Cour d’appel de Amiens, le 4 septembre 2025, n°23/03670

Par un arrêt rendu par la Cour d’appel d’Amiens le 4 septembre 2025, la juridiction d’appel confirme l’opposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge d’une affection lombaire au titre du tableau n°98 des maladies professionnelles. Le litige porte d’abord sur la régularité de l’instruction et du contradictoire, ensuite sur la réunion des conditions médicales et professionnelles prévues par le tableau.

Les faits se résument ainsi. Un salarié exerçant la fonction de chaudronnier-soudeur a déclaré une pathologie discale lombaire, après un certificat médical initial mentionnant une hernie L4-L5. La caisse a pris en charge la maladie au titre du tableau n°98. Contestant la décision, l’employeur a saisi d’abord la commission de recours amiable, puis le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, qui a jugé l’opposabilité de la prise en charge.

Sur appel de l’employeur, la Cour était invitée à apprécier la régularité de l’enquête conduite sur le fondement de l’article R. 461-9 du code de la sécurité sociale, la preuve de l’atteinte radiculaire de topographie concordante, la détermination de la première constatation médicale, la cessation d’exposition au risque, la durée d’exposition et la réalisation de travaux visés par la liste limitative du tableau n°98. La Cour retient la régularité de la procédure, la satisfaction des exigences médicales et professionnelles, et confirme l’opposabilité. Elle affirme notamment que « Le caractère contradictoire de la procédure a donc bien été respecté » et conclut que « Dès lors, les conditions requises par le tableau 98 des maladies professionnelles sont donc remplies ».

Il convient d’expliquer d’abord le sens de la décision en ses volets procédural et médical, avant d’en discuter la valeur et la portée au regard des marqueurs temporels et de l’exposition au risque.

I. Le sens de la décision: contradictoire et qualification médicale

A. La régularité de l’instruction et le contradictoire encadrés par l’article R. 461-9

La Cour rappelle que le dispositif d’instruction d’une maladie professionnelle est structuré par des délais, l’information des parties et la consultation du dossier. Elle souligne que l’enquête complémentaire n’est pas impérative. Elle énonce ainsi: « Il ressort de l’article R. 461-9, précité, que le recours à une enquête complémentaire ou à une audition de tout employeur ainsi que tout médecin du travail de la victime est une faculté qui lui est offerte et non une obligation ».

Cette mise au point circonscrit la contestation portant sur l’insuffisance alléguée des diligences. La Cour en déduit que l’envoi de questionnaires à l’assuré et à l’employeur, conjugué au respect des délais d’instruction et de consultation, satisfait aux exigences légales. D’où l’affirmation selon laquelle « Le caractère contradictoire de la procédure a donc bien été respecté ». La motivation écarte une conception maximaliste de l’enquête, et consacre une logique de suffisance probatoire encadrée.

B. La désignation pathologique: atteinte radiculaire et recours à un élément extrinsèque

Sur le terrain médical, l’enjeu principal résidait dans la preuve de l’atteinte radiculaire de topographie concordante, condition cardinale du tableau n°98. Le certificat initial ne mentionnait pas expressément cette concordance. Le médecin-conseil l’a toutefois tenue pour remplie, sur la base d’un examen d’imagerie, sans communication du document couvert par le secret.

La Cour valide ce schéma probatoire. Elle retient que le médecin-conseil peut fonder son analyse sur un élément extrinsèque, sans que sa production soit nécessaire, dès lors que le secret médical s’y oppose et que la décision reste motivée. Elle affirme en conséquence: « Il s’ensuit que la caisse établit que toutes les conditions médicales du tableau sont remplies en ce compris la topographie concordante à l’atteinte radiculaire et que le moyen de l’employeur en sens contraire manque en fait ». L’équilibre opéré conforte la valeur normative des avis médicaux, tout en ménageant l’économie du contradictoire par la publicité des conclusions, non des pièces médicales.

La clarification apportée sur la nature et la preuve de la concordance radiculaire clôt la discussion médicale initiale et ouvre sur les déterminants temporels et professionnels de la prise en charge.

II. Valeur et portée: temporalité de la prise en charge et exposition au risque

A. La première constatation médicale et la cessation d’exposition, clefs du délai de prise en charge

La définition du délai de prise en charge impose d’identifier précisément la première constatation médicale et la cessation d’exposition. La Cour attribue au médecin-conseil la fixation de la date pertinente, indépendamment de l’indication portée sur le certificat initial. Elle l’énonce de manière nette: « Or, comme rappelé précédemment la date de première constatation médicale est fixée par le médecin-conseil, dès lors, la date de première constatation médicale figurant au certificat médical initial ne présente aucun caractère significatif ».

Ce choix ancre la chronologie sur le colloque médico-administratif, adossé aux prescriptions et arrêts de travail, et non sur la simple mention déclarative. La Cour ajoute, au regard des pièces, que « Il s’ensuit que la condition tenant au délai de prise en charge est bien remplie la première constatation de la maladie étant intervenue le même jour que la cessation d’exposition ». La solution renforce la cohérence du régime, en confiant au service du contrôle médical le soin de synchroniser les marqueurs temporels, sous réserve du respect du secret médical et du contradictoire.

B. La preuve de l’exposition: travaux du tableau n°98 et durée minimale de cinq ans

Restait à établir l’exposition habituelle à des charges lourdes dans des travaux relevant de la liste du tableau, ainsi que la durée cumulative d’au moins cinq ans. La Cour mobilise les questionnaires contradictoires et l’expérience professionnelle. Elle retient, malgré des divergences, une manutention manuelle habituelle de charges lourdes et un rattachement aux activités du bâtiment et du gros œuvre, sans exiger une fréquence ou un seuil minimal chiffré dans le tableau.

La question de la durée est tranchée par une approche cumulative et transversale. La Cour rappelle que « S’agissant de la durée de cette exposition, il convient de rappeler qu’en cas d’exposition au risque chez plusieurs employeurs, les conditions de prise en charge de l’affection s’apprécient au regard de la totalité de la durée d’exposition au risque considéré ». Les attestations d’emploi et le relevé de carrière suffisent donc, en présence de postes analogues, à caractériser la durée minimale requise.

Ce faisceau probatoire, conjugué à la présomption d’imputabilité du tableau, conduit à la solution confirmative. La Cour conclut en termes généraux, scellant la portée de la décision: « Dès lors, les conditions requises par le tableau 98 des maladies professionnelles sont donc remplies ». La motivation apporte une sécurité sur le standard de preuve exigé, en privilégiant une lecture concrète des tâches et une appréciation globale de la carrière, de nature à guider la pratique des caisses et des employeurs.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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