Cour d’appel de Amiens, le 8 septembre 2025, n°24/00694

La Cour d’appel d’Amiens, le 8 septembre 2025, statue sur la reconnaissance d’un syndrome du canal carpien bilatéral au titre du tableau n° 57 C. L’assurée a déclaré sa maladie le 19 novembre 2020, sur la base d’un certificat médical initial du 2 mars 2020, après une première constatation électromyographique du 18 avril 2011. La caisse a refusé la prise en charge, entérinant deux avis défavorables du comité compétent, au motif d’un travail hors liste limitative.

Le tribunal judiciaire a retenu l’origine professionnelle, considérant l’exposition prolongée aux gestes de clavier et souris dans des fonctions administratives soutenues. La caisse a interjeté appel, soutenant que les conditions du tableau ne sont pas remplies à la date de 2011 et que la dactylographie ne suffit pas. L’assurée s’est prévalue de certificats médicaux concordants et d’une aggravation nette à compter de 2017, avec infiltrations et interventions successives.

La question tranchée porte sur le moment d’appréciation des conditions du tableau et sur la qualification, au regard de la liste limitative, d’une activité informatique intensive comportant appui carpien et préhension prolongée. La cour rappelle que « c’est à la date de la déclaration de la maladie professionnelle accompagnée du certificat médical initial que doivent s’apprécier les conditions d’un tableau de maladies professionnelles ». Elle retient, en outre, que « la date de première constatation médicale […] est inopérante pour apprécier la durée d’exposition au risque », et confirme la reconnaissance au vu d’éléments médicaux et professionnels précis.

I. Sens de la décision

A. Le cadre légal et l’office du juge du contentieux social

Le point de départ est clairement normatif. L’article L. 461-1 dispose que « est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladie professionnelle et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau ». Lorsque une condition du tableau fait défaut, la maladie peut être reconnue si elle est « directement causée par le travail habituel de la victime », après avis du comité compétent : « Dans ce cas, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un [11] ([15]). »

La valeur de cet avis est rappelée avec netteté. « Si la [12] est tenue de suivre l’avis du [15] qui s’impose à elle, il n’en est pas de même pour les juridictions du contentieux de la sécurité sociale. » Le juge apprécie souverainement la preuve, laquelle incombe à l’assuré : « Il appartient à l’assuré d’établir que les conditions de prise en charge de la maladie sont remplies s’il entend voir reconnaître le caractère professionnel de sa maladie. » Cette mise au point structure le contrôle juridictionnel opéré.

B. La détermination temporelle et matérielle des conditions du tableau n° 57 C

La cour précise l’objet de la condition litigieuse. « Le tableau mentionne des travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d’extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main. » Elle retient une règle de conflit temporel désormais claire. « C’est à la date de la déclaration de la maladie professionnelle accompagnée du certificat médical initial que doivent s’apprécier les conditions d’un tableau de maladies professionnelles. »

La première constatation médicale ne fige donc pas l’analyse de l’exposition. La cour souligne avec précision que « si la date de première constatation médicale est importante pour apprécier les conditions tenant au délai de prise en charge, elle est inopérante pour apprécier la durée d’exposition au risque ». Ainsi, l’enquête administrative centrée sur la seule période de formation a été jugée insuffisante, d’autant que « après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, le comité constate que l’intéressée était en formation à la date de la survenue de la pathologie », puis conclut à l’absence de mouvements exigés, ce que la cour relativise au regard des années suivantes.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une appréciation probatoire convaincante mais exigeante

La motivation se concentre sur la matérialité des gestes et postures réclamés par le tableau. La cour agrège des données médicales concordantes, des descriptions de poste circonstanciées et l’historique des aggravations, pour caractériser une exposition habituelle. Elle rappelle que l’activité informatique peut, selon les tâches et cadences, correspondre à un appui carpien prolongé et à une préhension soutenue.

La solution n’assimile pas toute dactylographie au tableau 57 C. Elle exige une preuve positive et contextualisée, avec un faisceau précis d’indices. La critique des avis défavorables est mesurée et procède d’un rééquilibrage probatoire. Les motifs généraux du comité, tels que « Il n’y a pas dans l’activité habituelle de mouvements de flexions extensions forcées et/ou répétées sous contrainte de temps pouvant expliquer la pathologie présentée », ne résistent pas à l’examen des fonctions ultérieures, médicalement documentées, et à l’évolution invalidante constatée.

B. Clarification jurisprudentielle et effets pratiques

L’intérêt majeur réside dans la coordination des temps juridiques de la maladie professionnelle. La décision s’aligne sur la jurisprudence de la haute juridiction, en opérant un tri utile entre délai de prise en charge et exposition. Elle admet de façon cohérente que l’aggravation, si elle survient pendant une activité répondant à la liste limitative, soutient la reconnaissance au jour de la déclaration. La cour convoque, par analogie, un principe proche en accident du travail : « l’aggravation due entièrement à un accident du travail d’un état pathologique antérieur n’occasionnant aucune incapacité, doit être indemnisée en sa totalité au titre de l’accident du travail. »

La portée pratique est nette. Les organismes devront investiguer l’exposition sur toute la période pertinente précédant la déclaration, et non s’arrêter à la première constatation ancienne. Les comités devront motiver au regard des tâches réellement accomplies et des cadences contemporaines de l’aggravation. Cette orientation, prudente mais ferme, évite une automaticité négative à l’endroit des travaux sur écran, tout en ouvrant une voie probatoire lorsque l’appui carpien et la préhension prolongée sont établis. En conséquence, « le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions », la cour concluant que la preuve des conditions d’exposition « est suffisamment rapportée ».

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Hassan KOHEN
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