Cour d’appel de Amiens, le 3 juillet 2025, n°23/02025

La question du calcul de la réduction générale des cotisations sociales, communément désignée sous le nom de réduction Fillon, constitue un enjeu financier majeur pour les employeurs comme pour les organismes de recouvrement. La proratisation de cette réduction en cas d’absence du salarié obéit à des règles précises dont la méconnaissance expose l’employeur à un redressement.

La cour d’appel d’Amiens, par un arrêt du 3 juillet 2025, apporte d’utiles précisions sur les modalités de calcul de cette réduction et sur la charge de la preuve incombant à l’employeur qui entend contester les constatations de l’inspecteur du recouvrement.

Une association gestionnaire d’établissements a fait l’objet d’un contrôle d’assiette portant sur les années 2015 à 2017. Par lettre d’observations du 28 septembre 2018, l’organisme de recouvrement lui a notifié un redressement de cotisations d’un montant de 65 664 euros. Ce redressement portait notamment sur des anomalies dans le calcul de la réduction générale des cotisations en cas d’absence maladie ou d’entrée et sortie de salariés en cours de mois. L’association a contesté ce redressement devant la commission de recours amiable, qui a ramené le montant du chef de redressement litigieux de 33 068 euros à 16 901 euros. Elle a ensuite saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais, qui a annulé le redressement par jugement du 23 mars 2023.

L’organisme de recouvrement a interjeté appel de cette décision. L’association, intimée, a formé appel incident aux fins d’obtenir le remboursement d’une somme qu’elle estimait lui être due au titre d’un recalcul de la réduction générale des cotisations.

La cour devait déterminer si la procédure de contrôle et la mise en demeure étaient régulières. Elle devait également se prononcer sur le bien-fondé du redressement relatif à la proratisation de la réduction générale des cotisations, et plus particulièrement sur la question de savoir si la prime d’ancienneté devait être intégrée dans le calcul de cette réduction lorsque le salarié est absent.

La cour d’appel d’Amiens infirme le jugement entrepris. Elle déclare régulières la procédure de contrôle et la mise en demeure. Elle valide le redressement et condamne l’association au paiement de la somme de 16 901 euros. Elle juge que les éléments produits par l’employeur sont insuffisants à démontrer que la prime d’ancienneté serait affectée par l’absence du salarié et qu’elle devrait donc être incluse dans l’assiette de calcul de la réduction.

Cette décision invite à examiner successivement la régularité de la procédure de contrôle et de la mise en demeure (I), puis les conditions d’intégration des primes dans le calcul de la réduction générale des cotisations (II).

I. La régularité de la procédure de contrôle et de la mise en demeure

La cour se prononce tant sur les exigences formelles de la lettre d’observations (A) que sur celles de la mise en demeure (B).

A. Les exigences relatives à la lettre d’observations

L’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale impose que la lettre d’observations mentionne l’ensemble des documents consultés par l’inspecteur du recouvrement. L’association soutenait que la liste figurant dans la lettre était lacunaire et imprécise, sans indication de temporalité.

La cour écarte ces moyens par une motivation pragmatique. Elle relève d’abord que « l’absence de mention des pièces litigieuses dans la liste des documents consultés peut être suppléée par la référence à ces éléments dans le corps de la lettre d’observations ». Elle ajoute qu’ « aucune disposition légale ou réglementaire n’impose à l’URSSAF de dresser une liste détaillée de toutes les pièces consultées, ni même de les mentionner en un emplacement unique ».

Cette position s’inscrit dans une jurisprudence établie qui privilégie le respect effectif du contradictoire sur le formalisme excessif. La finalité de la liste des documents consultés est de permettre au cotisant de vérifier les bases du redressement et de formuler ses observations. Dès lors que cette finalité est atteinte, l’imprécision de la liste ne saurait emporter la nullité du contrôle.

S’agissant du traitement automatisé des données, la cour rappelle que l’article R. 243-59-1 du code de la sécurité sociale n’impose de recueillir l’accord du cotisant que lorsque l’inspecteur souhaite utiliser le matériel informatique de ce dernier. En l’absence de preuve d’un tel recours, le moyen est rejeté. Cette interprétation stricte du texte préserve l’efficacité des contrôles tout en garantissant les droits du cotisant lorsqu’une intrusion dans son système informatique est envisagée.

B. La régularité de la mise en demeure

L’article R. 244-1 du code de la sécurité sociale exige que la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées. L’association contestait la suffisance de la mention « régime général » pour caractériser la nature des cotisations dues.

La cour valide la mise en demeure en relevant qu’elle « fait référence à la lettre d’observations qui comporte elle des explications détaillées sur les chefs de redressement et plaçait, de ce fait, la cotisante en situation de connaître la cause, la nature et l’étendue de son obligation ». Cette solution consacre le principe selon lequel la mise en demeure et la lettre d’observations forment un ensemble indissociable pour l’appréciation du respect du contradictoire.

L’association reprochait également à l’organisme de ne pas lui avoir communiqué le rapport de contrôle. La cour rejette ce moyen en affirmant que « ce rapport constitue un document interne à destination exclusive de l’organisme ». Cette position, conforme à la lettre de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, distingue nettement les documents destinés au cotisant de ceux relevant du fonctionnement interne de l’organisme.

II. Les conditions d’intégration des primes dans le calcul de la réduction générale

La cour précise les règles de proratisation de la réduction (A) avant de statuer sur la charge de la preuve (B).

A. Les règles de proratisation en cas d’absence

L’article D. 241-7 du code de la sécurité sociale prévoit que la fraction du SMIC servant au calcul de la réduction doit être corrigée « selon le rapport entre la rémunération versée et celle qui aurait été versée si le salarié avait été présent tout le mois, hors éléments de rémunération qui ne sont pas affectés par l’absence ».

La cour rappelle que seuls « les éléments entrant dans le calcul de la retenue sur salaire liée à cette absence » doivent être pris en compte dans le rapport de proratisation. Cette formulation distingue deux catégories d’éléments de rémunération : ceux dont le montant varie en fonction de la durée de présence effective du salarié, qui doivent être intégrés au calcul ; ceux qui demeurent constants indépendamment des absences, qui doivent en être exclus.

L’enjeu de cette distinction est considérable. L’intégration d’un élément non affecté par l’absence dans le numérateur du rapport de proratisation conduit à majorer artificiellement la réduction dont bénéficie l’employeur. Le redressement sanctionne précisément cette majoration indue.

La cour relève par ailleurs que les contrats aidés bénéficiant d’un dispositif d’allègement propre ne peuvent se cumuler avec la réduction générale. Elle constate également que l’association ne conteste pas les erreurs relatives aux contrats à durée déterminée successifs et à la prise en compte du décalage de la paie. Ces points, non discutés, viennent conforter le bien-fondé du redressement.

B. La charge de la preuve de l’affectation de la prime par l’absence

La question centrale portait sur l’intégration de la prime d’ancienneté dans le calcul de la réduction. L’association soutenait que cette prime, étant réduite en cas d’absence, devait être prise en compte dans le rapport de proratisation.

La cour fait peser la charge de la preuve sur l’employeur en affirmant qu’ « il incombe à l’association de démontrer que cette prime doit être intégrée au calcul de la réduction Fillon ». Cette répartition se justifie par le principe selon lequel les constatations de l’inspecteur du recouvrement font foi jusqu’à preuve du contraire.

L’examen des preuves produites révèle leur insuffisance. Le tableau comparatif de la situation de deux salariées « est insuffisant à démontrer que la prime d’ancienneté est bien affectée par l’absence, faute de précision sur l’ancienneté des salariées concernées, les modalités d’attribution de la prime et le détail de son calcul ». Les bulletins de salaire « font apparaître une base de calcul uniforme pour la prime d’ancienneté correspondant au salaire de base contractuel, non minoré des éventuelles absences ».

La cour illustre son raisonnement par un exemple concret : une salariée a perçu une prime d’ancienneté identique en mars et avril 2015, alors qu’une absence pour maladie est constatée au mois d’avril. Cette circonstance démontre que la prime n’était pas affectée par l’absence.

La rigueur probatoire exigée par la cour s’explique par la nature du contentieux. L’employeur qui entend remettre en cause les constatations de l’inspecteur doit apporter des éléments précis et concordants. La production de documents parcellaires ou d’analyses insuffisamment étayées ne saurait suffire à renverser la présomption attachée aux constatations du contrôle.

Cette décision rappelle aux employeurs l’importance de documenter précisément les modalités de calcul des éléments de rémunération et leur articulation avec les absences. Elle confirme également la force probante des constatations de l’inspecteur du recouvrement, que seule une démonstration rigoureuse peut combattre.

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Hassan KOHEN
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