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La cour d’appel d’Amiens, statuant en matière de tarification de l’assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles, a rendu le 20 juin 2025 un arrêt ordonnant un sursis à statuer. Cette décision illustre l’articulation procédurale entre le contentieux de la tarification et celui de l’inopposabilité.
Une société employeur contestait l’imputation à son compte du coût d’une maladie professionnelle déclarée par l’un de ses salariés. Elle sollicitait à titre principal le constat de l’absence de preuve de l’exposition au risque, et à titre subsidiaire l’inscription au compte spécial en raison d’une multi-exposition. In limine litis, elle demandait un sursis à statuer dans l’attente d’une décision d’appel portant sur l’opposabilité de la prise en charge.
Le tribunal judiciaire de Lille, par jugement du 4 juin 2024, avait rejeté la demande d’inopposabilité formée par l’employeur. Celui-ci avait interjeté appel de cette décision. Parallèlement, la société avait saisi la cour d’appel d’Amiens au titre du contentieux de la tarification pour contester l’imputation du sinistre à son compte employeur.
La question posée à la juridiction était de déterminer si elle devait surseoir à statuer sur la demande de retrait du compte employeur dans l’attente d’une décision définitive sur l’opposabilité de la prise en charge.
La cour d’appel d’Amiens a fait droit à la demande de sursis. Elle a considéré qu’« il apparaît nécessaire dans ces conditions, et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer sur la demande de retrait du compte employeur de la société du sinistre litigieux jusqu’à ce que soit intervenue une décision passée en force de chose jugée sur l’opposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge ».
L’arrêt commenté présente un intérêt certain quant à l’office du juge de la tarification confronté à une contestation pendante de l’opposabilité (I), et permet d’apprécier les enjeux pratiques de cette articulation contentieuse pour l’employeur (II).
I. L’office du juge de la tarification face à une contestation d’opposabilité pendante
La cour d’appel d’Amiens précise les contours de sa compétence en matière de tarification (A) avant de justifier le recours au sursis à statuer par l’existence d’une question préalable relevant d’une autre juridiction (B).
A. La délimitation des compétences respectives des juridictions
La cour rappelle la répartition des compétences issue de la combinaison des articles L. 211-16 et L. 311-6 du code de l’organisation judiciaire avec l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale. Le contentieux général de la sécurité sociale relève des tribunaux judiciaires spécialement désignés. Le contentieux de la tarification, visé au 7° de l’article L. 142-1, relève quant à lui de la compétence de la cour d’appel d’Amiens.
Cette répartition traduit la spécificité technique du contentieux de la tarification. Celui-ci porte sur les modalités de calcul des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles. Il se distingue du contentieux de l’opposabilité, lequel porte sur la régularité de la procédure de reconnaissance au regard des droits de la défense de l’employeur.
La cour se fonde expressément sur l’article R. 142-1-A du code de la sécurité sociale. Ce texte dispose que la juridiction de tarification « ne peut connaître d’un moyen de défense tiré de l’inopposabilité de la décision de prise en charge ». La règle consacre ainsi l’incompétence matérielle du juge de la tarification pour trancher une question d’opposabilité.
B. La nécessité du sursis à statuer en présence d’une instance parallèle
L’article R. 142-1-A poursuit en imposant au juge de la tarification de surseoir à statuer « si cette autre juridiction est déjà saisie » et « lorsque la demande lui en est faite ». Les deux conditions étaient réunies en l’espèce. La cour d’appel compétente en matière de sécurité sociale était saisie de l’appel du jugement de Lille. L’employeur avait expressément sollicité le sursis.
La cour d’appel d’Amiens justifie également sa décision par « l’intérêt d’une bonne administration de la justice ». Cette formule renvoie à l’article 378 du code de procédure civile qui régit le sursis à statuer. Elle traduit le souci d’éviter des décisions contradictoires. Si le juge de la tarification statuait sur l’imputation alors que l’inopposabilité venait ultérieurement à être prononcée, la décision de tarification perdrait son objet.
La décision présente une cohérence certaine avec les règles processuelles applicables. Elle respecte le principe selon lequel la question préalable doit être tranchée avant la question principale. L’opposabilité conditionne en effet la possibilité même d’imputer le sinistre au compte de l’employeur.
II. Les enjeux pratiques de l’articulation des contentieux pour l’employeur
Le sursis à statuer présente des avantages pour l’employeur contestataire (A) mais engendre également des conséquences sur la durée de la procédure et la situation comptable (B).
A. La préservation des droits de l’employeur par le sursis à statuer
L’employeur avait développé une stratégie contentieuse sur deux fronts. Il contestait d’une part l’opposabilité de la prise en charge devant le juge du contentieux général. Il sollicitait d’autre part le retrait du sinistre de son compte devant le juge de la tarification. Le sursis permet de ne pas préjuger de l’issue du litige d’opposabilité.
Si l’employeur obtient gain de cause en appel sur l’inopposabilité, la question de l’imputation au compte spécial deviendra sans objet. La décision de prise en charge ne pourra lui être opposée. Il ne supportera pas le coût du sinistre dans le calcul de son taux de cotisation. Cette issue serait plus favorable qu’une simple inscription au compte spécial.
La demande subsidiaire de l’employeur portait sur l’inscription au compte spécial en raison d’une multi-exposition du salarié. L’article 2 5° de l’arrêté du 16 octobre 1995 permet cette inscription lorsque le salarié a été exposé au risque chez plusieurs employeurs. Le sursis préserve cette option si l’inopposabilité venait à être rejetée. L’employeur conserve ainsi l’ensemble de ses moyens de défense.
B. Les conséquences temporelles et comptables du sursis
Le sursis à statuer suspend le cours de l’instance conformément à l’article 378 du code de procédure civile. La procédure de tarification demeurera en sommeil jusqu’à une décision « passée en force de chose jugée ». Cette formulation implique l’épuisement des voies de recours ordinaires. Un éventuel pourvoi en cassation prolongerait encore l’attente.
Pendant la durée du sursis, l’imputation du sinistre au compte employeur demeure en l’état. Les taux de cotisation calculés pour les années 2022 et suivantes continuent de s’appliquer provisoirement. L’employeur supporte cette charge financière dans l’attente d’une éventuelle régularisation. La cour a d’ailleurs réservé les dépens, ce qui traduit le caractère interlocutoire de sa décision.
L’arrêt illustre la complexité du contentieux de la tarification des accidents du travail. L’employeur doit mener de front plusieurs procédures devant des juridictions distinctes. La durée globale du litige s’en trouve allongée. Cette situation résulte toutefois de l’architecture contentieuse voulue par le législateur, laquelle distingue nettement les questions d’opposabilité et de tarification.