Cour d’appel de Basse-Terre, le 16 juin 2025, n°24/00494

Le contentieux du recouvrement des cotisations sociales offre parfois des situations procédurales singulières où l’appel, pourtant formé, se révèle dépourvu de toute utilité pratique. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Basse-Terre le 16 juin 2025 illustre ce paradoxe.

Un travailleur indépendant s’était vu notifier une contrainte par le directeur de l’organisme de sécurité sociale le 20 septembre 2023 pour un montant de 28 582,91 euros correspondant à des cotisations et majorations de retard. La contrainte fut signifiée le 23 novembre 2023. Le cotisant forma opposition devant le pôle social du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre. Par jugement du 19 mars 2024, cette juridiction valida partiellement la contrainte pour la somme de 22 589,43 euros, après avoir constaté la prescription de certaines créances. Le cotisant interjeta appel le 7 mai 2024, invoquant la prescription d’une partie des créances réclamées. L’organisme de sécurité sociale sollicita la confirmation du jugement.

La cour devait déterminer si l’appel était fondé alors que l’appelant demandait la fixation de la créance au montant exact retenu par les premiers juges.

La Cour d’appel de Basse-Terre confirma le jugement en toutes ses dispositions. Elle releva que « les parties formulent des prétentions identiques » et que l’appelant sollicitait lui-même la validation de la créance pour 22 589,43 euros, soit précisément le quantum consacré en première instance.

L’identité des prétentions entre appelant et intimé conduit à s’interroger sur l’intérêt à agir en appel (I), tandis que la confirmation intégrale du jugement soulève la question de l’efficacité du recours exercé (II).

I. L’identité paradoxale des prétentions en cause d’appel

L’appel suppose normalement une contestation de la décision attaquée. La situation examinée révèle une concordance inattendue entre les demandes des parties (A), ce qui interroge sur la recevabilité même du recours (B).

A. La concordance des demandes entre appelant et intimé

L’article 4 du code de procédure civile dispose que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ». La cour applique ce texte avec rigueur en constatant que les deux plaideurs réclament la validation de la contrainte pour un montant identique de 22 589,43 euros.

L’appelant avait certes motivé son recours par la prescription de certaines cotisations. Sa déclaration d’appel indiquait expressément que « une grande partie des créances demandées est prescrite ». Cette argumentation se heurtait à un obstacle dirimant. Le tribunal avait déjà accueilli ce moyen en réduisant la créance de 28 582,91 euros à 22 589,43 euros. L’appelant demandait donc la consécration d’une solution qui lui avait été accordée.

La cour souligne cette incohérence en relevant que « si M. [O] sollicite la réformation du jugement déféré, il demande également à la cour de fixer la créance […] au montant qui a été validé par les premiers juges ». Cette observation révèle un défaut de cohérence entre le dispositif de la déclaration d’appel et celui des conclusions au fond.

B. L’intérêt à agir fragilisé par l’absence de grief

L’intérêt à agir constitue une condition de recevabilité de toute action en justice. En appel, cet intérêt suppose l’existence d’un grief né de la décision attaquée. L’appelant doit avoir succombé, au moins partiellement, devant les premiers juges.

La situation examinée soulève une difficulté particulière. Le cotisant avait obtenu satisfaction sur le moyen tiré de la prescription. Le tribunal avait réduit la créance de près de six mille euros. L’appel ne tendait pas à obtenir davantage mais à faire consacrer ce qui avait déjà été jugé.

La cour ne prononce pas l’irrecevabilité de l’appel pour défaut d’intérêt. Elle préfère constater l’identité des prétentions et confirmer le jugement. Cette démarche pragmatique évite de trancher la question de la recevabilité. Elle conduit néanmoins au même résultat pratique : le rejet des prétentions de l’appelant.

L’absence de véritable contestation du quantum retenu par les premiers juges prive l’appel de son objet naturel. Cette situation exceptionnelle trouve son prolongement logique dans la confirmation intégrale du jugement.

II. La confirmation intégrale révélatrice d’un appel sans objet

La cour tire les conséquences de l’identité des prétentions en confirmant le jugement (A). Cette issue pose la question de l’utilité du recours exercé et de ses conséquences pour l’appelant (B).

A. La validation définitive de la créance sociale

La cour confirme la contrainte pour la somme de 22 589,43 euros correspondant aux cotisations du deuxième trimestre 2014 et des mois de mars, avril et mai 2019. Les cotisations antérieures, relatives au premier trimestre 2009, aux deuxième, troisième et quatrième trimestres 2013 et à l’année 2013, demeurent exclues en raison de leur prescription.

L’organisme de sécurité sociale avait tenté de faire valoir que « aucune prescription ne saurait être retenue, M. [O] demandant régulièrement des délais de paiement ». Cet argument tendait à invoquer l’interruption de la prescription par la reconnaissance de dette que constitue une demande de délais. La cour ne retient pas cette argumentation et maintient la réduction opérée par les premiers juges.

La motivation de l’arrêt demeure laconique sur ce point. La cour se borne à constater l’accord des parties sur le montant sans examiner au fond la question de la prescription. Cette économie de moyens se justifie par l’absence de contestation effective du quantum. L’organisme lui-même sollicitait la confirmation du jugement ayant réduit sa créance.

B. Les conséquences procédurales d’un appel infructueux

L’appelant succombe en son recours et supporte les dépens de l’instance d’appel. Cette condamnation s’ajoute à celle prononcée en première instance, incluant les frais de signification de la contrainte et les éventuels frais d’exécution forcée.

Le résultat de la procédure d’appel apparaît particulièrement défavorable au cotisant. Il n’obtient aucune réduction supplémentaire de la créance. Il assume des frais de procédure additionnels. Il retarde le règlement de sa dette sans bénéfice corrélatif.

Cette situation illustre les risques d’un appel mal orienté. La déclaration d’appel invoquait la prescription alors que ce moyen avait prospéré devant les premiers juges. Les conclusions sollicitaient la fixation de la créance au montant déjà validé. L’incohérence entre le grief allégué et la demande formulée condamnait le recours à l’échec.

La décision rappelle l’importance de définir précisément l’objet de l’appel et de formuler des prétentions conformes au grief invoqué. Un appel ne saurait utilement tendre à la confirmation de ce qui a été jugé.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture