’éléments laissant présumer un harcèlement que le lien causal avec l’inaptitude. La question de droit porte d’abord sur les critères permettant de présumer un harcèlement moral au sens des articles L.1152‑1 et L.1154‑1, compte tenu des éléments médicaux et organisationnels produits, puis sur la nullité du licenciement pour inaptitude lorsque cette inaptitude trouve sa cause dans ces agissements et sur ses effets indemnitaires. La cour infirme, retient le harcèlement moral, déclare la rupture nulle et fixe les conséquences financières et accessoires.

I. L’appréciation du harcèlement moral et l’office du juge

A. Le cadre probatoire et l’examen global des éléments

La décision reprend d’abord la méthode probatoire issue des textes applicables et la fait jouer à plein. Elle rappelle que « Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ». Elle insiste, dans le prolongement de l’article L.1154‑1, sur l’exigence d’un examen d’ensemble: les éléments médicaux peuvent être pris en compte, non pour constater des faits vécus, mais pour établir l’existence d’un retentissement pathologique cohérent avec une dégradation des conditions de travail. Le raisonnement articule donc indices concordants et contrôle de justification.

Les juges relèvent des documents psychiatriques et psychologiques décrivant un stress majeur en lien avec le travail, cohérents avec les événements rapportés. La cour estime en conséquence que « Les faits ainsi présentés et matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral ». L’office du juge se déploie alors en deux temps: présomption par agrégation d’indices, puis invitation adressée à l’employeur de renverser celle‑ci par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

B. Les manquements caractérisés au regard des préconisations médicales et des obligations de retour

La cour retient plusieurs défaillances significatives. Le mi‑temps thérapeutique n’a pas été mis en place immédiatement, l’horaire de prise de poste avant 8 heures a été maintenu sur deux semaines, et la réactivation du dispositif d’accès n’a pas été assurée le jour de la reprise. S’y ajoutent l’absence d’entretien professionnel obligatoire au retour et l’absence de proposition de bilan de compétences, pourtant prévus par les articles L.1225‑57 et L.6315‑1. Les attestations produites sur un accompagnement ponctuel ne suffisent pas à compenser ces carences.

Les justifications tirées d’une contrainte estivale d’organisation ou d’un accord prétendu avec le médecin du travail sont écartées faute de preuve convaincante et au regard du caractère impératif des préconisations médicales. La cour souligne qu’un employeur ne saurait, sans voies de contestation appropriées, minorer l’utilité d’une mise à niveau des compétences recommandée par la médecine du travail. Faute d’établir des motifs objectifs et étrangers à tout harcèlement, la défense échoue à renverser la présomption. Le harcèlement est donc retenu, ce qui emporte la remise en cause des appréciations du premier juge.

II. La nullité du licenciement pour inaptitude et ses effets

A. Le principe de nullité en cas d’inaptitude causée par le harcèlement

La cour énonce avec netteté le principe gouvernant l’issue du litige: « Le licenciement pour inaptitude physique d’un salarié est nul si cette inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l’employeur ». Elle rattache ce principe aux articles L.1152‑2 et L.1152‑3, puis vérifie l’existence d’un lien étiologique certain au regard des éléments médicaux concordants et du non‑respect des préconisations de santé au travail. Aucune pathologie antérieure ni cause alternative n’étant établie, l’inaptitude est imputée à des agissements répétés qualifiés de harcèlement.

La nullité commande l’octroi cumulatif des indemnités de rupture dues et de dommages‑intérêts spécifiques sur le fondement de l’article L.1235‑3‑1, dans un plancher correspondant à six mois de salaire. L’appréciation du quantum tient compte de l’ancienneté, de l’effectif, de la rémunération et de la situation postérieure inconnue, ce qui conduit ici à une évaluation mesurée de la réparation.

B. Les conséquences financières et accessoires: intérêts, documents, remboursement

La cour accorde l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, ensemble des dommages‑intérêts pour nullité, ainsi qu’une réparation distincte du préjudice moral et des frais restés à charge, en relation directe avec les manquements caractérisés. Elle ordonne la remise des documents de fin de contrat rectifiés, mesure logique en exécution de la décision, sans astreinte au regard des circonstances utiles.

Le régime des intérêts est précisément distingué. S’agissant des condamnations indemnitaires, la cour rappelle que « Les demandes de nature indemnitaire portent intérêts de plein droit au taux légal à compter de la décision qui les prononce ». Les créances de nature salariale portent intérêts, quant à elles, à compter de la convocation devant l’organe de conciliation, par application de l’article 1231‑7 du code civil. La décision fait enfin application de l’article L.1235‑4 en ordonnant le remboursement, dans la limite de six mois, des allocations de chômage versées par le service public de l’emploi. L’ensemble dessine une portée pratique claire: le respect scrupuleux des préconisations médicales et des obligations de retour d’absence n’est pas une variable d’ajustement organisationnelle, mais une condition de légalité dont la méconnaissance expose à la nullité de la rupture et à ses suites renforcées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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