Cour d’appel de Amiens, le 5 septembre 2025, n°24/03459

Par un arrêt du 5 septembre 2025, la cour d’appel d’Amiens, statuant en matière de tarification des accidents du travail et maladies professionnelles, se prononce sur une demande de retrait d’un coût imputé au compte employeur. Le litige naît d’une pathologie professionnelle reconnue hors tableau, déclarée après le départ à la retraite de l’intéressé, lequel avait exercé des fonctions d’ajusteur-fraiseur durant de nombreuses années dans un établissement ultérieurement repris. L’employeur sollicite l’exclusion des dépenses au motif d’une absence de preuve objective d’exposition au risque dans son périmètre, tout en invoquant des déficiences d’information durant l’instruction primaire.

La procédure s’ouvre par une requête de retrait adressée en février 2024, puis par une assignation devant la juridiction de la tarification, après rejet implicite. L’employeur soutient que la charge probatoire incombant à l’organisme de tarification n’est pas remplie, l’enquête n’ayant pas établi des conditions concrètes, précises et objectives d’exposition. L’organisme s’oppose à la demande, soulève la forclusion pour les taux 2021 à 2023 notifiés antérieurement et produit la déclaration de maladie, un certificat de travail confirmant la carrière continue dans l’établissement repris, la décision de prise en charge, ainsi que l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

La question juridique porte, d’une part, sur l’articulation entre le droit de contester l’imputation et la forclusion attachée aux taux définitivement notifiés, d’autre part, sur l’étendue du contrôle du juge de la tarification et le niveau de preuve requis de l’exposition au risque au service de l’employeur. La cour déclare irrecevables les contestations relatives aux taux 2021 à 2023, mais admet la recevabilité pour les taux non définitifs, puis rejette au fond la demande de retrait, retenant la suffisance probatoire de l’avis spécialisé et circonscrivant strictement sa compétence.

I – Le contrôle de la recevabilité et du périmètre du litige de tarification

A – La forclusion attachée aux taux devenus définitifs

La cour rappelle le cadre de l’article R.142-1-A, III, du code de la sécurité sociale, dont les délais courent à compter de la notification et ne s’opposent qu’en présence d’une information régulière des voies de recours. Elle distingue ensuite l’autonomie de la contestation de l’imputation par rapport à la contestation des taux, tout en précisant la limite lorsque le litige porte, en réalité, sur un taux définitivement notifié. L’arrêt énonce ainsi que « En revanche, ce délai est opposable à l’employeur lorsque cette demande, qui ne peut avoir pour effet de modifier un taux devenu définitif, est formée à l’occasion d’un litige en contestation de ce taux. Il appartient, dès lors, à la juridiction de la tarification de rechercher si le taux de la cotisation en cause a été notifié et revêt un caractère définitif ». La production des notifications des taux 2021, 2022 et 2023 n’étant pas discutée, la forclusion s’imposait, sans priver l’employeur de la faculté de viser les taux à venir.

Cette solution s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence récente qui oblige à qualifier précisément l’objet du recours. Elle sécurise la portée des notifications antérieures et cantonne la remise en cause aux périodes non figées, évitant qu’une demande de retrait serve de vecteur pour rouvrir indirectement des taux clos.

B – La compétence fonctionnelle du juge de la tarification

La cour circonscrit son office au contrôle de l’imputation, à l’exclusion de l’appréciation de la prise en charge et du déroulement de l’instruction primaire. Elle le formule nettement en rappelant que « Il sera rappelé que le juge de la tarification n’a pas compétence pour apprécier le respect par la caisse primaire du principe du contradictoire lors de l’instruction ou encore pour rechercher l’existence d’un lien direct et essentiel entre la maladie et le travail d’un assuré ». Le contrôle porte donc sur la seule vérification que la victime a été exposée au risque dans l’entreprise dont le compte est imputé, l’analyse détaillée des circonstances relevant du contentieux de la sécurité sociale.

Cette limitation renforce la séparation des contentieux et impose aux employeurs de diriger, en temps utile, leurs critiques de prise en charge devant la juridiction compétente. Le juge de la tarification examine l’adossement matériel de l’imputation, non la régularité de l’instruction ni la causalité médico-professionnelle déjà tranchée.

II – La preuve de l’exposition au risque et la valeur de l’avis spécialisé

A – L’avis du comité régional comme élément probant suffisant

Au fond, la charge de la preuve d’une exposition au risque au service de l’employeur incombe à l’organisme qui impute les dépenses. La cour retient qu’elle est satisfaite au regard des pièces produites, en particulier l’avis rendu dans un dossier de maladie hors tableau. Le comité a motivé sa conclusion par des éléments objectifs, ainsi qu’il ressort de la motivation reproduite par la cour : « il a travaillé comme ajusteur-fraiseur durant toute sa carrière professionnelle. L’étude du dossier permet de retenir une exposition à des substances chimiques dont le trichloréthylène pendant une durée suffisante pour expliquer la genèse de la maladie, du fait des connaissances scientifiques sur les lymphomes non hodgkiniens. Le comité a pris connaissance de l’avis du médecin conseil et a entendu l’ingénieur du service prévention ».

La déclaration de maladie ne mentionnait qu’un seul employeur sur toute la période utile et un certificat de travail confirmait la continuité de l’emploi dans l’établissement repris. Dans ce contexte, la cour juge que l’avis spécialisé « suffit à justifier le bien-fondé de l’imputation », l’employeur ne pouvant obtenir, devant le juge de la tarification, un réexamen du contradictoire observé en phase primaire. La formule « La preuve attendue est ainsi rapportée » consacre la suffisance de l’ensemble probatoire réuni.

B – Les implications pour les employeurs repreneurs et la contestation des imputations

La solution consacre une exigence probatoire réaliste pour l’organisme de tarification lorsque la carrière a intégralement eu lieu dans l’établissement repris. En présence d’un avis du comité régional circonstancié, d’une déclaration ne mentionnant qu’un seul employeur et d’un certificat corroborant la continuité, l’exposition au risque dans l’entité imputée ressort avec une force probante suffisante. La démonstration de conditions « concrètes, précises et objectives » de chaque poste n’est pas requise devant la juridiction de tarification.

La portée pratique est nette pour les repreneurs d’établissements industriels exposant à des agents chimiques. Le contentieux utile se situe en amont, lors de la contestation de la prise en charge, tandis que la tarification demeure arrimée à l’exposition dans le périmètre de l’établissement, appréciée de manière globale à l’aune des constatations médico-techniques. La vigilance doit donc porter sur les délais de recours, la traçabilité des reprises et la cohérence des données de carrière, faute de quoi l’imputation se maintient.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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