- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La détermination du champ des garanties dans un contrat d’assurance à risques dénommés constitue une source abondante de contentieux, en particulier lorsque surviennent des évènements imprévus par les parties lors de la conclusion du contrat. La cour d’appel de Basse-Terre, par un arrêt du 4 septembre 2025, apporte une illustration significative de cette problématique dans le contexte des pertes d’exploitation liées tant aux troubles sociaux qu’à la crise sanitaire.
Une société exploitant un restaurant en Martinique avait souscrit le 5 septembre 2019 une police d’assurance couvrant les dommages et responsabilités. Elle a déclaré deux sinistres successifs au titre des pertes d’exploitation : le premier en décembre 2019, en raison d’émeutes paralysant l’île, le second en mars 2020, à la suite de la fermeture administrative ordonnée dans le cadre de la pandémie de Covid-19. L’assureur a refusé sa garantie dans les deux cas. La société assurée a alors assigné l’assureur et le courtier devant le tribunal mixte de commerce de Basse-Terre.
Par jugement du 31 août 2023, le tribunal a condamné l’assureur à verser la somme de 16 467 euros au titre des pertes d’exploitation liées aux émeutes de décembre 2019, tout en rejetant la demande relative aux pertes causées par la crise sanitaire. L’assureur a interjeté appel de cette condamnation. L’assurée a formé appel incident, sollicitant l’indemnisation de l’ensemble de ses pertes d’exploitation.
La cour devait déterminer si les pertes d’exploitation consécutives aux émeutes puis à la crise sanitaire entraient dans le champ des garanties contractuelles.
La cour d’appel infirme le jugement en ce qu’il avait condamné l’assureur au titre des émeutes et confirme le rejet de la demande relative à la crise sanitaire. Elle juge que le contrat, qualifié de « contrat à risques dénommés », ne garantit les pertes d’exploitation qu’en cas de dommages causés aux biens assurés et que les garanties « impossibilité d’accès » et « contrainte administrative » sont expressément exclues par les conditions particulières.
Cette décision invite à examiner successivement la qualification du contrat et ses conséquences sur l’étendue de la garantie (I), puis l’articulation entre conventions spéciales et conditions particulières dans la hiérarchie des clauses contractuelles (II).
I. La qualification de contrat à risques dénommés et ses conséquences sur la garantie des pertes d’exploitation
La cour procède à une qualification rigoureuse de la nature du contrat d’assurance (A), dont elle tire les conséquences quant à l’exclusion du risque pandémique (B).
A. L’identification d’un contrat excluant la garantie tous risques
La cour retient que le contrat litigieux constitue un « contrat à risques dénommés » et non un contrat « tous risques ». Elle fonde cette analyse sur les stipulations du titre III des conditions générales, selon lesquelles le contrat « a pour objet de garantir l’Assuré contre les dommages définis par les Conventions Spéciales ou les Annexes et dont l’assurance est prévue aux Conditions Particulières ».
Cette qualification emporte une conséquence déterminante : « les évènements qui ne figurent pas dans ces conditions particulières ne peuvent être garantis par l’assureur ». La cour écarte ainsi la logique inverse qui prévaut dans les contrats tous risques, où seuls les évènements expressément exclus échappent à la garantie. Le raisonnement de l’assurée, qui soutenait que l’absence d’exclusion expresse du risque pandémique valait garantie implicite, se trouve rejeté.
La cour observe que « juger le contraire reviendrait à inclure à une police d’assurance à risques expressément désignés, un type de sinistre dont il est hautement probable que la survenance n’a effleuré l’esprit d’aucun des cocontractants lors de la signature du contrat ». Cette référence à l’intention commune des parties lors de la conclusion du contrat traduit une application fidèle du principe d’interprétation de bonne foi des conventions.
B. L’exclusion corrélative du risque pandémique du champ de la garantie
La cour constate que la liste des évènements garantis, définie par renvoi à la section relative aux dommages directs, « ne comporte d’aucune manière, ni explicite ni implicite, le risque pandémique ». Cette absence suffit à exclure toute indemnisation des pertes d’exploitation liées à la crise sanitaire.
L’arrêt souligne le caractère « inédit, dans l’organisation sociale française née après la première guerre mondiale et la pandémie de la grippe espagnole », d’un risque sanitaire endigué par l’arrêt décrété par l’État de toute activité jugée non essentielle. Cette observation contextuelle éclaire le refus de la cour d’étendre la garantie au-delà de la lettre du contrat.
La solution s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans le contentieux né de la crise sanitaire, a rappelé que seule la stipulation expresse d’une garantie permet à l’assuré de s’en prévaloir. La confirmation du jugement sur ce point ne surprend guère au regard de cette ligne directrice.
La rigueur de cette analyse quant à la nature du contrat se prolonge dans l’examen de la hiérarchie entre les différentes stipulations contractuelles.
II. La hiérarchie des clauses contractuelles et l’opposabilité des exclusions de garantie
La cour établit une hiérarchie claire entre les stipulations du contrat (A), dont elle déduit l’efficacité des clauses d’exclusion relatives aux émeutes (B).
A. La prééminence des conditions particulières sur les conventions spéciales
La cour rejette l’argument de l’assurée qui invoquait la garantie « impossibilité d’accès » prévue aux conventions spéciales du contrat. Elle rappelle que les conditions particulières ont pour objet de « personnaliser le contrat en fonction des situations et besoins particuliers de l’Assuré » et qu’en application du principe « Speciala Generalibus derogant », elles l’emportent sur les stipulations générales des conventions dites spéciales.
La cour écarte toute confusion entre les « conventions particulières » mentionnées dans le titre II et les « conditions particulières » du titre I, relevant que « les premières, bien que mêmement désignées, s’intègrent explicitement dans un TITRE II dédié aux conventions spéciales plus générales ». Elle précise que « les conditions d’une convention sont précisément stipulées pour en fixer/limiter la portée ».
Cette analyse structurelle du contrat conduit la cour à écarter le recours à l’article 1190 du code civil relatif à l’interprétation des contrats d’adhésion. Elle relève en effet que le questionnaire préalable renseigné par l’assuré « démontre qu’il a été négocié point par point à l’aune des exigences de ce dernier ».
B. L’efficacité des exclusions expressément stipulées
Les conditions particulières excluent expressément, en page 14 du contrat, la garantie de « l’impossibilité d’accès et/ou la contrainte administrative ». La cour constate que « le vocable EXCLU face à ces deux garanties, est en effet écrit en gros caractères gras et ne pouvait pas ne pas être lu et compris par l’assurée ».
Cette exclusion satisfait aux exigences de l’article L. 113-1 du code des assurances qui impose que les exclusions soient « formelles et limitées ». La cour juge que « toutes ces clauses sont parfaitement claires et accessibles à tout contractant-lecteur, compte tenu de leur positionnement dans le contrat et de leur parfaite lisibilité ».
L’assurée soutenait que ces restrictions vidaient de « portée réelle » la garantie d’exploitation. La cour rejette cet argument en observant que la garantie « doit produire son plein effet lorsque les bâtiments d’exploitation sont en tout ou partie détruits à l’occasion de l’un des évènements garantis ». La garantie pertes d’exploitation conserve ainsi son utilité en cas de dommages matériels aux biens assurés, ce qui exclut qu’elle soit considérée comme illusoire.
L’infirmation du jugement sur le chef de condamnation relatif aux émeutes découle directement de cette analyse. La cour en déduit également le rejet de la demande de dommages et intérêts fondée sur un prétendu manquement de l’assureur à son obligation de loyauté, aucune faute contractuelle n’étant établie dès lors que le refus de garantie était conforme aux stipulations du contrat.