Cour d’appel de Angers, le 26 juin 2025, n°24/00078

Rendue par la Cour d’appel d'[Localité 6] le 26 juin 2025, la décision commentée confirme la reconnaissance d’une faute inexcusable à la suite d’un accident du travail survenu lors de l’utilisation d’un escalier interne. Le litige oppose un salarié blessé après la rupture d’une marche signalée comme défectueuse et un employeur soutenant avoir informé et formé le personnel, tout en contestant la réalité et la cause de la chute. Le premier juge avait admis la faute inexcusable, ordonné une expertise, fixé la majoration au maximum et organisé les avances par la caisse, avec recours de cette dernière contre l’employeur.

La procédure d’appel voit l’employeur solliciter l’infirmation en invoquant une prévention suffisante, des vérifications techniques et un non-respect des consignes par le salarié. Ce dernier requiert la confirmation, en soulignant le signalement préalable d’un risque structurel et l’insuffisance des contrôles réalisés. La caisse s’en rapporte à justice sur la faute inexcusable, tout en sollicitant, le cas échéant, l’application du régime de remboursement légal. Deux thèses s’affrontent, l’une centrée sur une prévention prétendument adéquate, l’autre sur une carence fautive malgré une alerte précise et réitérée.

La question tranchée par la cour est classique et décisive. Elle porte sur les critères de la faute inexcusable au regard d’un danger objectivement signalé et connu, et sur la portée des fautes concurrentes alléguées, notamment au titre d’une prétendue imprudence ou d’un acte volontaire du salarié. La solution retenue confirme la faute inexcusable, maintient la majoration maximale, écarte toute réduction liée à une faute de la victime et ordonne les conséquences indemnitaires ordinaires, y compris le renvoi pour liquidation.

I. Les critères de la faute inexcusable réaffirmés

A. La conscience du danger fondée sur l’alerte et le document unique

La cour reprend la formule désormais standard de la jurisprudence sur la faute inexcusable en constatant que celle-ci est caractérisée « lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». L’alerte antérieure relative à la marche défectueuse, confirmée par des constatations internes, suffit à établir la conscience du danger au sens du texte. La mention du risque d’utilisation de l’escalier dans le document unique renforce l’objectivation de cette conscience et fait tomber l’argument d’une ignorance raisonnable.

Le dossier montre que le danger n’était ni abstrait ni hypothétique, mais décrit avec précision, après un signalement écrit suivi de vérifications. Dans ce contexte, la cour rappelle que « Les mesures nécessaires à la prévention du danger doivent non seulement être mises en œuvre, mais aussi être efficaces » (2e Civ., 8 octobre 2020, n° 18-26.677). Ce rappel place l’exigence sur la qualité de la prévention au-delà de la seule existence de procédures, en exigeant des actes concrets et adaptés.

Le raisonnement s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante. L’identification d’un risque par le document unique et la remontée d’une alerte circonstanciée imposent une action immédiate. À défaut, l’obligation de sécurité est manquée, nonobstant les formations ou consignes générales invoquées. La prévention ne se mesure pas au volume de documents, mais à la pertinence et l’efficacité des mesures déployées face au risque signalé.

B. L’exigence d’efficacité des mesures et l’insuffisance des vérifications internes

La cour constate l’insuffisance qualitative des vérifications réalisées, consistant principalement à marcher sur l’escalier pour éprouver sa solidité, sans expertise adaptée ni réparation immédiate. Elle souligne, à juste titre, que « Seule la réparation des marches défectueuses de l’escalier permettait de prévenir le risque de chute ». La réparation postérieure à l’accident et le remplacement intégral ultérieur confirment, a contrario, l’inadaptation des mesures antérieures.

La faute inexcusable ne requiert pas que la défaillance de prévention soit la cause déterminante de l’accident. La cour cite expressément que « Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident […] il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire ». Cette précision ferme la voie aux arguments tenant à de prétendues fautes concurrentes mineures ou à des aléas résiduels.

L’appréciation adoptée se montre pédagogique. L’identification d’un danger structurel commande des mesures structurelles, et non des tests sommaires ni des rappels généraux aux consignes. Cette clarification ouvre la voie à l’examen des fautes alléguées de la victime et de leurs effets, que la cour encadre avec rigueur.

II. Les limites de l’exonération et les conséquences indemnitaires

A. L’indifférence des fautes concurrentes et l’encadrement des fautes de la victime

La décision rappelle avec précision que « La faute de la victime n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable ». Seule la faute inexcusable de la victime au sens strict affecte la majoration, ce qui implique un seuil particulièrement élevé. La cour renvoie à la définition consacrée, selon laquelle présente ce caractère « la faute volontaire de la victime d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038).

Elle distingue utilement la faute intentionnelle, qui « suppose un acte volontaire accompli avec l’intention de causer des lésions corporelles et ne résulte pas d’une simple imprudence, si grave soit-elle ». Au vu des éléments, l’allégation d’un sabotage ou d’un geste délibéré pour chuter n’est pas démontrée. L’argumentation fondée sur un défaut de tenue des rampes ne surmonte pas le constat d’un vice de structure, cause nécessaire de l’accident selon les constatations retenues.

Le calibrage probatoire est net. L’imprudence, même fautive, demeure indifférente à l’existence de la faute inexcusable, sauf franchissement du seuil d’exceptionnelle gravité ou de l’intention de se blesser. L’employeur ne démontre ni l’un ni l’autre, de sorte que la majoration n’a pas à être réduite. La construction retenue protège la cohérence du régime sans dénaturer la charge de la preuve.

B. Les effets pratiques: majoration, recours de la caisse et standard de prévention

La cour confirme la majoration au maximum, écarte toute réduction pour faute de la victime et déclare la décision commune à la caisse, qui fera l’avance des sommes dans le cadre légal. La solution emporte le renvoi pour la liquidation des préjudices, l’expertise ayant été menée, et statue accessoirement sur les dépens et l’indemnité procédurale. L’économie du dispositif demeure classique et cohérente avec la qualification retenue.

La portée de l’arrêt dépasse l’espèce par la précision donnée au standard d’efficacité des mesures. La décision réaffirme que des actions concrètes, immédiates et techniquement adaptées s’imposent lorsqu’une alerte vise la solidité d’un équipement. En pareil cas, la mise en œuvre tardive ou symbolique expose l’employeur à la faute inexcusable, indépendamment des formations transversales ou consignes générales.

La solution guide la pratique de prévention en valorisant l’anticipation, la traçabilité des interventions et le recours, lorsque nécessaire, à des expertises qualifiées. Elle clarifie enfin l’articulation avec les fautes de la victime, en réservant l’atténuation de la majoration aux hypothèses strictement définies par la jurisprudence et le texte applicable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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