Cour d’appel de Amiens, le 3 juillet 2025, n°23/04671

La preuve de la signature électronique dans les contrats de crédit à la consommation constitue un enjeu majeur du contentieux bancaire contemporain. La Cour d’appel d’Amiens, par un arrêt du 3 juillet 2025, apporte une contribution significative à cette question en confirmant le rejet des prétentions d’un établissement de crédit faute de démonstration suffisante de la fiabilité du procédé de signature utilisé.

En l’espèce, un établissement de crédit avait consenti deux prêts à une emprunteuse, le premier le 23 mai 2018, le second le 7 mars 2019. À la suite de défaillances dans le remboursement, le prêteur avait assigné l’emprunteuse en paiement des sommes de 1800,55 euros et 5156,69 euros, augmentées des intérêts conventionnels. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Senlis avait débouté le créancier par jugement du 2 juin 2023, estimant que la preuve de la signature des contrats n’était pas rapportée. L’établissement de crédit, puis la société cessionnaire venue à ses droits, avait interjeté appel de cette décision.

Devant la cour, la société cessionnaire soutenait que les contrats portaient bien mention d’une signature électronique datée, qu’un chemin de preuve comportant l’identité de la débitrice était produit et que des certifications attestaient de la conformité du procédé aux exigences légales et européennes. L’intimée, régulièrement assignée, n’avait pas constitué avocat.

La question posée à la cour était de déterminer si les éléments produits par le créancier suffisaient à établir la force probante des signatures électroniques apposées sur les contrats de prêt et leur imputabilité à l’emprunteuse.

La Cour d’appel d’Amiens confirme le jugement entrepris et déboute la société créancière de ses demandes. Elle retient que la signature électronique utilisée n’était qu’une signature simple, non qualifiée, et qu’en l’absence de présomption de fiabilité, il appartenait au créancier de démontrer que le procédé était fiable et que la signature était bien imputable à la personne désignée comme signataire et rattachée au document concerné. Or, selon la cour, « rien ne permet de rattacher la signature aux offres de prêt et leurs annexes » et « la preuve de la fiabilité de l’authentification de l’identité du signataire et plus concrètement le lien des signatures électroniques avec [l’emprunteuse] n’est pas établi ».

Cet arrêt invite à examiner successivement le régime probatoire de la signature électronique non qualifiée (I) puis les exigences d’imputabilité et de rattachement imposées au créancier (II).

I. Le régime probatoire de la signature électronique non qualifiée

L’arrêt rappelle la hiérarchie des signatures électroniques instituée par le règlement eIDAS (A) avant d’en tirer les conséquences sur la charge de la preuve incombant au créancier (B).

A. La distinction entre signature qualifiée et signature simple

La Cour d’appel d’Amiens expose de manière didactique le cadre normatif applicable à la signature électronique. Elle rappelle les dispositions des articles 1366 et 1367 du code civil issues de l’ordonnance du 10 février 2016, selon lesquelles l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit papier sous réserve que puisse être identifiée la personne dont il émane et que son intégrité soit garantie. Elle précise ensuite les conditions dans lesquelles la fiabilité du procédé de signature est présumée, en se référant au décret du 28 septembre 2017 et au règlement européen eIDAS du 23 juillet 2014.

La cour distingue trois niveaux de signature électronique : simple, avancée et qualifiée. Elle souligne que « seule la signature électronique qualifiée est présumée fiable et a le même effet juridique que la signature manuscrite ». Cette hiérarchisation correspond aux exigences croissantes posées par les articles 26, 28 et 29 du règlement eIDAS concernant le lien univoque avec le signataire, l’identification de celui-ci, le contrôle exclusif des données de création et la détectabilité de toute modification ultérieure.

En l’espèce, le fichier de preuve produit par le créancier mentionnait expressément un « niveau de signature simple ». Cette qualification emportait une conséquence décisive : l’absence de présomption de fiabilité. La cour relève en outre que le certificat de conformité délivré par le tiers certificateur attestait que le prestataire proposait des solutions qualifiées et non qualifiées, mais que la politique de signature effectivement utilisée n’avait pas été évaluée pour la période concernée, soit entre juillet 2017 et juillet 2019. Cette lacune dans la certification affaiblissait davantage la position du créancier.

B. Le renversement de la charge probatoire

L’absence de signature qualifiée ne prive pas pour autant la signature électronique de toute valeur. La cour affirme que « l’établissement d’une présomption de fiabilité au bénéfice de la signature qualifiée ne signifie pas que les signatures électroniques non qualifiées sont dépourvues de valeur probante ». Cette précision importante évite d’invalider par principe les signatures simples ou avancées qui représentent la majorité des signatures utilisées dans les relations commerciales dématérialisées.

La conséquence pratique de cette absence de présomption réside dans le transfert de la charge de la preuve. La cour énonce qu’« à défaut de disposer d’une signature électronique qualifiée il appartient à celui qui s’en prévaut d’établir sa force probante en établissant conformément à l’article 1367 du code civil qu’elle résulte d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ». Le créancier doit ainsi démontrer positivement que la signature est imputable à celui qu’il désigne comme auteur et qu’elle est attachée au document concerné.

Cette exigence probatoire se révèle particulièrement contraignante dans le contentieux du crédit à la consommation. Les établissements de crédit, qui recourent massivement à la signature électronique pour les contrats conclus à distance, doivent anticiper un éventuel contentieux en constituant un dossier de preuve complet dès l’origine de la relation contractuelle.

II. Les exigences d’imputabilité et de rattachement de la signature

La cour examine avec rigueur les éléments produits par le créancier pour établir l’imputabilité de la signature à l’emprunteuse (A) et constate l’insuffisance des pièces versées aux débats (B).

A. L’analyse critique du fichier de preuve

Le fichier de preuve, également appelé chemin de preuve, constitue l’élément central de la démonstration de la validité d’une signature électronique. Ce document retrace les étapes du processus de signature et permet théoriquement d’établir le lien entre le signataire et l’acte. La cour examine ce fichier avec attention et relève plusieurs insuffisances.

Elle constate d’abord un défaut de rattachement entre le fichier de preuve et les contrats produits. Le fichier « indique simplement qu’une offre de contrat a été soumise à la signature le 23 mai 2018 et le 8 mars 2019 avec horodatage sans qu’aucune référence ne puisse rattacher ces offres aux offres produites aux débats ». Les contrats eux-mêmes « ne portent mention que de l’existence d’une signature électronique […] mais sans horodatage ». Cette discordance entre les éléments de preuve empêche d’établir avec certitude que le fichier de preuve se rapporte effectivement aux contrats dont le paiement est réclamé.

La cour ajoute que « rien ne permet de rattacher la signature aux offres de prêt et leurs annexes dont au demeurant il ne peut être assuré qu’elles ont été produites » à l’emprunteuse. Cette observation soulève une difficulté supplémentaire : la preuve de la signature ne suffit pas si le contenu exact du document signé demeure incertain. L’intégrité du document, exigée par l’article 1366 du code civil, suppose que le créancier puisse démontrer que les conditions contractuelles produites en justice correspondent bien à celles soumises à la signature.

B. L’absence de preuve de l’identité du signataire

Le processus de signature reposait sur l’envoi d’un code par SMS sur un téléphone mobile et le renvoi de ce code par le signataire. Ce mécanisme d’authentification, fréquemment utilisé, suppose que le numéro de téléphone appartienne bien à la personne censée signer. La cour relève qu’« aucun contrat téléphonique n’est produit permettant de rattacher les deux numéros de téléphone, distincts pour chacun des prêts, à la personne » de l’emprunteuse.

Les pièces justificatives d’identité produites ne compensent pas cette lacune. La cour observe que « la production d’une copie de la carte d’identité […] et d’une fiche de paye pour le premier prêt et d’un avis d’imposition en sus pour le second prêt ne permet pas d’établir le lien entre l’utilisateur du code ayant permis la signature » et l’emprunteuse. Ces documents attestent certes de l’identité d’une personne mais ne prouvent pas que cette personne a effectivement utilisé le code de validation.

La cour examine enfin l’argument tiré du paiement de mensualités. Elle constate qu’il n’en est justifié que par un décompte émanant du créancier lui-même, « sans qu’il soit justifié sur quel compte ces mensualités ont été prélevées faute de production d’un RIB ou du mandat SEPA ». L’absence de ces pièces empêche de corroborer l’engagement de l’emprunteuse par son comportement ultérieur. La conclusion s’impose : « la preuve de la fiabilité de l’authentification de l’identité du signataire et plus concrètement le lien des signatures électroniques » avec l’emprunteuse n’est pas établie.

Cet arrêt s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel exigeant à l’égard des établissements de crédit en matière de preuve électronique. Il rappelle que la dématérialisation des contrats ne dispense pas le créancier de constituer un dossier probatoire rigoureux. La multiplication des contentieux relatifs à la signature électronique devrait inciter les professionnels du crédit soit à recourir à des signatures qualifiées bénéficiant de la présomption de fiabilité, soit à renforcer considérablement leur dispositif de traçabilité et de conservation des preuves.

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Hassan KOHEN
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