Cour d’appel de Amiens, le 5 septembre 2025, n°24/01645

Par un arrêt du 5 septembre 2025, la cour d’appel d’Amiens, statuant en matière de tarification des risques professionnels, a rejeté le recours d’un employeur contestant l’imputation sur son compte des incidences financières d’une maladie professionnelle liée à l’amiante.

Un ancien salarié d’une société sidérurgique a formé, le 29 juillet 2021, une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour un cancer broncho-pulmonaire. La caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge cette pathologie au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles par décision du 9 mai 2023. Les conséquences financières de cette reconnaissance ont été inscrites sur le compte employeur de la société. Par courrier du 12 février 2024, l’employeur a formé un recours gracieux auprès de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, invoquant trois arguments : son ignorance de l’enquête menée par la caisse primaire, l’absence de preuve d’une exposition du salarié dans son établissement, et la pluralité des employeurs successifs du travailleur. La CARSAT ayant rejeté ce recours le 27 février 2024, la société a saisi la cour d’appel d’Amiens.

L’employeur soutenait que le salarié avait travaillé pour plusieurs entreprises différentes sans qu’il soit possible de déterminer laquelle était responsable de l’exposition au risque. Il sollicitait le retrait de son compte employeur des sommes afférentes à la maladie professionnelle et leur inscription au compte spécial prévu par la réglementation. La CARSAT faisait valoir que l’établissement de l’employeur actuel constituait le successeur de l’établissement initial au sens des règles de tarification, de sorte qu’il s’agissait d’un seul et même employeur.

La cour d’appel était confrontée à la question suivante : l’exposition successive d’un salarié au risque amiante dans plusieurs établissements ayant fait l’objet de transferts entre sociétés justifie-t-elle l’inscription des incidences financières de sa maladie professionnelle au compte spécial ?

La cour d’appel d’Amiens déboute l’employeur de l’ensemble de ses demandes. Elle retient que la CARSAT justifie le bien-fondé de l’imputation du coût de la maladie professionnelle sur le compte employeur par l’avis motivé du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Elle juge que l’employeur échoue à démontrer que le salarié aurait été exposé au risque au sein d’un établissement d’une entreprise différente.

Cette décision illustre la rigueur probatoire imposée à l’employeur contestant l’imputation d’une maladie professionnelle (I) et précise les conditions d’inscription au compte spécial en cas de pluralité d’établissements (II).

I. La charge probatoire incombant à la CARSAT pour justifier l’imputation au compte employeur

La cour d’appel d’Amiens rappelle le cadre juridique applicable à l’imputation des dépenses de maladies professionnelles avant d’en faire application à l’exposition au risque amiante.

A. Le principe de l’imputation au compte employeur et ses conditions de contestation

La cour d’appel fonde son analyse sur les articles D. 242-6-1 et D. 242-6-4 du code de la sécurité sociale. Elle rappelle que « le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement » et que « l’ensemble des dépenses constituant la valeur du risque est pris en compte par les CARSAT dès que ces dépenses leur ont été communiquées par les caisses primaires ». Seules les dépenses liées aux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu sont prises en compte.

Ce rappel liminaire n’est pas anodin. Il signifie que l’inscription au compte employeur découle automatiquement de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie par la caisse primaire. L’employeur qui conteste cette imputation doit donc renverser cette présomption en démontrant que le salarié n’a pas été exposé au risque à son service.

La cour précise ensuite la répartition de la charge de la preuve : « en cas de contestation devant la juridiction de la tarification, il appartient à la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail qui a inscrit les dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque chez celui-ci ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle la CARSAT supporte la charge de prouver l’exposition au risque dès lors que l’employeur la conteste.

B. La démonstration de l’exposition au risque par l’avis du comité régional

Pour satisfaire à cette obligation probatoire, la CARSAT verse aux débats l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Grand Est. La cour reproduit longuement cet avis qui retient que le salarié « a travaillé dans la sidérurgie aux laminoirs à chaud de 1973 à 1978 » puis « comme conducteur loco-tracteurs de 1978 à 1983 et de 1985 à 2005 ». Le comité relève que le salarié « était exposé aux fibres d’amiante, notamment aux laminoirs à chaud et surtout lors de la conduite de loco-tracteurs, véhicules dans lesquels l’amiante était omniprésent ».

La cour juge que « cet avis motivé du CRRMP de la région Grand Est établit un lien direct et essentiel entre la maladie de M. [I] et son travail au sein de la société ». Elle ajoute qu’« à la date de première constatation médicale de la maladie, soit le 1er avril 2021, le dernier employeur ayant exposé M. [I] au risque de sa maladie est la société [4] [Localité 9] ».

Cette motivation appelle deux observations. La cour confère à l’avis du CRRMP une force probante déterminante pour établir l’exposition au risque. Ce faisant, elle reconnaît la valeur de l’expertise médicale dans l’appréciation du lien entre l’activité professionnelle et la pathologie. La cour retient également le critère du dernier employeur à la date de première constatation médicale pour déterminer l’imputation des dépenses. Ce critère temporel correspond à la logique des règles de tarification qui rattachent la maladie à l’employeur chez lequel le risque s’est manifesté.

L’employeur se trouve ainsi dans une position délicate : la charge de la preuve repose certes sur la CARSAT, mais l’avis du comité régional suffit à l’établir. Il appartient dès lors à l’employeur de démontrer les conditions d’une inscription au compte spécial.

II. Les conditions restrictives de l’inscription au compte spécial en présence d’établissements successifs

La cour d’appel examine les arguments de l’employeur tendant à l’inscription des dépenses au compte spécial, avant de les rejeter faute de preuve suffisante.

A. L’exigence d’une exposition dans des établissements d’entreprises différentes

La cour vise l’article 2 de l’arrêté du 16 octobre 1995, dans son 5°, qui prévoit l’inscription au compte spécial lorsque « la victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d’entreprises différentes sans qu’il soit possible de déterminer celle dans laquelle l’exposition au risque a provoqué la maladie ».

Elle en déduit les deux conditions cumulatives : « d’une part, que le salarié ait été exposé au risque successivement dans plusieurs établissements d’entreprises différentes et, d’autre part, qu’il soit impossible de déterminer l’entreprise au sein de laquelle l’exposition au risque a provoqué la maladie ».

L’enjeu de cette qualification réside dans la notion d’« entreprises différentes ». La CARSAT soutenait que l’établissement actuel constituait le successeur de l’établissement initial au sens des règles de tarification, de sorte qu’il s’agissait d’un « seul et même employeur ». Cette analyse repose sur la continuité économique et juridique de l’activité au-delà des changements de dénomination sociale ou de structure juridique.

La cour ne tranche pas expressément cette question dans ses motifs. Elle préfère rejeter la demande au motif que l’employeur échoue à rapporter la preuve qui lui incombe. Ce silence pourrait traduire une forme de prudence juridictionnelle, mais il laisse subsister une incertitude sur le critère de distinction entre pluralité d’employeurs apparente et unité d’employeur réelle.

B. L’insuffisance probatoire des éléments produits par l’employeur

La cour examine successivement les deux pièces produites par l’employeur à l’appui de sa demande d’inscription au compte spécial. Elle constate que « les seules déclarations de l’assuré, établies dans l’optique d’une prise en charge de sa pathologie par l’assurance maladie, sont insuffisantes pour démontrer qu’il a été exposé au risque de sa maladie au sein d’une autre entreprise ». Elle écarte ainsi la déclaration de maladie professionnelle complétée par le salarié lui-même.

Elle analyse ensuite la convention de mutation concertée versée aux débats. Elle relève que « même si ce document indique que M. [I] a été muté de [4] [Localité 9] à [5], il n’en ressort pas une quelconque exposition au risque d’inhalation de poussières d’amiante durant son travail, les activités qu’il y aurait réalisées ne sont même pas mentionnées dans ledit document ».

Cette motivation révèle l’exigence probatoire pesant sur l’employeur. Il ne suffit pas de démontrer que le salarié a travaillé pour plusieurs entités juridiques distinctes. Encore faut-il établir qu’il a été exposé au risque spécifique de la maladie reconnue au sein de ces autres entités. L’employeur doit prouver non seulement la pluralité d’emplois, mais également la réalité de l’exposition dans chacun d’eux.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence rigoureuse en matière de transfert de la charge financière des maladies professionnelles vers le compte spécial. Elle préserve l’équilibre de la branche accidents du travail et maladies professionnelles en évitant que les employeurs ne se déchargent trop aisément du coût de pathologies dont l’origine professionnelle est avérée. Elle incite également les entreprises à conserver une traçabilité précise des expositions aux risques de leurs salariés, documentation qui pourrait leur permettre de contester utilement une imputation ou de la faire partager avec d’autres employeurs réellement responsables.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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