Cour d’appel de Amiens, le 4 septembre 2025, n°23/03724

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La Cour d’appel d’Amiens, 2e protection sociale, 4 septembre 2025, n° RG 23/03724, confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lille du 29 juin 2023. L’espèce concerne un salarié monteur-échafaudeur victime d’une chute de deux mètres lors du basculement d’une sapine sur un échafaudage. L’accident a été pris en charge au titre des risques professionnels, puis l’état a été consolidé avec un taux d’incapacité permanente partielle fixé à 22 pour cent.

En première instance, la juridiction a retenu la faute inexcusable de l’employeur, ordonné l’expertise médicale, fixé au maximum la majoration de la rente, et alloué une provision. L’employeur a interjeté appel en soutenant l’existence de formations, l’habilitation du salarié, le port des équipements, et une faute du salarié. La victime a sollicité la confirmation, l’expertise et l’indemnisation complémentaire. L’organisme de sécurité sociale s’en est rapporté à justice. La question de droit tient à la caractérisation de la faute inexcusable au regard de la conscience du danger et des mesures de prévention exigibles, ainsi qu’aux conséquences indemnitaires subséquentes. La cour confirme la faute inexcusable, rappelle les critères probatoires, et maintient les mesures indemnitaires et procédurales déjà ordonnées.

I. Fondement et caractérisation de la faute inexcusable

A. La conscience du danger, critère directeur et charge de la preuve

La cour reprend d’abord la définition prétorienne constante et précise que « Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable […] lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger […] et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » Ce considérant pose la double exigence de conscience et de carence, que la victime doit établir avec précision.

La décision ajoute une précision classique quant au lien de causalité, en affirmant que « Il est indifférent que la faute inexcusable […] ait été la cause déterminante de l’accident […], il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire […]. » La causalité adéquate n’est donc pas requise, ce qui abaisse le seuil probatoire sur ce terrain, sans dispenser la preuve des carences.

Les juges relèvent le caractère intrinsèquement dangereux du travail en hauteur, au regard des fonctions exercées et des documents internes produits par l’employeur. Ils soulignent que l’employeur « ne pouvait ignorer » ce risque, eu égard à la fiche de poste, au contrat et aux entretiens. La conscience du danger découle ici de la nature des tâches et des prescriptions internes, ce qui conforte l’exigence jurisprudentielle de vigilance accrue pour les opérations en hauteur.

B. L’insuffisance des mesures de prévention et l’irrélevance de la faute du salarié

La seconde branche porte sur les mesures concrètes de prévention, que la victime conteste au regard de l’absence de plan de démontage, de matériel insuffisant et d’un recours à du personnel intérimaire insuffisamment formé. La cour rappelle que « Le salarié doit également apporter la preuve que son employeur n’a pas pris les mesures pour le préserver des risques encourus et que ces carences sont en lien avec la survenance de l’accident du travail. » La méthode retenue articule ainsi manquement et imputabilité certaine à l’accident.

Le cadre normatif est expressément visé, avec l’article R. 4323-69 du code du travail selon lequel « Les échafaudages ne peuvent être montés, démontés ou sensiblement modifiés que sous la direction d’une personne compétente et par des travailleurs qui ont reçu une formation adéquate et spécifique aux opérations envisagées. » La formation doit en outre être actualisée selon l’article R. 4323-3. La cour en déduit qu’« En application de ces textes, il incombe à l’employeur de s’assurer que les opérations de démontage sont effectuées par un personnel qualifié […] et de mettre à la disposition de ses salariés un plan de montage/démontage […]. »

Les éléments produits par l’employeur (certificat ancien, liste interne d’habilitation) ne suffisent pas. Le compte-rendu d’accident émanant de l’entreprise n’est pas retenu comme preuve objective des circonstances. Surtout, les juges indiquent que « la faute du salarié ou d’un tiers n’a pas d’incidence sur la faute inexcusable imputable à l’employeur. » Cette affirmation écarte tout partage au stade de la caractérisation, en ligne avec le régime protecteur du droit des risques professionnels.

II. Portée et conséquences indemnitaires de la solution

A. Majoration de la rente et évaluation des préjudices personnels

La cour confirme la majoration de la rente au maximum légal, sur le fondement de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale. Cette solution s’inscrit dans la logique de l’aggravation spécifique attachée à la faute inexcusable, qui justifie une modulation renforcée de la prestation. Elle précise que le montant de la majoration demeure limité au taux d’incapacité opposable à l’employeur, ce qui encadre le recours ultérieur.

L’évaluation des préjudices personnels appelle une expertise judiciaire, confirmée en appel au vu des pièces médicales. La mission recouvre les postes classiques en matière d’accident du travail en présence d’une faute inexcusable, distinguant déficit fonctionnel temporaire, souffrances, assistance, préjudice d’agrément, préjudice sexuel et incidences professionnelles spécifiques. La provision accordée demeure, la caisse avançant les sommes et supportant provisoirement les frais d’expertise.

B. Action récursoire, opposabilité du taux et exigences préventives renforcées

La décision confirme que la caisse pourra exercer son action récursoire pour l’ensemble des avances effectuées, mais « à hauteur du seul taux d’incapacité permanente partielle qui lui serait opposable. » Cette limitation, cohérente avec la finalité contributive du système, sécurise l’assiette de recours et incite l’employeur à maîtriser la traçabilité médico-administrative de l’IPP.

Sur le terrain préventif, la portée pratique est nette. La solution exige des preuves écrites et datées d’une formation spécifique et renouvelée, conformément à l’article R. 4323-3, et la remise effective du plan de montage/démontage prévu à l’article R. 4323-69. Le haut niveau d’expertise allégué du salarié ne suffit pas sans démonstration de la diffusion des consignes, de la mise à disposition des équipements nécessaires et du contrôle hiérarchique effectif sur site. Les chantiers recourant à l’intérim doivent, plus encore, documenter compétence, direction par une personne qualifiée et adéquation du matériel. L’arrêt rappelle ainsi, avec constance, que l’obligation de sécurité pèse en prévention, s’apprécie in concreto et ne se délègue pas par la seule production d’habilitations anciennes ou de listes internes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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