Cour d’appel de Amiens, le 2 juillet 2025, n°24/02233

La cour d’appel d’Amiens, par un arrêt du 2 juillet 2025, statue sur la requalification de contrats de travail à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée et sur les conséquences de la rupture intervenue d’un commun accord.

Une salariée a été engagée par une association gestionnaire d’un office de tourisme dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée entre juin 2020 et février 2021. Ces contrats successifs invoquaient tantôt des travaux saisonniers liés à la période estivale, tantôt le remplacement de salariées absentes pour maladie, tantôt un surcroît temporaire d’activité. Le 29 juin 2021, la salariée a sollicité l’ouverture de négociations en vue de rompre son contrat. Un avenant de rupture anticipée d’un commun accord a été signé le 5 juillet 2021.

Contestant la qualification de ses contrats et les conditions de la rupture, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes d’Abbeville le 30 mars 2023 aux fins d’obtenir la requalification de l’ensemble de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ainsi que diverses indemnités. Par jugement du 11 avril 2024, le conseil de prud’hommes l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes, estimant que les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée rompu d’un commun accord.

La salariée a interjeté appel de cette décision. Elle soutenait que son emploi correspondait à l’activité normale et permanente de l’association et que l’employeur ne justifiait pas du bien-fondé des motifs de recours aux contrats à durée déterminée. L’employeur opposait la régularité du recours aux contrats saisonniers et de remplacement, et soutenait subsidiairement que la rupture devait s’analyser en une démission.

La cour d’appel d’Amiens devait déterminer si les motifs de recours aux contrats à durée déterminée étaient justifiés et, dans la négative, quelles conséquences devaient être tirées de la rupture intervenue d’un commun accord sans respect des formalités de la rupture conventionnelle.

La cour infirme partiellement le jugement. Elle valide le premier contrat saisonnier mais requalifie la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 16 octobre 2020, l’employeur échouant à démontrer la réalité des remplacements invoqués et du surcroît d’activité. La cour qualifie ensuite la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’accord des parties n’ayant pas respecté les dispositions relatives à la rupture conventionnelle.

Cet arrêt illustre l’exigence probatoire pesant sur l’employeur quant à la justification des motifs de recours au contrat à durée déterminée (I) et précise le régime de la rupture amiable d’un contrat requalifié en contrat à durée indéterminée (II).

I. L’exigence de justification des motifs de recours au contrat à durée déterminée

La cour rappelle le principe selon lequel la charge de la preuve incombe à l’employeur (A) avant d’opérer une appréciation différenciée des motifs invoqués selon leur nature (B).

A. Le rappel du principe de la charge probatoire

La cour d’appel d’Amiens énonce que « il appartient à l’employeur de justifier de la réalité du motif de recours au contrat à durée déterminée ». Cette affirmation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui fait peser sur l’employeur la charge de démontrer que le recours au contrat précaire était justifié par l’un des cas limitativement énumérés à l’article L.1242-2 du code du travail.

Ce renversement de la charge de la preuve se justifie par le caractère dérogatoire du contrat à durée déterminée. Le contrat à durée indéterminée demeure la forme normale et générale de la relation de travail. L’employeur qui entend y déroger doit établir que les conditions légales sont réunies. La cour fait une application rigoureuse de ce principe en examinant successivement chacun des contrats conclus.

La solution retenue s’inscrit dans la lignée des décisions qui sanctionnent l’insuffisance de précision dans l’énoncé du motif de recours. L’employeur ne peut se contenter de mentionner formellement un motif légal sans être en mesure d’en rapporter la preuve concrète.

B. L’appréciation différenciée selon la nature du motif invoqué

La cour opère une distinction nette entre le contrat saisonnier, qu’elle valide, et les contrats de remplacement ou pour surcroît d’activité, qu’elle requalifie.

S’agissant du premier contrat conclu pour la période estivale 2020, la cour retient que « la nature de l’activité de l’Office du tourisme intercommunal Ponthieu Marquenterre Baie de Somme et sa situation géographique, qui conduit à une augmentation de l’afflux de touristes aux beaux jours, justifient le recours au contrat à durée déterminée ». Le registre du personnel corrobore cette analyse en révélant le recours habituel à des contrats précaires durant cette période.

En revanche, concernant les contrats de remplacement, la cour relève que « si le remplacement partiel ou en cascade d’un salarié absent est possible, encore faut-il que l’employeur le prévoie dans l’énoncé du motif de recours au contrat à durée déterminée et en justifie ». Or les contrats litigieux ne comportaient aucune précision à ce sujet et la salariée conservait la même stipulation d’emploi que dans le contrat saisonnier initial. L’employeur échoue également à démontrer un surcroît d’activité pour une durée d’une année entière, la cour relevant avec pertinence que « la notion de saisonnalité ne pouvant alors être retenue ».

Cette analyse révèle l’importance de la cohérence entre le motif formellement invoqué et la réalité des fonctions exercées par le salarié.

II. Le régime de la rupture amiable d’un contrat requalifié

La cour précise les conséquences de la rupture d’un commun accord intervenue sans respect des formalités légales (A) tout en délimitant les droits indemnitaires de la salariée (B).

A. La requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse

L’employeur soutenait que la rupture devait s’analyser en une démission dès lors qu’il aurait été contraint d’accepter la demande de la salariée. La cour écarte cet argument en relevant que « l’employeur, qui a signé un accord de rupture anticipée du contrat de travail le 5 juillet 2021, ne peut valablement prétendre avoir été contraint à la rupture sans démontrer l’existence d’un vice du consentement, ce qu’il ne fait pas ».

La cour qualifie ensuite la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle retient que « la relation contractuelle ayant pris fin d’un commun accord sans respect des dispositions du code du travail relatives à la rupture conventionnelle alors que le contrat de travail a été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, la rupture doit être qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence établie. La rupture d’un commun accord d’un contrat à durée déterminée ne peut produire les effets d’une rupture conventionnelle lorsque le contrat est requalifié en contrat à durée indéterminée. Les parties avaient entendu mettre fin à un contrat précaire selon des modalités propres à ce type de contrat. La requalification modifie rétroactivement la nature de la relation de travail et, partant, le régime applicable à sa rupture.

B. La délimitation des droits indemnitaires

La cour accorde à la salariée une indemnité de requalification de 1 271,46 euros conformément à l’article L.1245-2 du code du travail ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu’elle fixe à 500 euros.

Ce montant relativement modeste s’explique par les circonstances de l’espèce. La cour prend en compte « les circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de l’absence d’élément sur l’indemnisation au titre de l’assurance-chômage avant septembre 2022, de son ancienneté dans l’entreprise et de l’effectif de celle-ci ». La salariée était à l’initiative de la rupture et son ancienneté demeurait limitée.

En revanche, la cour rejette la demande d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement. Elle rappelle que l’article L.1235-2 alinéa 5 du code du travail « suppose un licenciement intervenu pour une cause réelle et sérieuse ». Cette indemnité procédurale ne se cumule pas avec l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse. La salariée ne pouvait donc prétendre qu’aux dommages et intérêts réparant l’absence de cause réelle et sérieuse, lesquels englobent l’ensemble du préjudice résultant de la rupture irrégulière.

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Hassan KOHEN
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