Cour d’appel de Amiens, le 25 juin 2025, n°24/01731

Rendue par la Cour d’appel d’Amiens, 5e chambre prud’homale, le 25 juin 2025, la décision tranche plusieurs prétentions liées à l’exécution et à la rupture d’un contrat de travail. Les points saillants portent sur la preuve des heures supplémentaires, le remboursement de frais kilométriques, la classification conventionnelle, l’obligation de sécurité et la validité d’une rupture conventionnelle.

Les faits tiennent à l’embauche d’un salarié comme agent de sécurité, d’abord à temps partiel puis à temps plein, avec évolution de coefficient. Une rupture conventionnelle a été signée en octobre 2021. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour contester cette rupture et solliciter des rappels de salaires, dommages et intérêts et remboursement de frais.

Par jugement du Conseil de prud’hommes d’Amiens du 2 avril 2024, la rupture conventionnelle a été jugée valable, les demandes relatives aux heures supplémentaires et à divers manquements rejetées, et des indemnités kilométriques allouées. À la suite d’une procédure collective ouverte à l’encontre de l’employeur, la liquidation judiciaire est intervenue. En appel, le salarié a demandé l’annulation de la rupture conventionnelle et la fixation de diverses créances au passif ; le liquidateur a sollicité la confirmation du jugement, sauf sur les frais kilométriques.

La question centrale réside dans l’articulation des règles probatoires relatives au temps de travail et aux frais professionnels avec les principes gouvernant la validité d’une rupture conventionnelle. Accessoirement, la cour devait apprécier la pertinence d’une reclassification et l’existence d’un manquement à l’obligation de sécurité. La juridiction confirme la validité de la rupture, rejette les frais kilométriques, refuse la reclassification et le manquement à la sécurité, mais accueille la demande d’heures supplémentaires en fixant la créance afférente au passif.

I – Le sens de la décision

A – Le régime probatoire des heures supplémentaires, confirmé et appliqué

La cour rappelle un cadre désormais classique du contrôle probatoire. Elle énonce que « Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. » Elle ajoute que, « Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant. »

Cette formulation confirme la méthode en deux temps : éléments suffisamment précis fournis par le salarié, puis réponse utile de l’employeur. La solution accueille la demande limitée à une période déterminée, au regard de plannings annotés, l’employeur n’ayant pas produit d’éléments fiables et opposables. La condamnation au rappel de salaire et congés payés afférents s’inscrit dans cette logique de conviction raisonnablement construite.

La portée pédagogique est nette. La décision incite l’employeur à conserver un dispositif de suivi fiable et infalsifiable, faute de quoi le doute est levé par l’insuffisance de ses réponses. La méthode d’évaluation souveraine, sans détail mathématique, sécurise le juge du fond et consacre l’équilibre probatoire voulu par le droit du travail.

B – Les demandes relatives à l’exécution du contrat, écartées pour défaut de preuve

S’agissant de la sécurité, la cour rappelle que « L’employeur tenu d’une obligation de sécurité en application de l’article L.4121-1 du code du travail doit en assurer l’effectivité. » Elle en déduit toutefois que les éléments produits ne caractérisent ni l’exigence d’un recyclage impératif au regard des fonctions réellement exercées, ni un dysfonctionnement permanent des dispositifs de protection. L’absence d’éléments probants contemporains écarte le manquement invoqué.

La revendication de reclassification est examinée à l’aune d’un principe constant : « La qualification professionnelle d’un salarié se détermine selon les fonctions réellement et concrètement exercées. » L’arrêt rappelle encore que « Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente […] de démontrer qu’il assure de façon permanente […] des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique. » Les pièces versées ne démontrent pas l’exercice stable des attributions spécifiques alléguées, de sorte que la demande est rejetée.

Enfin, le remboursement des frais kilométriques est refusé, faute d’établissement du caractère professionnel des trajets au-delà du domicile vers le lieu habituel de travail. La cour précise utilement que « Le lieu de travail habituel d’un salarié est l’endroit où il accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de l’employeur. » L’insuffisance des justificatifs et le caractère parcellaire des plannings ne permettent pas d’asseoir une créance certaine, conduisant à l’infirmation du jugement sur ce point.

II – Valeur et portée

A – La validité de la rupture conventionnelle, exigeant un vice caractérisé

La solution confirme une ligne claire en matière de rupture conventionnelle. La cour énonce que « La nullité de la convention de rupture ne peut être prononcée qu’en cas de démonstration par le salarié que son consentement a été vicié ou que la convention est entachée de fraude. » Elle souligne également que « Par ailleurs, l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend […] n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture […] à la condition qu’aucune menace, pression ou contrainte ne soit être exercée contre le salarié pour qu’il signe sa rupture. »

Les griefs avancés, parfois anciens et ponctuels, ne forment pas un ensemble de contraintes caractérisées. L’absence d’éléments contemporains, précis et concordants, exclut l’erreur, le dol ou la violence au sens des articles 1130 et 1140 du code civil. La valeur de l’arrêt tient à la réaffirmation d’un standard probatoire rigoureux, préservant l’équilibre de l’instrument conventionnel sans le priver de sécurité.

Cette approche s’inscrit dans le droit positif, qui admet la coexistence d’un différend et d’une négociation valide, dès lors que le consentement est libre et éclairé. La vigilance reste requise sur la conduite de la procédure, mais la contestation postérieure ne saurait suppléer la preuve manquante d’un vice déterminant.

B – Incidences pratiques en procédure collective et gouvernance probatoire

L’arrêt fixe au passif les créances salariales retenues et ordonne la délivrance de documents rectifiés sans astreinte, mesure proportionnée en l’absence de résistance établie. L’opposabilité est précisée dans les limites de la garantie légale, laquelle ne couvre pas les frais irrépétibles, ce qui rappelle la nature finale du contentieux en contexte collectif.

Sur le terrain probatoire, la décision réitère l’intérêt d’une traçabilité effective du temps de travail, singulièrement lorsque la paie intègre des variations hebdomadaires. L’énoncé selon lequel « Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable » invite à une conformité opérationnelle stricte. À défaut, le contentieux s’oriente vers des corrections judiciaires et des fixations de créances incontestables.

La combinaison de rejets pour défaut de preuve et d’admissions pour carence de l’employeur exprime une ligne d’équilibre, lisible et utile aux praticiens. Elle éclaire la portée des pièces attendues, circonscrit les prétentions indemnitaires accessoires et sécurise la mise en œuvre d’une rupture conventionnelle en présence d’un différend non coercitif.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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