Cour d’appel de Amiens, le 26 juin 2025, n°24/01765

Un masseur-kinésithérapeute exerçant dans le département du Pas-de-Calais a fait l’objet d’un contrôle administratif de son activité par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois. Ce contrôle, portant sur la période du 1er janvier 2018 au 31 mars 2019, a révélé plusieurs anomalies de facturation. Le 25 août 2020, la caisse lui a notifié un indu de 7 068,01 euros correspondant à des prescriptions utilisées au-delà de leur validité, des déplacements non prescrits, des séances non conformes à la nomenclature générale des actes professionnels et des actes non réalisés. Le 2 novembre 2020, la directrice de la caisse lui a également notifié un avertissement. Le professionnel de santé a contesté ces décisions devant la commission de recours amiable, qui a rejeté son recours le 2 avril 2021.

Le pôle social du tribunal judiciaire d’Arras, par jugement du 12 mars 2024, a condamné le praticien au paiement de 5 955,88 euros après avoir annulé partiellement l’indu. Le tribunal a confirmé l’avertissement et débouté le masseur-kinésithérapeute du surplus de ses demandes. Les deux parties ont interjeté appel de cette décision.

Le praticien soutenait principalement que la procédure de contrôle était irrégulière faute de notification suffisamment précise des griefs, que les procès-verbaux d’audition des patients manquaient de force probante et que la caisse ne rapportait pas la preuve des anomalies invoquées. La caisse sollicitait quant à elle la confirmation de l’intégralité de l’indu initial.

La cour d’appel d’Amiens devait déterminer si le contrôle administratif était régulier, si les différentes anomalies de facturation étaient établies et si l’avertissement était justifié.

Par arrêt du 26 juin 2025, la cour d’appel d’Amiens a partiellement infirmé le jugement en condamnant le masseur-kinésithérapeute au paiement de 6 495,97 euros, soit un montant supérieur à celui retenu par les premiers juges mais inférieur à celui initialement réclamé par la caisse.

La solution rendue par la cour d’appel d’Amiens s’articule autour de deux axes principaux. Elle procède à une analyse rigoureuse des conditions de régularité du contrôle et de la preuve des anomalies de facturation (I), puis elle précise le régime applicable aux différentes infractions aux règles de tarification et de facturation (II).

I. Le contrôle de la régularité procédurale et de la preuve des anomalies

La cour examine successivement la validité formelle de la procédure de contrôle (A) avant d’apprécier la valeur probante des éléments recueillis par l’agent assermenté (B).

A. La conformité de la notification de payer aux exigences textuelles

La cour rappelle les dispositions de l’article R. 133-9-1 du code de la sécurité sociale selon lesquelles « la notification de payer précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées et la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement ». Elle relève que le praticien avait été informé des résultats du contrôle par courrier du 10 août 2020, qu’il avait formulé des observations détaillées patient par patient les 13 et 14 août 2020 et que la notification de payer était accompagnée de tableaux récapitulatifs mentionnant l’ensemble des informations requises.

La cour approuve les premiers juges d’avoir retenu que le professionnel « était à même, en tant que professionnel de santé responsable de sa facturation, d’étudier le tableau en rapport avec sa propre facturation et de comprendre les griefs reprochés ». Cette solution consacre une appréciation concrète de l’exigence d’information du débiteur de l’indu. Elle implique que la régularité de la notification s’apprécie au regard de la capacité effective du destinataire à comprendre et contester les griefs qui lui sont opposés. Le fait que le praticien ait pu formuler des observations circonstanciées démontre qu’il disposait des éléments nécessaires à l’exercice de ses droits de la défense.

B. La force probante des procès-verbaux d’audition et des attestations contradictoires

La cour vérifie d’abord que l’agent de contrôle disposait bien de l’assermentation et de l’agrément requis par l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale. Elle constate la production de la décision d’agrément du directeur général de la caisse nationale de l’assurance maladie du 1er février 2018, de la carte d’identité professionnelle et du procès-verbal de prestation de serment du 9 septembre 2016.

La cour rappelle que les procès-verbaux dressés par l’agent assermenté « font foi jusqu’à preuve du contraire ». Elle relève que ces documents comportent la signature de chaque assuré et mentionnent le numéro de carte nationale d’identité de chaque patient auditionné. S’agissant des attestations produites par le praticien pour contredire ces procès-verbaux, la cour précise que « si elles sont à prendre avec précaution en ce qu’elles ont été rédigées à sa demande, bien après les soins qu’il a dispensés, pour contredire les constatations de l’agent en charge du contrôle, elles n’en demeurent pas moins un élément de preuve dont il appartient à la cour d’apprécier la valeur probante ».

Cette motivation traduit une approche équilibrée de l’administration de la preuve en matière de contrôle des prestations sociales. La présomption de véracité attachée aux procès-verbaux n’est pas irréfragable mais elle impose au professionnel contrôlé de produire des éléments suffisamment probants pour la renverser. Des attestations tardives, sollicitées par l’intéressé lui-même et portant sur des faits anciens, ne sauraient systématiquement prévaloir sur des déclarations recueillies à une époque plus proche des faits par un agent assermenté.

II. Le régime des infractions aux règles de tarification et de facturation

La cour distingue les anomalies relatives à la conformité des actes aux prescriptions médicales (A) de celles tenant au non-respect des conditions de réalisation des soins (B).

A. L’encadrement strict de l’utilisation des prescriptions médicales

La cour statue sur plusieurs cas de prescriptions utilisées au-delà de leur validité. Elle juge que « contrairement à ce que soutient M. [M], la durée de validité d’une prescription s’apprécie à compter de la date à laquelle elle a été rédigée ». Elle écarte l’argument tiré de la loi du 26 avril 2021 permettant aux masseurs-kinésithérapeutes de renouveler les prescriptions de moins d’un an, cette loi n’étant pas applicable aux faits de l’espèce.

La cour rappelle également que « si le médecin prescripteur a précisé sa prescription, celle-ci s’impose au masseur-kinésithérapeute ». Elle rejette systématiquement les tentatives du praticien de justifier a posteriori des dépassements du nombre de séances prescrites par la production d’ordonnances qu’il aurait omis d’utiliser lors de la facturation initiale. La cour retient que « la production a posteriori d’une ordonnance, laquelle avait déjà été utilisée en support d’autres soins, était inopérante en ce que les soins dont il était réclamé le remboursement avaient bien été déclarés sous celle » de la prescription litigieuse.

S’agissant des frais de déplacement, la cour infirme le jugement qui avait considéré que l’exigence d’une mention « à domicile » dans la prescription ne reposait sur aucun fondement juridique. Elle juge qu’« il résulte de la combinaison des textes précités que la prise en charge par l’assurance maladie des frais de déplacement, exposés par un masseur-kinésithérapeute à l’occasion de la réalisation à domicile d’actes du titre XIV, est subordonnée à la prescription par un médecin de soins à réaliser à domicile ». Cette solution renforce l’encadrement des conditions de prise en charge et limite l’autonomie du masseur-kinésithérapeute dans la détermination du lieu d’exécution des soins.

B. L’exigence d’une durée effective de soins conforme à la nomenclature

La cour examine les griefs relatifs au non-respect de la durée individuelle de trente minutes prévue par les dispositions liminaires du titre XIV de la nomenclature générale des actes professionnels. Elle précise que « la durée d’une séance, sans être nécessairement de trente minutes, doit néanmoins en être proche » et qu’« il n’y a aucune obligation pour la caisse d’effectuer une moyenne des soins dès lors qu’elle a fait le choix d’auditionner directement les patients ».

La cour valide le raisonnement selon lequel un praticien accueillant simultanément trois ou quatre patients au cours d’une séance de balnéothérapie d’une heure « ne pouvait consacrer à chacun d’eux trente minutes ». Elle écarte les attestations des associés du praticien attestant que plusieurs masseurs-kinésithérapeutes pouvaient superviser simultanément le bassin, considérant qu’elles ne contredisent pas utilement les déclarations des patients indiquant qu’un seul professionnel était présent lors de leurs séances.

La solution retenue par la cour pour la patiente dont les déclarations établissaient qu’elle bénéficiait bien de trente minutes de soins individuels lors des séances de kinésithérapie illustre toutefois la nécessité d’une appréciation au cas par cas. La cour annule partiellement l’indu à hauteur de 572,04 euros correspondant aux séances de kinésithérapie, tout en maintenant l’indu relatif aux suppléments de balnéothérapie pour lesquels la durée de présence du praticien n’était pas établie.

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Hassan KOHEN
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