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La durée du travail et sa preuve demeurent des questions contentieuses majeures du droit social. La cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 26 juin 2025, apporte une illustration significative des règles probatoires applicables aux heures supplémentaires et à la qualification du licenciement pour faute grave.
Un salarié, engagé le 9 septembre 2021 en qualité de responsable maintenance avec reprise d’ancienneté au 14 septembre 2020, est licencié pour faute grave le 4 avril 2022. La lettre de licenciement lui reproche plusieurs manquements : connexion non autorisée de la messagerie professionnelle sur son téléphone personnel, modification des identifiants de l’ordinateur du directeur, intervention auprès du comptable concernant la paie d’un autre salarié, occupation de postes sans rapport avec ses fonctions, coupure de l’air comprimé du compresseur et négligence dans l’entretien d’une machine de production. Le salarié conteste son licenciement et réclame le paiement d’heures supplémentaires.
Le conseil de prud’hommes de Saint-Quentin, par jugement du 8 avril 2024, requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l’employeur au paiement de diverses sommes. Les deux parties interjettent appel.
La question posée à la cour d’appel d’Amiens est double : d’une part, quelles sont les règles de preuve applicables aux heures supplémentaires et comment le juge doit-il apprécier les éléments produits par les parties ; d’autre part, les faits reprochés au salarié sont-ils constitutifs d’une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.
La cour rappelle le régime probatoire des heures supplémentaires tel qu’il résulte des articles L.3171-3 et L.3171-4 du code du travail : le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement. Elle souligne que la preuve est libre et que l’absence de système objectif de mesure du temps de travail ne prive pas l’employeur du droit de soumettre ses propres éléments au débat contradictoire.
L’examen des règles probatoires en matière d’heures supplémentaires révèle l’équilibre recherché par la jurisprudence (I), tandis que l’appréciation de la faute grave met en lumière les exigences de caractérisation des manquements reprochés au salarié (II).
I. Le régime probatoire des heures supplémentaires : un partage de la charge de la preuve
A. L’exigence de précision des éléments produits par le salarié
La cour d’appel d’Amiens rappelle avec clarté le mécanisme probatoire applicable aux heures supplémentaires. Il appartient au salarié de présenter « des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies ». Cette exigence de précision constitue le seuil minimal permettant d’engager le débat contradictoire.
La jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement affiné cette exigence. L’arrêt du 18 mars 2020 a marqué un tournant en abandonnant la notion d’éléments « de nature à étayer » la demande au profit de celle d’éléments « suffisamment précis ». Cette évolution sémantique traduit un allègement de la charge pesant sur le salarié, qui n’a plus à démontrer la réalité des heures mais seulement à fournir des données exploitables.
Le salarié peut recourir à tout mode de preuve : décomptes manuscrits, tableaux récapitulatifs, attestations, courriels horodatés ou agendas. L’absence de système de pointage dans l’entreprise ne saurait lui être opposée. La cour souligne d’ailleurs que « la preuve est libre dans le cadre d’un litige prud’homal ».
B. L’obligation de réponse de l’employeur et le rôle du juge
Une fois les éléments produits par le salarié, l’employeur doit y répondre utilement. La cour précise qu’il « assure le contrôle des heures de travail effectuées ». Cette obligation légale de contrôle fonde la légitimité de l’inversion partielle de la charge de la preuve.
L’employeur peut produire tout élément contradictoire : plannings, relevés de badgeuse, témoignages ou organisation du travail. L’absence de mise en place d’un système objectif de mesure du temps de travail, contraire à la directive européenne 2003/88, « ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve ». Cette précision illustre la volonté de la cour de maintenir l’équilibre processuel malgré les carences de l’employeur dans l’organisation du contrôle du temps de travail.
Le juge forme ensuite sa conviction au regard de l’ensemble des éléments. Il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation et peut, le cas échéant, évaluer forfaitairement le montant des heures supplémentaires dues. Cette méthode d’évaluation judiciaire garantit l’effectivité du droit à rémunération du salarié.
II. La qualification de la faute grave : une exigence de caractérisation rigoureuse
A. La définition de la faute grave et la charge de la preuve
La faute grave se définit comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis. Elle prive le salarié des indemnités de rupture et justifie la mise à pied conservatoire. La charge de la preuve pèse exclusivement sur l’employeur qui l’invoque.
En l’espèce, la lettre de licenciement énumère plusieurs griefs de nature différente. Certains relèvent d’un accès non autorisé aux systèmes informatiques, d’autres d’une immixtion dans la gestion du personnel, d’autres encore de négligences techniques. Cette accumulation de reproches hétérogènes interroge sur la cohérence du motif invoqué.
La rédaction de la lettre de licenciement présente des maladresses formelles significatives. Des formulations telles que « ça était la raison au quelle vous étiez embauché » ou « vous n’a jamais effectué ce travail » révèlent un défaut de rigueur dans l’élaboration du grief. Ces approximations, sans affecter la validité formelle du licenciement, peuvent influencer l’appréciation judiciaire de la réalité et du sérieux des faits reprochés.
B. L’appréciation judiciaire des manquements invoqués
Le conseil de prud’hommes a estimé que les faits reprochés ne caractérisaient pas une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement. Cette appréciation suppose que l’employeur n’a pas rapporté la preuve des manquements allégués ou que ceux-ci, à les supposer établis, ne présentaient pas le degré de gravité requis.
Plusieurs griefs méritent une analyse critique. L’accès à la messagerie professionnelle depuis un téléphone personnel peut relever d’une pratique courante dans certaines entreprises, surtout pour un responsable maintenance susceptible d’être sollicité en dehors des horaires habituels. L’intervention auprès du comptable, qualifiée de « divulgation d’informations mensongère », aurait nécessité une démonstration précise du caractère fautif de la démarche du salarié.
Les reproches techniques, notamment la coupure du compresseur et le défaut de serrage des écrous, supposaient la production d’éléments probants établissant l’imputabilité au salarié et l’intentionnalité ou la négligence caractérisée. La seule affirmation de l’employeur ne saurait suffire à établir une faute grave, laquelle exige une démonstration rigoureuse.
La décision illustre ainsi la vigilance des juridictions sociales dans le contrôle des licenciements disciplinaires et leur refus d’admettre la qualification de faute grave en l’absence de preuves suffisantes des manquements allégués.