Cour d’appel de Amiens, le 28 août 2025, n°24/01715

Par un arrêt du 28 août 2025, la cour d’appel d’Amiens tranche un contentieux d’imputabilité des soins consécutifs à un accident du travail. Un salarié a chuté le 5 décembre 2016, un certificat initial mentionnant des douleurs de cheville gauche et de hanche droite avec arrêt. La caisse a pris en charge l’accident au titre des risques professionnels, l’employeur contestant l’imputabilité des prolongations postérieures à la fin décembre 2016.

Après un premier jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lille du 1er février 2024, une expertise sur pièces a été réalisée. L’employeur a relevé appel et sollicité l’inopposabilité des arrêts et soins à compter du 29 décembre 2016, sur la base des conclusions expertales. La caisse a demandé la confirmation et l’opposabilité de l’ensemble des prestations jusqu’à la consolidation intervenue le 13 novembre 2022.

La question posée est celle de l’étendue de la présomption d’imputabilité en présence d’un arrêt initial et de la preuve d’une cause étrangère. La cour rappelle le principe directeur de l’espèce: « Dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail, la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime. Il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption de démontrer qu’une cause totalement étrangère au travail ou un état pathologique antérieur à l’accident serait à l’origine des soins et arrêts de travail contestés. » Appliquant ces principes, la cour confirme la solution de première instance, faute pour l’employeur d’établir une cause étrangère exclusive aux soins contestés.

I. Le fondement et l’étendue de la présomption d’imputabilité

A. Activation par l’arrêt initial et unité des lésions

La solution repose sur la présomption déclenchée par le certificat initial accompagné d’un arrêt, qui couvre toute l’incapacité jusqu’à la consolidation. La cour souligne l’identité du siège et de la nature des lésions tout au long des certificats de prolongation établis après l’accident. « Il est d’ailleurs relevé que l’ensemble des certificats médicaux de prolongation mentionnent tous une douleur à la cheville gauche et à la hanche droite. » Ce rappel factuel justifie l’application continue de la présomption, l’unité lésionnelle neutralisant l’argument des symptômes prétendument nouveaux.

B. Charge probatoire et exigence de cause étrangère exclusive

Le cœur du litige concerne la charge de la preuve, que la cour place sur l’employeur contestant l’imputabilité des arrêts et soins postérieurs. « Il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption de démontrer qu’une cause totalement étrangère au travail ou un état pathologique antérieur à l’accident serait à l’origine des soins et arrêts de travail contestés. » La cour précise l’intensité requise, en rappelant que la cause étrangère doit expliquer seule les arrêts et soins litigieux. « Dans cette hypothèse, l’employeur doit démontrer que la cause étrangère est la cause exclusive des soins et arrêts dont il conteste l’imputation à l’accident du travail. » Ainsi, un simple état antérieur décompensé par l’accident ne renverse pas la présomption, sauf preuve positive d’une autonomie étiologique complète. Reste à apprécier la valeur du contrôle exercé sur l’expertise et la portée pratique de cette solution.

II. Le contrôle de l’expertise et la portée de la solution

A. Appréciation souveraine et insuffisance d’une expertise imprécise

L’expertise retenue en première instance a fixé une consolidation au 29 décembre 2016 et évoqué une cause étrangère, sans en caractériser la nature. La cour relève l’absence d’identification précise et d’exclusivité, conditions nécessaires au renversement de la présomption légale. « Il est à noter que les examens complémentaires ultérieurs du 2 et du 7 février 2017 ne montrent pas de lésion ligamentaire de la cheville. » Surtout, la mention d’une cruralgie ne constitue pas un fait nouveau dès lors que la douleur de hanche était déjà visée au certificat initial. Le raisonnement expertal, demeuré allusif sur la causalité, ne pouvait suffire à établir une origine totalement étrangère au travail.

B. Cohérence jurisprudentielle et implications pratiques

La solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante, sécurisant l’opposabilité des soins jusqu’à la consolidation, lorsque l’arrêt initial a été prescrit. La cour rappelle en conséquence la règle de preuve et en tire la conclusion procédurale adéquate. « Il convient donc de confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille le 1er février 2024. » Pour les employeurs, la démonstration utile suppose des éléments médicaux circonstanciés établissant une cause autonome et exclusive, indépendante des lésions initialement constatées. À défaut, la présomption d’imputabilité conserve toute sa force, d’autant plus lorsque les certificats décrivent une identité de siège et de nature des lésions. La décision confirme ainsi la centralité du critère d’exclusivité et rappelle que l’expertise ne lie pas le juge lorsqu’elle demeure équivoque.

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Hassan KOHEN
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