Cour d’appel de Amiens, le 4 septembre 2025, n°23/05069

Par un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 4 septembre 2025, la formation sociale règle un contentieux de faute inexcusable de l’employeur en matière d’amiante. Un salarié, employé de 1974 à 1998, a présenté en 2019 un cancer broncho‑pulmonaire reconnu d’origine professionnelle en 2020, avant de décéder l’année suivante. Ses ayants droit ont accepté une offre du fonds, puis ont recherché la faute inexcusable de l’employeur. Le pôle social a retenu la faute inexcusable et fixé plusieurs postes de préjudices. L’employeur a relevé appel, invoquant l’irrecevabilité de l’action au regard d’opérations sociétaires, l’inopposabilité de la décision de prise en charge, et l’absence de faute inexcusable, subsidiairement la réduction des indemnités. La cour devait apprécier la qualité à agir en présence d’apports et de cessions, l’étendue des moyens opposables contre la prise en charge, puis la caractérisation de la faute inexcusable et ses conséquences indemnitaires. Elle juge l’action recevable, déclare irrecevable la demande d’inopposabilité, retient la faute inexcusable, confirme l’essentiel des réparations et ajuste le préjudice moral des proches.

I. Fins de non-recevoir et inopposabilité: précisions utiles

A. La qualité à agir malgré les opérations sociétaires
La cour rappelle le principe structurant des scissions et apports partiels. Elle cite que « ainsi, il ressort des termes de l’article L. 236-3 du code de commerce que la scission entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société tout ou partie absorbée à la société bénéficiaire ». Elle relève l’absence de traité d’apport produit, de sorte que la démonstration d’une absence de transmission n’est pas rapportée. Elle ajoute un second principe, issu d’une jurisprudence constante, selon lequel « la faute inexcusable de l’employeur est exclue du passif universellement transféré », la personne morale employeur demeurant, si elle subsiste, tenue sur son propre patrimoine des conséquences de sa faute. L’articulation de ces deux règles emporte le rejet de la fin de non‑recevoir, l’action des ayants droit étant recevable en l’absence de preuve contraire et sans possibilité de diluer la responsabilité délictuelle dans un transfert de passif.

B. L’indépendance des rapports et l’irrécépabilité de l’inopposabilité
S’agissant de la prise en charge, la cour rappelle un attendu classique: « il est constant que si l’employeur peut en défense à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable formée par son salarié, contester le caractère professionnel de la maladie, il n’est pas recevable à obtenir l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la [20] en raison de l’irrégularité de la procédure, et ce en raison de l’indépendance des rapports caisse-employeur et employeur-victime ». L’argument tiré d’un défaut de contradictoire dans l’instruction administrative est donc irrecevable. La solution préserve l’économie du contentieux: l’employeur peut contester la qualification professionnelle au fond, mais ne peut neutraliser l’opposabilité par la voie d’un incident procédural étranger au litige indemnitaire.

II. Faute inexcusable et réparation: critères et portée

A. L’exposition régulière et la conscience du danger
La cour retient l’exposition régulière aux poussières d’amiante au vu d’attestations précises décrivant des opérations d’usinage, des soufflages à l’air comprimé, et l’absence de protections collectives et individuelles. Elle constate en outre que les affections liées à l’amiante sont répertoriées depuis les années 1950, ce qui exclut toute ignorance légitime du risque à l’époque des faits. Elle s’appuie sur la définition jurisprudentielle de référence: « le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Elle ajoute que « il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire ». Les éléments établissent cumulativement la conscience du danger et la carence des mesures de prévention, ce qui justifie la qualification de faute inexcusable.

B. L’indemnisation complémentaire et son articulation subrogatoire
Sur la réparation, la cour confirme l’indemnité forfaitaire attachée au taux d’incapacité reconnu et les indemnités personnelles pour souffrances et préjudice esthétique, mais réduit le préjudice d’agrément faute de preuve d’une pratique antérieure spécifique. Elle règle aussi la majoration des rentes d’ayants droit conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle énonce que « les majorations des rentes d’ayant droit sont cumulables avec la majoration de la rente servie à la victime », y compris lorsque la victime était reconnue à 100 % d’incapacité. Enfin, elle ajuste les préjudices moraux des proches en se référant à un barème usuel homogénéisant les montants selon les liens, tout en rappelant la subrogation du fonds et l’action récursoire de la caisse. L’ensemble compose un dispositif cohérent, articulant la logique protectrice du régime professionnel avec le rôle de canalisation financière assuré par les mécanismes de subrogation et de recours.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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