Cour d’appel de Angers, le 24 juillet 2025, n°24/01589

Par un arrêt du 24 juillet 2025, la cour d’appel d’Angers s’est prononcée sur les conditions d’autorisation judiciaire de vente d’un bien indivis en l’absence de consentement de l’un des coindivisaires. Cette décision illustre l’articulation délicate entre les articles 815-5 et 815-6 du code civil, ainsi que les exigences procédurales qui en découlent.

Un homme est décédé le 17 février 2016, laissant pour lui succéder son épouse et leurs quatre enfants majeurs. Un bien immobilier dépendait de cette succession. Quatre des cinq héritiers souhaitaient procéder à sa vente amiable. Le cinquième, après avoir expressément refusé de signer la procuration nécessaire, est devenu injoignable. Les quatre coindivisaires ont alors assigné ce dernier devant le président du tribunal judiciaire d’Angers, statuant selon la procédure accélérée au fond, afin d’être autorisés à vendre le bien sur le fondement des articles 815 et suivants du code civil.

Par jugement du 6 juin 2024, le président du tribunal judiciaire d’Angers a débouté les demandeurs de l’ensemble de leurs prétentions, considérant que l’urgence requise par l’article 815-6 du code civil n’était pas démontrée. Les quatre coindivisaires ont interjeté appel de cette décision.

Devant la cour, les appelants soutenaient avoir fondé leur action sur l’article 815-5 du code civil, lequel n’exige pas la démonstration de l’urgence. Ils faisaient valoir que le défendeur s’opposait à la vente sans motif légitime, que le bien se dégradait faute d’entretien et de chauffage, et qu’il existait un risque d’occupation sans droit ni titre.

La question posée à la cour d’appel d’Angers était double. Il convenait d’abord de déterminer si la saisine du président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond imposait l’application de l’article 815-6 du code civil. Il fallait ensuite apprécier si les conditions de l’urgence et de l’intérêt commun étaient réunies pour autoriser la vente.

La cour d’appel d’Angers infirme le jugement entrepris. Elle juge d’abord que l’article 1380 du code de procédure civile ne vise que l’article 815-6 du code civil, de sorte que le président du tribunal, saisi selon la procédure accélérée au fond, devait exiger la démonstration de l’urgence. Elle retient ensuite que « les dégradations d’ores et déjà constatées sur le bien, qui ne peuvent que concourir à la baisse de sa valeur voire à sa détérioration progressive en ce qu’elles touchent l’isolation et la protection des lieux, caractérisent l’urgence ». Elle autorise donc les quatre coindivisaires à procéder à la vente du bien indivis.

Cette décision présente un intérêt particulier quant au régime de l’autorisation judiciaire de vente en indivision. Elle clarifie l’articulation procédurale entre les articles 815-5 et 815-6 du code civil, imposant aux coindivisaires de respecter les voies processuelles adéquates (I). Elle précise également les critères d’appréciation de l’urgence et de l’intérêt commun lorsqu’un indivisaire s’oppose sans motif à la vente d’un bien qui se dégrade (II).

I. La détermination du fondement juridique applicable à l’autorisation de vente

La cour d’appel d’Angers rappelle avec fermeté le lien entre la voie procédurale choisie et le fondement juridique applicable (A), avant de confirmer l’exclusion de l’article 815-5 dans le cadre de la procédure accélérée au fond (B).

A. L’articulation imposée par l’article 1380 du code de procédure civile

Les appelants prétendaient fonder leur action sur l’article 815-5 du code civil, qui permet au tribunal judiciaire d’autoriser un indivisaire à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coindivisaire serait nécessaire, lorsque le refus de ce dernier met en péril l’intérêt commun. Ce texte ne pose aucune condition d’urgence.

La cour relève cependant que les demandeurs ont saisi « non le tribunal judiciaire mais bien le président de cette juridiction statuant selon la procédure accélérée au fond ». Elle constate que « l’article 1380 du code de procédure civile qui régit les conditions de saisine du président du tribunal judiciaire selon ladite procédure, ne vise que l’article 815-6 et non l’article 815-5, ce dernier article renvoyant à la procédure de droit commun ».

Cette analyse procédurale est rigoureuse. L’article 1380 du code de procédure civile réserve expressément la compétence du président statuant selon la procédure accélérée au fond aux seules mesures prévues par l’article 815-6 du code civil. Les demandeurs ne pouvaient donc prétendre échapper à l’exigence d’urgence en invoquant l’article 815-5 tout en saisissant une juridiction dont la compétence est limitée à l’article 815-6.

B. L’impossibilité de contourner l’exigence d’urgence par un choix de fondement

La cour en déduit que « dès lors que les appelants ont visé largement le fondement de leur action mais saisi le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, c’est à bon droit que la juridiction saisie a fait application des dispositions de l’article 815-6 et exigé la démonstration de l’urgence ».

Cette solution est conforme à une jurisprudence constante qui distingue clairement les deux régimes. L’article 815-5 relève de la compétence du tribunal judiciaire statuant selon la procédure de droit commun. L’article 815-6, qui permet au président de prescrire ou autoriser toutes mesures urgentes que requiert l’intérêt commun, suppose une célérité justifiée par les circonstances.

Les coindivisaires qui souhaitent éviter la démonstration de l’urgence doivent donc saisir le tribunal judiciaire selon la procédure ordinaire et fonder expressément leur action sur l’article 815-5. Le choix de la procédure accélérée au fond emporte nécessairement application de l’article 815-6 et de ses conditions restrictives.

La rigueur procédurale de la cour d’appel d’Angers trouve son prolongement dans l’appréciation au fond des conditions de l’autorisation de vente.

II. L’appréciation des conditions de l’urgence et de l’intérêt commun

La cour caractérise l’urgence par la dégradation progressive du bien indivis (A), puis établit que l’opposition sans motif d’un coindivisaire ne saurait faire obstacle à l’intérêt commun (B).

A. La caractérisation de l’urgence par la détérioration du bien

L’article 815-6 du code civil subordonne l’intervention du président du tribunal judiciaire à la démonstration de l’urgence et de l’intérêt commun. La cour d’appel d’Angers procède à une analyse circonstanciée des éléments de fait.

Elle relève que le bien est inoccupé, sauf ponctuellement par l’intimé qui « s’approprie les lieux en les fracturant ». Une plainte a été déposée pour introduction par effraction. Des photographies produites aux débats « mettent en évidence de nombreuses dégradations des lieux » et deux devis de remise en état sont communiqués.

La cour en conclut que « les dégradations d’ores et déjà constatées sur le bien, qui ne peuvent que concourir à la baisse de sa valeur voire à sa détérioration progressive en ce qu’elles touchent l’isolation et la protection des lieux, caractérisent l’urgence ».

Cette motivation est conforme à la jurisprudence qui admet que la dégradation d’un immeuble indivis puisse constituer l’urgence requise par l’article 815-6. La perte de valeur patrimoniale et le risque de détérioration irréversible justifient une intervention rapide du juge pour préserver les droits de l’ensemble des coindivisaires.

B. L’intérêt commun préservé malgré l’opposition d’un coindivisaire

La cour constate que quatre des cinq coindivisaires souhaitent vendre le bien, que celui-ci nécessite une remise en état et un entretien coûteux, et qu’aucun projet d’occupation paisible n’existe.

Elle relève que l’intimé « s’est opposé à la cession mais sans en donner la raison sauf la manifeste volonté de l’occuper ponctuellement de manière non conforme à son usage normal et donc pas dans l’intérêt commun ». Le mail du notaire ayant recueilli son refus « ne fait état d’aucun motif opposé au refus de vendre ».

La cour juge donc qu’« il est de l’intérêt des co-indivisaires de pouvoir réaliser la cession de ce bien qui nécessite une remise en état et un entretien coûteux sans projet d’occupation paisible par aucun d’entre eux ».

Cette appréciation de l’intérêt commun est pragmatique. L’opposition d’un seul coindivisaire, non motivée et contraire à la bonne gestion du patrimoine indivis, ne saurait paralyser indéfiniment les droits des autres. La vente permet de mettre fin à une situation de blocage préjudiciable à l’ensemble des héritiers, y compris à l’opposant dont la part sera consignée chez le notaire.

La cour d’appel d’Angers infirme ainsi le jugement entrepris et autorise les quatre coindivisaires à procéder à la vente, désignant le notaire chargé de l’évaluation préalable et de la réalisation de l’opération.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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