Cour d’appel de Amiens, le 4 septembre 2025, n°24/00612

La cour d’appel d’Amiens, 4 septembre 2025, confirme l’opposabilité à un employeur de la prise en charge, au titre du tableau n° 30 B, de plaques pleurales. Un salarié, contrôleur cariste, a déclaré cette pathologie et a produit un certificat médical initial, la caisse ouvrant instruction avec questionnaires et auditions de témoins concordants. L’employeur a contesté devant la commission, puis devant le pôle social du tribunal judiciaire d’Arras, 9 janvier 2024, qui a déclaré la décision opposable et a rejeté ses demandes. Il a relevé appel, soutenant une enquête incomplète, l’absence d’exposition et sollicitant une expertise, tandis que la caisse demandait confirmation et invoquait le respect des exigences de l’article R. 461-9. La question portait sur la réunion des conditions du tableau et sur l’étendue de l’instruction contradictoire. La cour énonce que « Il résulte de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale qu’est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau ». Elle précise que « la liste des travaux figurant au tableau n°30 des maladies professionnelles n’est qu’indicative », retient une exposition environnementale, refuse l’expertise, écarte la demande sans effet de « prendre acte » et confirme l’opposabilité.

I. Le sens de la décision

A. La présomption applicable et la liste indicative

La cour rappelle le cadre légal et le régime de preuve propres aux maladies professionnelles inscrites aux tableaux, qui déclenchent une présomption d’imputabilité lorsque leurs conditions sont remplies. En l’espèce, seule la condition liée aux travaux susceptibles de provoquer la maladie était discutée, l’atteinte pleurale et le délai n’ayant pas été remis en cause. Pour trancher, la juridiction souligne le caractère non limitatif de la liste, en retenant que « la liste des travaux figurant au tableau n°30 des maladies professionnelles n’est qu’indicative ». Cette affirmation ouvre la voie à la prise en compte d’expositions environnementales, quand bien même le salarié n’aurait pas, à titre principal, manipulé de matériaux amiantés.

Les éléments de l’instruction sont ensuite appréciés globalement, au regard des questionnaires et des attestations concordantes décrivant des travaux de calorifugeage et des déposes en présence des salariés. La cour retient qu’« Il résulte donc de ces éléments, précis, graves et concordants » une exposition aux poussières d’amiante dans l’environnement professionnel. Le tableau n° 30 B pouvant ainsi être mobilisé, la présomption d’origine professionnelle joue en faveur de la prise en charge.

B. Le renversement de la présomption et la cause totalement étrangère

Une fois les conditions du tableau établies, la charge de la preuve se déplace sur l’employeur, qui doit rapporter la preuve d’une causalité extrinsèque exclusive. La cour formule clairement la règle en jugeant que « Pour la renverser, il appartient à la société de démontrer que la maladie déclarée trouve son origine dans une cause totalement étrangère au travail ». Une simple hypothèse alternative, tirée d’un précédent emploi réputé exposant ou de supposées habitudes de vie, reste insuffisante sans pièces circonstanciées et concordantes.

La juridiction écarte donc des allégations dépourvues de preuves sur les conditions réelles de travail antérieures ou sur des facteurs personnels, faute d’éléments établissant une origine exclusivement extra-professionnelle. Cette solution, conforme à une jurisprudence constante, rappelle l’exigence de démonstrations précises pour renverser une présomption légale d’imputabilité. Restait à apprécier la régularité de l’instruction et la portée procédurale des moyens soulevés par l’employeur.

II. Valeur et portée

A. Le contradictoire R. 461-9 et le périmètre de l’instruction

Sur le contradictoire, la cour vérifie l’information adressée à l’employeur, la mise à disposition du dossier et la possibilité d’observations dans les délais, ainsi que la réalisation d’auditions complémentaires. Elle en conclut au respect de l’article R. 461-9, en rappelant l’économie générale de l’instruction administrative. Surtout, la juridiction précise que « la caisse reste libre du choix des modalités de son instruction » et qu’il lui appartient d’instruire la demande « à l’égard du dernier employeur, sans avoir à rechercher s’il est l’exposant ». Ce rappel circonscrit utilement le périmètre des diligences exigibles, sans imposer une reconstitution exhaustive de carrière lorsque les éléments disponibles suffisent.

Cette position s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle qui distingue la reconnaissance du caractère professionnel, menée au contradictoire du dernier employeur, et les questions de tarification, relevant d’une autre compétence. Elle conforte l’idée qu’un débat probatoire loyal peut se tenir sans systématiser des investigations générales, lorsque les indices recueillis sont suffisamment convergents et contrôlables par les parties.

B. Le refus d’expertise et les incidences pratiques

La cour écarte la demande d’expertise, qui ne doit pas suppléer des carences probatoires là où le dossier offre déjà des éléments concordants. Elle décide qu’il « n’y avoir lieu d’ordonner une mesure d’expertise », appréciant le caractère suffisant des pièces et la cohérence de l’enquête. La mesure sollicitée n’a pas vocation à pallier l’absence de preuves positives fournies par la partie qui supporte la charge de les produire.

Ce refus tient à la nature même de la présomption légale, qui ordonne les rôles probatoires autour d’éléments administratifs vérifiables et d’attestations, sans exiger un recours systématique au technicien. La clarification procédurale s’étend aux demandes accessoires, la cour rappelant qu’« Une demande de “prendre acte” n’ayant pas de conséquences juridiques, la cour n’a pas à statuer sur ce point ». L’arrêt confirme ainsi, sur le fond comme sur la procédure, la centralité d’une instruction proportionnée et d’une preuve rigoureuse, et il invite les employeurs qui contestent la présomption à produire des éléments directs, précis et exclusifs.

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Hassan KOHEN
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