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La Cour d’appel d’Amiens, 3 septembre 2025, 5e chambre prud’homale, se prononce sur un licenciement pour faute grave intervenu à la suite de griefs multiples. Une salariée, initialement engagée en contrat à durée déterminée, puis en contrat à durée indéterminée à compter de juillet 2022, a été mise à pied à titre conservatoire le 7 avril 2023 et licenciée le 27 avril 2023. La lettre de rupture visait trois manquements : l’annulation d’une intervention sans information hiérarchique, des défauts de pointage et le refus d’assurer certaines toilettes. Par jugement du 20 juin 2024, le conseil de prud’hommes a jugé la procédure régulière et la faute grave caractérisée, tout en allouant un faible rappel d’heures supplémentaires. En appel, la salariée sollicitait des rappels de salaires, des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse, ainsi que pour irrégularité de procédure, tandis que l’employeur demandait confirmation du jugement, sauf sur les frais irrépétibles.
La question juridique portait d’abord sur la qualification et la gravité des manquements reprochés au regard du pouvoir disciplinaire, ensuite sur les conséquences indemnitaires de la rupture dès lors que les griefs ne suffisent pas à établir une cause réelle et sérieuse. La cour infirme partiellement, retient un rappel de salaire contractuellement dû, écarte le remboursement de frais insuffisamment justifiés, juge injustifié le licenciement et alloue des indemnités de rupture, la rémunération de la mise à pied conservatoire et des dommages-intérêts dans le cadre du barème légal.
I – L’appréciation des griefs et les limites du pouvoir disciplinaire
A – Prescription disciplinaire et charge de la preuve
La cour rappelle avec netteté la définition de référence de la sanction invoquée : « La faute grave résulte d’un fait, ou d’un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Elle s’apprécie, in concreto, en fonction de l’ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l’attitude qu’il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration. » Cette base conceptuelle commande une démonstration rigoureuse, centrée sur les faits établis et leur proportion.
La charge probatoire pèse classiquement sur l’auteur de la rupture disciplinaire. La décision le souligne : « C’est à l’employeur, qui invoque la faute grave et s’est situé sur le terrain disciplinaire, de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu’ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail. Le doute doit profiter au salarié. » Cette exigence irrigue l’examen des trois griefs, dont la matérialité et l’actualité diffèrent sensiblement.
S’agissant d’abord de la prescription des faits fautifs, la cour rappelle le cadre légal : « L’article L.1332-4 du code du travail prévoit qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui seul, à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales. » Elle en déduit la forclusion concernant les défauts de pointage, connus plus de deux mois avant la convocation à entretien préalable, ce qui prive ce grief de portée disciplinaire utilisable.
Le seul fait récent et établi réside dans une intervention annulée sans alerte préalable. La motivation est concise : « La faute est donc avérée. » Toutefois, à elle seule, cette faute ponctuelle ne suffit pas, ainsi qu’il sera vu, à emporter la qualification de faute grave ni même l’existence d’une cause réelle et sérieuse.
Sur le terrain de l’exécution contractuelle, la cour applique enfin le droit commun des obligations et la preuve du paiement des salaires. Elle énonce que « Il incombe donc à l’employeur, peu important le nombre d’heures effectivement travaillées, de justifier du paiement d’un salaire correspondant à 185,25 heures, ce qu’il ne fait pas. » La solution s’inscrit dans la combinaison de l’autonomie de la volonté et de la charge probatoire en matière de rémunération. Elle infirme ainsi le jugement et accorde le rappel afférent, confirmant une lecture stricte des avenants de durée du travail.
B – Délimitation contractuelle des tâches d’hygiène et portée de la convention collective
Au cœur des fonctions particulières de l’aide à domicile, la décision vérifie l’assise contractuelle et conventionnelle des missions d’hygiène. La cour relève que les documents contractuels ne prévoyaient pas explicitement l’exécution autonome des toilettes, et se réfère à la norme professionnelle applicable : « De plus, aux termes de la convention collective applicable, l’emploi d’assistante de vie consiste notamment, selon les consignes, à accompagner une personne plus ou moins autonome à réaliser des tâches d’hygiène sur elle-même ou à assister une tierce personne (infirmier ou autre) à la réalisation des tâches d’hygiène à la place de la personne, mais pas à effectuer seule ces actes. » Cette précision circonscrit les prestations attendues et conditionne la licéité des instructions.
Faute de stipulations claires et de preuve d’une formation adéquate, l’autorité disciplinaire ne peut convertir un refus en faute lourde de conséquence. La motivation est nette : « Il ne saurait donc lui reprocher d’avoir refusé d’y procéder. » L’isolement du fait fautif restant, la proportionnalité s’impose. La cour conclut que « Ainsi, le seul fait ponctuel établi, s’il revêt un caractère fautif, ne justifie pas une mesure aussi grave qu’un licenciement pour une salariée dépourvue de passé disciplinaire. » La méthode conjugue examen des stipulations, référentiel conventionnel, exigence de qualification, et principe de proportion.
II – Les effets de la requalification et la portée pratique de l’arrêt
A – Effets indemnitaires de l’absence de cause réelle et sérieuse
Une fois écartée la faute grave et l’existence même d’une cause réelle et sérieuse, la solution indemnitaire s’enchaîne mécaniquement. La cour pose d’abord le principe : « Le licenciement étant injustifié, la salariée peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts à raison de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement. » Elle ordonne le paiement du salaire pendant la mise à pied conservatoire, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi que de l’indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts dans l’intervalle du barème.
La décision rappelle le cloisonnement des réparations selon l’économie des textes. Elle précise, à propos de la sanction de l’irrégularité procédurale, que « En application de l’article L.1235-2 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. » L’absence de cause réelle et sérieuse rend cette indemnité procédurale inopérante, la réparation étant intégralement absorbée par le barème spécifique.
Enfin, la solution sur les frais professionnels demeure conforme à la règle probatoire en la matière : « S’agissant des frais professionnels, il appartient au salarié de justifier du bien-fondé de sa demande de remboursement. » À défaut de justificatifs objectifs, la demande est rejetée, ce qui confirme une ligne constante de rigueur documentaire.
B – Portée normative pour l’aide à domicile et vigilance disciplinaire
La portée de l’arrêt est double. Elle rappelle d’abord que l’attribution de tâches d’hygiène intime, dans le secteur des services à la personne, suppose des stipulations précises et, le cas échéant, une qualification ou un encadrement adéquats. À défaut, l’injonction ne fonde pas un grief disciplinaire robuste, surtout lorsque le référentiel conventionnel vise l’accompagnement ou l’assistance d’un tiers soignant plutôt que l’exécution isolée des actes.
Elle impose ensuite une stricte discipline des délais et de la preuve. La prescription de l’article L.1332-4, combinée à l’exigence probatoire, oblige l’employeur à circonscrire rapidement les poursuites et à documenter la matérialité des manquements, sans quoi les griefs basculent hors du périmètre disciplinaire utile. La motivation, fondée sur des principes généraux et des éléments objectifs, fournit un guide opératoire clair aux praticiens.
L’incidence indemnitaire reste contenue par le barème, ce qui limite l’aléa financier tout en consacrant la protection du salarié contre une rupture dépourvue de motif. La réparation du préjudice se concentre sur les postes directement liés à l’injustice de la rupture et aux périodes non rémunérées, conformément à la logique du droit positif. Pour les acteurs du secteur, l’arrêt incite à une rédaction contractuelle plus précise, à une formation adaptée, et à une gestion disciplinaire réactive et proportionnée.