Cour d’appel de Angers, le 30 juillet 2025, n°24/00450

L’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 30 juillet 2025 tranche un contentieux relatif à la fixation du taux d’incapacité permanente partielle consécutif à un accident du travail. La décision illustre les difficultés d’articulation entre l’évaluation médicale des séquelles et la prise en compte de la situation professionnelle de l’assuré.

Un salarié, directeur juridique, a été victime le 7 mars 2017 d’un accident du travail consistant en un choc psychologique violent. Après une longue procédure ayant abouti à la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident par un arrêt de la cour d’appel d’Angers du 24 septembre 2020, confirmé par la Cour de cassation le 17 mars 2022, la caisse primaire d’assurance maladie a fixé la date de consolidation et attribué un taux d’incapacité permanente partielle de 25 %. L’assuré a contesté ces deux décisions.

Le pôle social du tribunal judiciaire d’Angers a ordonné une expertise médicale judiciaire. L’expert a conclu à une date de consolidation au 18 janvier 2022 et à un taux d’incapacité de 40 %. Par jugement du 9 août 2024, les premiers juges ont retenu la date de consolidation proposée mais ont fixé le taux à 30 %, minorant l’évaluation de l’expert au motif que l’assuré avait fait valoir ses droits à la retraite en mai 2022.

L’assuré a interjeté appel, sollicitant que le taux soit porté à 40 % conformément aux conclusions de l’expert. La caisse a conclu à la confirmation du jugement, arguant que le coefficient socioprofessionnel s’apprécie au moment où le juge examine l’affaire et que le départ prochain à la retraite limite dans le temps l’incidence professionnelle.

La question posée à la cour était de déterminer si des éléments postérieurs à la date de consolidation peuvent être pris en compte pour fixer le taux d’incapacité permanente partielle, notamment le départ à la retraite intervenu quatre mois après cette date.

La cour d’appel d’Angers infirme le jugement et fixe le taux d’incapacité à 40 %. Elle juge qu’« il ne peut être tenu compte, dans la fixation du taux d’IPP, d’éléments postérieurs à la date de consolidation, comme le fait pour l’assuré de faire valoir ses droits à la retraite quatre mois après cette date ».

La solution retenue par la cour appelle une analyse en deux temps. Il convient d’examiner la détermination de la date d’appréciation du taux d’incapacité (I), avant d’étudier l’exclusion des éléments postérieurs à la consolidation (II).

I. La détermination de la date d’appréciation du taux d’incapacité

L’arrêt rappelle le cadre légal de l’évaluation de l’incapacité (A) et précise le rôle de la date de consolidation dans cette évaluation (B).

A. Le cadre légal de l’évaluation de l’incapacité permanente

La cour fonde son analyse sur l’article L. 434-2, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale. Elle rappelle que « le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité ».

Cette disposition énumère de manière exhaustive les critères d’évaluation. L’incapacité résulte d’une appréciation globale intégrant des éléments médicaux et des éléments socioprofessionnels. Le taux n’est pas purement physiologique, il tient compte de la capacité résiduelle de travail de la victime au regard de sa qualification. La cour souligne que la juridiction saisie doit « se prononcer sur l’ensemble des éléments concourant à la fixation » du taux.

L’arrêt cite en ce sens la jurisprudence de la Cour de cassation (2e Civ., 21 mars 2024, pourvoi n° 22-15.376). Cette référence confirme que le juge dispose d’une compétence pleine pour apprécier le taux, sans être lié par les conclusions de l’expert ou les décisions administratives antérieures.

B. Le rôle structurant de la date de consolidation

La cour rappelle ensuite que « l’incapacité permanente consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle est appréciée à la date de la consolidation de l’état de la victime ». Elle vise expressément l’arrêt de la deuxième chambre civile du 15 mars 2018 (pourvoi n° 17-15.400).

La consolidation constitue le point de cristallisation de l’évaluation. Elle marque le moment où l’état de santé de la victime est stabilisé. C’est à cette date que doivent être appréciées les séquelles et leur retentissement. La logique est chronologique : l’incapacité se mesure au regard de ce qu’était la situation de la victime au jour où son état a cessé d’évoluer.

En l’espèce, la date de consolidation a été fixée au 18 janvier 2022 par l’expert judiciaire. Les parties n’ont pas contesté cette date en appel. La cour observe que ces dispositions « ont un caractère définitif ». Le cadre temporel de l’évaluation est ainsi déterminé.

II. L’exclusion des éléments postérieurs à la consolidation

La cour censure la prise en compte du départ à la retraite (A) et valide intégralement l’évaluation de l’expert judiciaire (B).

A. Le refus de considérer le départ à la retraite postérieur

Les premiers juges avaient minoré le taux de 10 points en considérant que l’assuré avait fait valoir ses droits à la retraite en mai 2022, soit quatre mois après la consolidation. Ils avaient retenu un « retentissement sur l’activité professionnelle de l’intéressé » diminué par ce départ.

La cour censure ce raisonnement. Elle énonce clairement qu’« il ne peut être tenu compte, dans la fixation du taux d’IPP, d’éléments postérieurs à la date de consolidation ». Le départ à la retraite en mai 2022 est un événement intervenu après le 18 janvier 2022. Il ne pouvait donc servir à moduler le taux.

Cette position est cohérente avec la jurisprudence constante. Le taux d’incapacité n’est pas une prestation dynamique ajustable au fil du temps. Il se fige à la consolidation. Intégrer des éléments postérieurs reviendrait à modifier rétroactivement une situation acquise. La caisse soutenait que le coefficient socioprofessionnel était « purement administratif » et « apprécié par le tribunal au moment où celui-ci examine l’affaire ». La cour rejette implicitement cette analyse.

B. La validation de l’expertise judiciaire

L’expert avait proposé un taux de 40 % en relevant un « trouble dépressif caractérisé d’intensité moyenne enkysté avec la persistance notamment de troubles cognitifs prégnants et une participation psychotique d’allure paranoïaque stable ». Il avait souligné des « séquelles importantes avec un retentissement fonctionnel majeur sur sa qualité de vie ».

La cour observe qu’« il n’y a par ailleurs aucun élément médical dans le dossier qui permet de remettre en cause l’évaluation du taux d’IPP effectué par l’expert judiciaire ». Elle qualifie l’expertise de « claire, précise et dépourvue de toute ambiguïté ».

La cour relève également que l’expert avait connaissance de l’âge de l’assuré et de sa proximité avec la retraite au moment de l’examen. L’évaluation intégrait donc déjà cet élément. Le taux de 40 % correspond par ailleurs au barème indicatif d’invalidité, chapitre 4.2.1.1.1, qui prévoit un taux de 20 à 40 % pour un « syndrome névrotique anxieux, hypochondriaque, cénesthopatique, obsessionnel, caractérisé, s’accompagnant d’un retentissement plus ou moins important sur l’activité professionnelle de l’intéressé ».

L’arrêt confirme ainsi que le juge n’est pas tenu par l’avis du médecin-conseil de la caisse lorsque l’expertise judiciaire est probante. La primauté de l’expertise judiciaire sur l’appréciation administrative apparaît nettement. La cour ordonne la régularisation de la situation de l’assuré avec paiement des intérêts de retard, sanctionnant la résistance injustifiée de la caisse.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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