Cour d’appel de Amiens, le 5 septembre 2025, n°24/04550

Par un arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 5 septembre 2025, la juridiction de tarification se prononce sur l’imputation au compte employeur des conséquences d’une maladie reconnue au tableau n° 47 et sur une demande d’inscription au compte spécial. Un salarié, occupé durant plusieurs décennies à des tâches d’usinage et de montage de panneaux en bois, a déclaré en 2022 un adénocarcinome de l’ethmoïde, pris en charge en 2023. L’organisme compétent a imputé les dépenses au compte de l’employeur, lequel a demandé leur retrait, puis, à titre subsidiaire, leur inscription au compte spécial.

La procédure retrace le rejet de la réclamation préalable, l’assignation devant la juridiction compétente, et des prétentions opposées. L’employeur sollicite la réformation de la décision, le retrait des dépenses et leur transfert au compte spécial, invoquant l’absence d’exposition au risque et l’absence de qualité de repreneur. L’organisme de tarification conclut à la confirmation de l’imputation, soutenant la qualité de repreneur et la réalité de l’exposition. La question posée tient, d’abord, à la qualification de repreneur au sens de la tarification, puis, corrélativement, à la preuve de l’exposition justifiant l’imputation et, à défaut, aux conditions d’un compte spécial. La cour retient la qualité de repreneur, constate la preuve de l’exposition, rejette la demande de retrait et refuse l’inscription au compte spécial.

I. Qualification de repreneur et charge probatoire

A. Le cadre textuel applicable à la reprise d’établissement

Le régime des établissements nouvellement créés est circonscrit par l’article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale, dont la clause d’exclusion centrale est rappelée sans ambiguïté: « Ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d’un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel. » Cette formulation, exigeante et cumulative, organise une présomption de continuité du risque dès lors que l’activité, les moyens et la reprise significative de personnel convergent.

Dans la présente espèce, la cour précise la répartition de la charge probatoire en des termes clairs: « Il appartient à la société qui conteste la qualité de repreneur de prouver qu’elle ne remplit pas les conditions de l’article précité. » La démarche respecte la logique du texte: celui qui revendique le statut dérogatoire d’établissement nouvellement créé doit établir, positivement, l’absence de continuité économique et sociale. La solution s’inscrit dans une lecture stricte du régime de tarification, protectrice de la neutralité des restructurations sur l’évaluation du risque.

B. L’appréciation concrète des éléments de continuité

La cour s’appuie sur l’enquête administrative, les réponses concordantes aux questionnaires, et des éléments publiquement revendiqués de continuité historique. Elle retient la persistance d’une activité de fabrication et d’assemblage de panneaux bois, l’identité des moyens de production et la succession d’entités dans la même chaîne économique. La force probante des constats est soulignée par une formule classique: « Il ressort de ces constats, dont on rappellera qu’ils font foi jusqu’à preuve du contraire. » L’employeur n’apporte pas de contradiction sérieuse permettant d’infirmer ces données.

Le raisonnement procède sans excès: la juridiction ne se fonde ni sur un critère unique, ni sur une seule pièce, mais sur un faisceau concordant. La qualité de repreneur découle d’un ensemble probatoire cohérent, conforme au standard du texte. Cette qualification commande directement le périmètre du risque imputable et prépare l’examen des demandes de retrait et d’inscription au compte spécial.

II. Imputation des dépenses et écart du compte spécial

A. La preuve de l’exposition au risque et le rejet du retrait

L’assiette de la valeur du risque est fixée par les dispositions réglementaires, la cour rappelant utilement que « seules sont prises en compte dans la valeur du risque les dépenses liées aux accidents ou aux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu. » L’employeur peut solliciter un retrait lorsque la victime n’a pas été exposée dans son établissement; encore faut-il que l’organisme justifie, en cas de contestation, de l’exposition au risque au service de l’employeur.

L’instruction révèle des périodes prolongées d’usinage, de ponçage et d’assemblage de panneaux bois, avec des constats d’empoussièrement et l’absence d’équipements de protection individuelle adéquats, en cohérence avec l’évolution des installations. La cour constate le recoupement des déclarations et pièces techniques, dans le prolongement de la reconnaissance au tableau n° 47. L’exigence probatoire est satisfaite, ce qui conduit la juridiction à affirmer, dans une formule sans équivoque: « La demande de retrait qu’elle a formulée sera rejetée. » La décision valorise une approche factuelle précise, où l’inscription au tableau ne dispense pas de la preuve d’exposition, mais guide la qualification des circonstances professionnelles.

B. L’impossibilité de recourir au compte spécial en présence d’une reprise

L’inscription au compte spécial suppose une double condition, que l’arrêté du 16 octobre 1995 formule de manière nette: « la victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d’entreprises différentes sans qu’il soit possible de déterminer celle dans laquelle l’exposition au risque a provoqué la maladie ». Cette voie n’est donc ouverte que si la pluralité d’expositions se rattache à des entreprises distinctes, et si l’imputabilité demeure indéterminable.

La cour rappelle l’incidence de la reprise sur ce mécanisme: la continuité économique emporte l’agrégation des risques, de sorte que l’existence d’entités successeurs exclut la pluralité d’« entreprises différentes » au sens du texte. Elle souligne ce principe de manière pédagogique: les cotisations dues par le repreneur sont calculées « en fonction des risques survenus à l’ensemble des salariés de l’ancienne entreprise ». En l’absence de preuve d’expositions réparties entre établissements de véritables entreprises distinctes, l’une des conditions cumulatives du 5° fait défaut.

La solution apparaît mesurée et conforme à la finalité du compte spécial, instrument de mutualisation de l’indéterminable, non de neutralisation des effets ordinaires des restructurations. Elle prévient un contournement du principe d’imputation par le seul jeu des successions d’exploitants, et maintient la lisibilité du risque au sein d’une continuité d’activité.

Ainsi, l’arrêt articule strictement les textes de tarification et de mutualisation, en rappelant la rigueur des critères de reprise et l’exigence probatoire pesant sur l’employeur qui conteste l’imputation. L’économie de la décision, ferme mais nuancée, consolide une lecture stable de la tarification, proportionnée aux réalités organisationnelles et aux exigences de prévention.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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