Cour d’appel de Amiens, le 4 septembre 2025, n°23/00612

Par un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 4 septembre 2025, la cour statue sur la recevabilité d’actions engagées après un partage amiable, visant le dol, le recel et l’omission d’un bien.

Le de cujus est décédé en 2010, laissant quatre héritiers. L’actif comprenait un immeuble, vendu en 2011, puis un décompte notarial a arrêté en 2012 un actif net réparti par parts égales.

Un cohéritier a ensuite imputé à deux autres des détournements et des libéralités dissimulées. Il a agi en recel successoral, rapport de sommes et partage complémentaire, subsidiairement en nullité du partage.

Le tribunal judiciaire de Beauvais, le 12 décembre 2022, a retenu des recels, fixé des rapports, ordonné un partage complémentaire et rejeté la nullité, tout en déclarant prescrite l’action en complément de part.

Appel a été interjeté. Les appelants ont invoqué la prescription et l’irrecevabilité hors partage judiciaire. L’intimé a soutenu une découverte tardive des faits, puis sollicité des rapports ou l’annulation du partage.

La cour rappelle que « Les mentions tendant à voir constater ou dire et juger figurant au dispositif des conclusions ne constituent pas des prétentions au sens du code de procédure civile mais tout au plus un récapitulatif des moyens développés par les parties, ne conférant pas, hormis les cas prévus par la loi, de droit à la partie qui les requiert, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ces points. » La question centrale tient au point de départ et au régime de prescription des actions des articles 887, 892 et 778 du code civil, après un partage amiable.

La cour déclare l’action en nullité prescrite, refuse l’application de l’article 892 faute d’omission d’un bien, et juge le recel irrecevable car prescrit, infirmant les condamnations et confirmant la prescription de la lésion.

I – Le sens de la décision

A – Le cadre légal et le point de départ
La cour assoit son raisonnement sur les textes. Elle énonce d’abord que « Il résulte de l’article 887 du code civil que le partage peut être annulé pour cause de violence ou dol ou erreur si celle-ci a porté sur l’existence ou la quotité des droits des copartageants ou sur la propriété des biens compris dans la masse partageable et que s’il apparaît que les conséquences de la violence, du dol ou de l’erreur peuvent être réparées autrement que par l’annulation du partage, le tribunal peut, à la demande de l’une des parties, ordonner un partage complémentaire ou rectificatif. »

Elle rappelle ensuite le droit commun de la prescription, en relevant que « L’article 2224 du code civil dispose quant à lui que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » L’articulation de ces textes conduit à apprécier la connaissance utile à agir, à l’aune des pièces remises lors du règlement.

La cour fixe le point de départ, en ces termes décisifs : « Le point de départ de la prescription de l’action en nullité du partage, comme celle de partage complémentaire ou rectificatif prévue par le dernier alinéa de l’article 887 précité qui est dans sa dépendance, se situe à la date à laquelle a été conclu l’acte de partage. » Elle constate qu’aucun obstacle ne privait l’héritier d’une connaissance suffisante, les relevés notariés permettant d’interroger les flux et d’agir dans le délai.

Faute d’éléments contraires, le délai était expiré lors des assignations de 2019. La cour écarte toute cause de report, relevant qu’« Il n’est pas davantage invoqué, ni caractérisé, l’existence de manoeuvres dolosives imputables aux appelants l’ayant empêché d’agir. » Le dispositif s’impose alors, énonçant que « Le jugement sera donc infirmé et l’action en nullité du partage ou de partage complémentaire sera déclarée prescrite. »

B – L’irrecevabilité des demandes après partage amiable
La demande principale de rapport pour dol, présentée sans annulation du partage, se heurte à l’achèvement du partage amiable. La cour la déclare irrecevable en l’état, en cohérence avec l’économie de l’article 887 qui réserve, à défaut d’annulation, des mesures complémentaires dans le cadre qu’il organise.

Le grief d’omission d’un bien indivis, fondé sur l’article 892, reçoit une réponse nette. La cour juge que « Enfin, l’action fondée sur l’article 892 du code civil relative à l’omission d’un bien indivis comme cas d’ouverture à partage complémentaire, distinct du partage en complément de part prévu par l’article 889 précité, n’est certes pas enfermée dans les délais de prescription biennale ou quinquennale mais ne trouve pas à s’appliquer à la présente espèce, en l’absence d’un bien commun indivis à partager, non compris dans le partage amiable effectué. » L’absence d’identification d’un actif omis exclut l’ouverture de ce cas spécifique.

Quant au recel successoral, la cour retient l’application du délai de droit commun, en rappelant que « Cette action en recel successoral est, à défaut de texte spécial, également soumise à la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil. » L’action, engagée hors délai, est déclarée irrecevable, ce qui conduit à infirmer les sanctions et déchéances prononcées en première instance.

II – Valeur et portée de la solution

A – Une prescription aménagée au service de la sécurité des partages
La solution privilégie la stabilité du partage amiable en ancrant le délai à l’acte, tout en appréciant la connaissance effective au regard des pièces communiquées. Cette combinaison met en œuvre l’article 2224 sans excès formaliste, puisqu’elle interroge la capacité d’agir à partir du décompte notarial. Elle ferme le report du point de départ quand la preuve d’une ignorance légitime fait défaut.

La cour encadre strictement l’exception tirée de manœuvres dolosives, notant qu’« Il n’est pas davantage invoqué, ni caractérisé, l’existence de manoeuvres dolosives imputables aux appelants l’ayant empêché d’agir. » Cette exigence protège l’équilibre des partages, tout en laissant ouverte, dans d’autres espèces, la correction lorsque une dissimulation véritable a empêché l’exercice du droit.

B – Conséquences pratiques pour le recel successoral et l’article 892
L’assujettissement explicite du recel successoral à l’article 2224 assure une cohérence des délais, en évitant que la sanction civile ne demeure indéfiniment mobilisable après la clôture d’un partage amiable. La portée est notable pour la pratique notariale, qui voit confortée l’autorité des opérations une fois le délai expiré.

La restriction de l’article 892 au seul cas d’un bien objectivement omis prévient les requalifications opportunistes. Elle impose à l’héritier demandeur d’identifier un actif précis, distinct d’allégations générales de mouvements de comptes déjà retracés au moment du partage.

L’ensemble forme une ligne directrice claire: l’action en nullité pour dol ou erreur suppose une vigilance dès le partage; le recel est enfermé dans cinq ans; l’omission d’un bien exige la preuve positive d’un actif oublié. Cette construction renforce la prévisibilité du règlement des successions et la discipline probatoire des contentieux post-partage.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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