Cour d’appel de Bastia, le 10 septembre 2025, n°24/00099

La Cour d’appel de Bastia, chambre sociale, 10 septembre 2025, RG 24/00099, statue avant dire droit dans un litige relatif à un licenciement. Elle choisit de mobiliser l’outil procédural de la médiation, non pour trancher, mais pour organiser utilement la suite de l’instance d’appel.

Le salarié, mécanicien embauché en 2022, a été licencié en décembre 2022 pour cause réelle et sérieuse invoquée par l’employeur. Il soutient une discrimination liée à l’état de santé et sollicite la nullité du licenciement, la réintégration et une indemnité d’éviction, subsidiairement une indemnisation renforcée.

Le conseil de prud’hommes d’Ajaccio, 4 juillet 2024, a écarté la discrimination, retenu un manquement à l’obligation de reclassement et jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. En appel, le salarié réclame la nullité et la réintégration, tandis que l’employeur sollicite l’infirmation, ou subsidiairement la réduction des prétentions indemnitaires.

La question est de savoir si, sur le fondement de l’article 1533 du code de procédure civile, le juge d’appel peut enjoindre aux parties une rencontre d’information auprès d’un médiateur, hors accord préalable formel. Se pose corrélativement la nature juridique de cette mesure et ses effets sur la conduite et la célérité du procès prud’homal.

La Cour énonce d’abord que, selon l’article 1533, « le juge peut, s’il n’a pas recueilli l’accord des parties, leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu’il détermine, un médiateur chargé de les informer sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d’administration judiciaire ». Elle ajoute qu’« il convient d’ordonner la réouverture des débats » pour organiser cette information préalable. Le dispositif « enjoint aux parties […] pour recevoir une information sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation », et précise que « l’information des parties sur l’objet et le déroulement de la médiation devra se faire dans un délai maximum de trois mois à compter de la réception de la présente décision ».

I. Le recours à l’injonction d’information sur la médiation comme instrument d’organisation du procès

A. Le fondement légal et son périmètre

Le texte spécial sur la médiation autorise une injonction d’information sans consensus préalable, mais non une médiation imposée. La Cour rappelle exactement la lettre de l’article 1533 et s’y conforme. La mesure ordonnée n’emporte pas renonciation à juger, puisqu’elle ne déclenche pas encore la médiation elle-même, seulement une rencontre d’information encadrée dans le temps.

La motivation associe opportunité et finalité processuelle. La Cour estime qu’« il serait opportun de recourir à une mesure de médiation judiciaire » pour favoriser une solution adaptée. L’orientation demeure strictement pédagogique et préparatoire. L’instance n’est pas suspendue de plein droit, la juridiction se réservant la reprise du débat contradictoire après l’étape d’information.

B. La qualification de mesure d’administration judiciaire et ses effets

La Cour qualifie expressément la décision d’« mesure d’administration judiciaire ». Cette qualification emporte des conséquences claires: la mesure organise le déroulement du procès, n’affecte pas le fond, et n’ouvre en principe pas de voie de recours autonome. Le choix de l’« avant dire droit » souligne que le juge conserve la main sur l’instance et se borne à en régler la cadence.

L’ordonnance de réouverture des débats offre un cadre procédural précis et proportionné. Le dispositif fixe la mission du médiateur, circonscrit l’objet de l’information et prévoit un rappel d’audience. Les dépens sont réservés, ce qui confirme la neutralité financière immédiate de la mesure et son caractère non décisoire sur les prétentions matérielles. Cette première partie place l’outil au bon niveau normatif et fonctionnel, sans excéder le pouvoir d’administration du procès.

II. Les garanties du consentement et la proportionnalité dans un contentieux social

A. Le respect du volontariat et de l’accès au juge

L’économie de l’arrêt ménage le principe cardinal du consentement en médiation. La Cour précise que l’affaire sera rappelée pour « recueillir l’accord des parties sur une éventuelle médiation ». Le schéma retient une séquence en deux temps: information préalable contrainte, puis éventuelle adhésion libre à la médiation. L’accès au juge demeure intact, puisque l’instance suit son cours et que la juridiction n’impose pas la démarche amiable.

Le contenu de la mission confirme l’optique strictement informative. Le dispositif vise une rencontre « pour recevoir une information sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation », sans transfert obligatoire du litige dans le champ amiable. Le contradictoire est préservé par le rappel d’audience, où la juridiction recueillera la position des parties et décidera ensuite de la suite procédurale.

B. L’opportunité en matière prud’homale et l’encadrement temporel

L’opportunité d’une information structurée est réelle dans les litiges prud’homaux, où la relation de travail et ses suites financières nourrissent des enjeux durables. La Cour vise une solution « adaptée » et « satisfaisante » pour chacun, ce qui correspond à la finalité réparatrice et préventive de la médiation dans les conflits du travail. Un accord peut sécuriser la sortie de crise et réduire l’aléa judiciaire.

La proportionnalité est assurée par le bornage temporel. Il est « dit que l’information des parties sur l’objet et le déroulement de la médiation devra se faire dans un délai maximum de trois mois ». Ce plafond évite un risque de dévoiement dilatoire et protège l’exigence de célérité. Le rappel d’audience déjà fixé encadre la temporalité et réinscrit l’affaire sous contrôle juridictionnel, afin que l’outil amiable reste auxiliaire du procès et non son substitut.

En définitive, la Cour d’appel transforme l’article 1533 en vecteur d’une gestion judiciaire pragmatique et mesurée. Elle réserve le cœur décisoire du litige et mobilise une étape d’information calibrée, propre à éclairer les choix des parties sans altérer leurs droits procéduraux. L’arrêt clarifie la nature de l’injonction d’information, en précise les effets pratiques, et pose un cadre opératoire compatible avec les principes directeurs du procès social.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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