Cour d’appel de Amiens, le 3 septembre 2025, n°24/02239

Par un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 3 septembre 2025, un litige opposant un salarié cadre dirigeant à son employeur est tranché à la suite d’un départ à la retraite. L’affaire porte sur plusieurs chefs relatifs à l’exécution et à la rupture du contrat de travail, dont des rappels de rémunération variable et de salaire, l’application d’une clause de non-concurrence, ainsi qu’une demande d’indemnité de départ. Le conseil de prud’hommes de Beauvais, le 11 avril 2024, avait partiellement accueilli les prétentions du salarié, retenant la prime d’objectifs et l’indemnité de non-concurrence, mais rejetant la demande d’indemnité de fin de carrière et celle portant sur six journées non payées.

Devant la juridiction d’appel, l’employeur arguait notamment la nullité de la requête introductive d’instance pour vice de forme, la non‑atteinte des objectifs et la libération du salarié de sa clause de non‑concurrence. Le salarié sollicitait la confirmation des chefs favorables et l’octroi de rappels pour six jours de juin 2023, de congés payés afférents, ainsi qu’une indemnité de fin de carrière. La cour confirme l’essentiel, infirme sur les six jours non payés, rejette l’indemnité de départ, confirme l’indemnité de non‑concurrence et la prime d’objectifs, et rappelle l’exigence d’un grief pour toute nullité de forme.

I. La clarification des exigences probatoires dans l’exécution du contrat

A. La preuve de l’extinction du salaire pour jours non payés

La cour énonce que « Par application combinée des articles 6, 9 et 1353 du code civil, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve du fait qui a produit l’extinction de son obligation de verser le salaire correspondant aux six jours qu’il a déduit du bulletin de paie du mois de juin 2023 ». Le rappel méthodique de la charge probatoire s’impose, la retenue de salaire constituant une exception que l’employeur doit strictement établir par des éléments précis, concordants et vérifiables.

Faute de justificatifs, la condamnation au rappel et aux congés payés afférents s’inscrit dans une logique de sécurité juridique du salaire, créance de droit commun. La solution consolide une répartition claire du risque probatoire, déjà pleinement conforme à la lettre de l’article 1353 du code civil et à la nature d’ordre public du salaire.

La même rigueur gouverne l’incident procédural. La cour rappelle, dans des termes généraux, que « C’est par de justes motifs […] après avoir constaté que la société ne justifiait d’aucun grief, [qu’elle] a rejeté la demande tendant à voir dire nulle la requête introductive d’instance ». L’exigence de grief, fidèle à l’article 114 du code de procédure civile, évite les nullités sans utilité et préserve l’économie du procès.

B. La rémunération variable et la carence de fixation d’objectifs

La cour retient un principe désormais classique: « Il est constant qu’à défaut pour l’employeur de justifier qu’il a fixé au salarié des objectifs lui permettant de prétendre à une prime sur objectifs, il est tenu de la verser ». La stipulation contractuelle d’une rémunération variable suppose des objectifs portés à la connaissance du salarié en début de période, dans des termes accessibles et mesurables.

L’employeur, qui alléguait une annexe non produite, succombe logiquement sur la preuve des objectifs. La prime forfaitisée convenue est donc due, ce qui évite de transformer une rémunération contractuelle en élément potestatif et renforce la prévisibilité de l’engagement.

La convergence des solutions sur le salaire et la variable atteste une ligne de principe: la preuve de l’extinction ou de la modulation de la rémunération pèse sur l’employeur et requiert des supports objectifs.

II. Les incidences de la rupture sur les droits du salarié

A. La renonciation à la clause de non‑concurrence et la nature de sa contrepartie

La cour énonce que « Lorsque le contrat de travail prévoit que, dans un délai déterminé à compter de la rupture, l’employeur peut libérer le salarié de l’obligation de non-concurrence à laquelle il était astreint par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, c’est la date d’envoi de cette lettre qui détermine le respect, par l’employeur, du délai contractuel ». Le choix de la date d’envoi, et non de réception, offre un critère simple, vérifiable par preuve postale, réduisant les incertitudes de délai.

L’envoi intervenu au‑delà du délai contractuel maintient l’obligation de non‑concurrence, entraînant la contrepartie financière pour la durée prévue. La cour précise encore que « La contrepartie de la clause de non-concurrence ne génère pas de congés payés en ce qu’elle n’a pas la nature d’un salaire mais compense une restriction de liberté ». La qualification indemnitaire demeure décisive, car elle exclut l’accessoire des congés payés et sécurise l’économie de la clause.

Cette articulation offre une boussole opérationnelle: vigilance sur le point de départ, preuve du dépôt postal, et respect strict du délai de renonciation stipulé, faute de quoi la contrepartie devient immédiatement exigible.

B. L’indemnité de départ à la retraite et le calcul d’ancienneté en présence d’un mandat social

La cour rappelle le cadre légal: « Selon l’article L. 1237-9 du code du travail, tout salarié quittant volontairement l’entreprise pour bénéficier d’une pension de vieillesse a droit à une indemnité de départ à la retraite ». Et « L’article D. 1237-1 IV du même code précise que l’indemnité, prévue à l’article précité, est au moins égale à un demi mois de salaire après 10 ans d’ancienneté ». L’assiette temporelle de l’ancienneté renvoie à l’exécution du contrat de travail, non aux périodes de mandat social.

En déduisant la période de suspension du contrat pour mandat, la cour opère une stricte dissociation des statuts, conforme à la lettre des textes et à la finalité de l’indemnité. La mention d’ancienneté figurant sur un bulletin ne vaut pas reconnaissance d’un droit lorsque la loi commande une computation distincte, centrée sur la qualité de salarié.

L’ensemble dessine une portée pratique nette: les droits pécuniaires liés à la rupture obéissent à la nature juridique de chaque période d’activité, tandis que les clauses post‑contractuelles se déclenchent ou s’éteignent selon des critères de preuve et de délai précisément balisés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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