Cour d’appel de Amiens, le 5 septembre 2025, n°24/02371

Rendue par la cour d’appel d’Amiens le 5 septembre 2025, la décision commente un litige de tarification des risques professionnels. Un ancien salarié atteint d’un mésothéliome, reconnu au titre du tableau n° 30, a vu les dépenses imputées au compte de son employeur. Celui-ci a sollicité l’inscription au compte spécial, au motif d’expositions successives dans plusieurs structures, dont une relevant d’un régime spécial.

Les faits utiles se résument ainsi. Après la reconnaissance de la maladie professionnelle, la caisse a imputé les coûts au compte employeur. L’employeur a saisi la commission de recours amiable d’une demande d’inscription au compte spécial, rejetée. Il a ensuite attrait la caisse devant la cour d’appel d’Amiens. Il soutient l’impossibilité de déterminer l’entreprise d’exposition causale, invoquant notamment une période d’activité antérieure dans un établissement public industriel et commercial à régime spécial. La caisse réplique que l’arrêté du 16 octobre 1995 ne vise que les établissements relevant du régime général.

La question de droit tient à la portée du 5° de l’article 2 de l’arrêté du 16 octobre 1995, pris pour l’application des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale. Plus précisément, s’agit-il de savoir si des expositions dans une structure à régime spécial permettent l’inscription au compte spécial, faute de pouvoir déterminer l’entreprise d’exposition provoquante. La cour répond négativement, en affirmant que « les dispositions de l’article 2 de l’arrêté du 16 octobre 1995 ont exclusivement vocation à déterminer l’imputation d’une maladie professionnelle entre les établissements relevant du régime général de sécurité sociale ». Elle retient, en outre, que « Dans le cas d’une demande d’inscription au compte spécial, la charge de la preuve de la réunion de ces conditions incombe à l’employeur ». Constatant l’absence de démonstration d’expositions dans « des établissements d’entreprises différentes » au sens du texte, elle juge que « L’exposition au risque au sein d’établissements d’entreprises différentes n’est donc pas démontrée, les conditions d’application de l’article 2 5° de l’arrêté du 16 octobre 1995 ne sont donc pas remplies », déboute l’employeur et le condamne aux dépens.

I. L’interprétation stricte du 5° de l’arrêté du 16 octobre 1995

A. Le cantonnement aux établissements du régime général

La cour affirme sans ambages que « les dispositions de l’article 2 de l’arrêté du 16 octobre 1995 ont exclusivement vocation à déterminer l’imputation d’une maladie professionnelle entre les établissements relevant du régime général de sécurité sociale ». Cette lecture raccorde l’arrêté à ses bases textuelles, à savoir les articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7, qui fixent la tarification des risques au sein du régime général.

Une telle articulation ferme la porte aux interactions avec des structures à régime spécial. Le critère organique de rattachement au régime général devient décisif. L’expression « entreprises différentes », employée par le 5°, reçoit ainsi une signification autonome, limitée aux seuls employeurs cotisant dans le même régime.

B. La qualification d’« entreprises différentes » et l’exclusion des régimes spéciaux

Appliquant ce principe, la cour écarte la prise en compte d’une période d’activité accomplie dans un établissement public industriel et commercial à régime spécial. Cette structure ne saurait être assimilée à une « entreprise » relevant du champ matériel de l’arrêté, centré sur la tarification du régime général.

L’employeur, qui invoquait des expositions successives, ne satisfait donc pas au 5° de l’article 2. La cour conclut que « L’exposition au risque au sein d’établissements d’entreprises différentes n’est donc pas démontrée, les conditions d’application de l’article 2 5° de l’arrêté du 16 octobre 1995 ne sont donc pas remplies ». L’issue logique s’impose dès lors que le périmètre normatif du compte spécial est strictement défini.

II. Portée et appréciation de la solution

A. Conformité à la finalité du compte spécial et à la jurisprudence

Le compte spécial internalise, au sein du régime général, les coûts des maladies dont l’imputation précise est impossible entre employeurs de ce régime. La solution protège ce mécanisme, en évitant un partage des charges au-delà de son périmètre financier et assurantiel. Elle prévient une mutualisation interrégimes que les textes ne prévoient pas.

La règle probatoire s’inscrit dans cette logique. La cour rappelle que « Dans le cas d’une demande d’inscription au compte spécial, la charge de la preuve de la réunion de ces conditions incombe à l’employeur ». Le principe est classique en matière de tarification, où le déplacement d’imputation exige une démonstration positive et documentée.

B. Conséquences pratiques et limites de l’option retenue

Cette interprétation induit un coût résiduel pour l’employeur du régime général, lorsque l’histoire professionnelle comprend des périodes significatives dans un régime spécial. Le résultat peut sembler sévère si l’exposition principale s’y rattache, mais la cohérence budgétaire commande la solution retenue.

Elle impose, en pratique, une preuve rigoureuse d’expositions successives dans plusieurs établissements appartenant au seul régime général. À défaut, la tarification demeure sur le compte employeur. L’exigence probatoire, claire et stable, incite à une traçabilité accrue des parcours d’exposition au sein du périmètre pertinent.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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