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La présomption d’imputabilité des accidents du travail constitue l’une des pierres angulaires du droit de la sécurité sociale. Elle protège le salarié victime d’un événement survenu au temps et au lieu du travail, tout en imposant à l’employeur contestant cette qualification d’établir l’existence d’une cause totalement étrangère à l’activité professionnelle. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bastia le 16 juillet 2025 illustre les difficultés probatoires auxquelles se heurte l’employeur qui entend renverser cette présomption, particulièrement lorsque le fait accidentel initial est suivi du décès du salarié.
En l’espèce, une salariée employée comme employée libre-service a ressenti, le 24 décembre 2021 à 5h36, pendant son temps de travail, une douleur thoracique et au bras. Raccompagnée à son domicile par une collègue, elle a été hospitalisée le même jour pour un infarctus du myocarde antérieur, traité par angioplastie. Des complications sont survenues, notamment une tamponnade cardiaque suivie d’un arrêt cardio-circulatoire et d’une anoxie cérébrale sévère. La salariée est décédée le 18 janvier 2022, sans avoir quitté l’établissement hospitalier. L’employeur a déclaré l’accident avec réserves et la caisse primaire a reconnu le caractère professionnel du décès le 25 avril 2022. L’employeur a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, puis devant le pôle social du tribunal judiciaire d’Ajaccio, qui a confirmé l’opposabilité de l’accident. L’employeur a interjeté appel.
La question posée à la Cour d’appel de Bastia était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si la caisse primaire avait respecté le principe du contradictoire lors de l’instruction du dossier. Il convenait ensuite d’apprécier si l’employeur rapportait la preuve d’une cause totalement étrangère au travail, de nature à renverser la présomption d’imputabilité.
La Cour d’appel de Bastia confirme le jugement de première instance. Elle retient que le principe du contradictoire a été respecté et que l’employeur n’apporte pas d’éléments suffisants pour établir une cause étrangère au travail.
Cet arrêt invite à examiner successivement le respect du contradictoire dans l’instruction du sinistre (I), puis l’application de la présomption d’imputabilité au travail (II).
I. Le respect du contradictoire dans l’instruction du sinistre
L’employeur reprochait à la caisse primaire plusieurs manquements procéduraux. La cour écarte ces griefs en appréciant l’effectivité de l’information de l’employeur (A) et en validant le caractère unitaire de l’instruction (B).
A. L’effectivité de l’information de l’employeur
L’article R. 441-8 du code de la sécurité sociale impose à la caisse d’informer l’employeur des dates de consultation du dossier au moins dix jours francs avant l’ouverture de cette période. L’employeur contestait avoir reçu le courrier du 1er février 2022 et soulignait que la caisse ne produisait pas d’accusé de réception.
La cour relève que si la preuve de réception du courrier n’est pas rapportée, un entretien téléphonique du 4 avril 2022 a informé l’employeur des dates de consultation, fixées du 10 au 22 avril 2022. Elle note que « l’employeur a pris connaissance de ces documents le 19 avril 2022, soit avant la date prévue de positionnement ». Cette consultation effective neutralise le grief tiré du défaut d’information.
La cour précise en outre que « la sanction du non respect du délai d’information de l’employeur a pour conséquence la reconnaissance implicite du caractère professionnel de l’accident, et non l’inopposabilité de la décision ». Cette distinction entre les sanctions procédurales rappelle que l’inopposabilité ne constitue pas la réponse automatique à tout manquement formel. L’effectivité de l’accès au dossier prime sur le formalisme de la notification.
B. La validation de l’instruction unitaire
L’employeur soutenait que la caisse aurait dû procéder à deux instructions distinctes, l’une pour le malaise initial et l’autre pour le décès, celui-ci résultant selon lui d’une pathologie différente. La cour rejette cette analyse en s’appuyant sur le certificat médical du cardiologue attestant que la salariée « a présenté dans les suites immédiates une tamponnade cardiaque par épanchement péricardique avec arrêt cardio circulatoire au cours de la réanimation, qui s’est compliqué d’une anoxie cérébrale sévère ».
La cour en déduit que « la continuité des soins entre le malaise et le décès est effectivement caractérisée » et que « le décès, en tant que conséquence de l’accident du 24 décembre 2021, ne devait pas être instruit séparément ». Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante qui rattache à l’accident initial les lésions survenues dans le prolongement direct des soins dispensés.
Sur le reproche d’absence de sollicitation du médecin conseil, la cour observe que celui-ci a bien été consulté et a indiqué que son avis n’était pas nécessaire en présence d’une présomption d’imputabilité applicable. L’instruction menée par la caisse satisfait ainsi aux exigences d’impartialité.
II. L’application de la présomption d’imputabilité au travail
La présomption posée par l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale constitue le second axe de l’arrêt. La cour examine d’abord les conditions d’application de cette présomption (A), puis apprécie la tentative de renversement par l’employeur (B).
A. Les conditions d’application de la présomption
L’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu’est considéré comme accident du travail l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail. La cour rappelle que cette disposition « instaure une présomption d’imputabilité de l’accident au travail » et que « toute lésion survenue au temps et lieu du travail doit être considérée comme trouvant sa cause dans le travail ».
En l’espèce, les faits ne prêtaient guère à discussion. Le malaise est survenu le 24 décembre 2021 à 5h36, alors que les horaires de travail de la salariée s’étendaient de 4h à 9h45. La cour constate qu’« il apparaît donc incontestable que le malaise subi le 24 décembre 2021 constitue un fait accidentel soudain, survenu au temps et au lieu du travail et ayant occasionné une lésion ».
La présomption trouvait donc à s’appliquer, reportant sur l’employeur la charge de prouver une cause totalement étrangère au travail.
B. L’échec du renversement de la présomption
L’employeur s’appuyait principalement sur une consultation médicale établie par un cardiologue à sa demande. Ce praticien indiquait que « la prise en charge en accident du travail est discutable chez une personne présentant des lésions coronaires multiples et un terrain tabagique » et évoquait la possibilité d’un état antérieur ou d’une complication liée au geste chirurgical.
La cour écarte ces éléments avec fermeté. Elle relève qu’« aucun élément médical probant n’est amené dans ces déclarations, qui ne revêtent qu’un caractère général et hypothétique, confirmé par l’emploi du conditionnel ». L’attestation ne fournit aucune donnée médicale attestant effectivement de l’existence d’un état antérieur. Elle se contente d’évoquer des hypothèses sans les étayer.
Cette appréciation s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle exigeante. Le renversement de la présomption suppose d’établir positivement que la lésion trouve son origine exclusive dans une cause étrangère au travail. Des suppositions ou des possibilités théoriques ne suffisent pas. L’employeur doit produire des éléments médicaux circonstanciés démontrant que l’état de santé du salarié explique à lui seul la survenance de l’accident.
La cour rejette également la demande d’expertise médicale sollicitée par l’employeur. Elle rappelle que cette mesure « ne peut pallier la carence d’une partie dans l’administration de la preuve » et constate que l’employeur n’apporte aucun élément susceptible de justifier une telle mesure. Le certificat du cardiologue traitant établit sans ambiguïté le lien entre le malaise initial et le décès.
Cet arrêt illustre la rigueur probatoire qui pèse sur l’employeur contestant le caractère professionnel d’un accident. La présomption d’imputabilité constitue une protection efficace du salarié, que seuls des éléments médicaux précis et circonstanciés peuvent renverser. Les considérations générales sur les facteurs de risque ou les aléas chirurgicaux demeurent insuffisantes.