Cour d’appel de Bastia, le 16 juillet 2025, n°24/00163

Par arrêt de la Cour d’appel de Bastia du 16 juillet 2025, la chambre sociale a statué sur un recours formé contre une décision du pôle social du tribunal judiciaire d’Ajaccio du 14 novembre 2024. Le litige portait sur la reconnaissance d’une faute inexcusable à raison de maladies professionnelles affectant le genou d’un salarié employé comme ouvrier depuis 2011, et sur une fin de non‑recevoir tirée de la prescription biennale.

Les faits tiennent à la déclaration de deux affections reconnues d’origine professionnelle, respectivement révélée en 2015 puis consolidée en 2016, et une seconde consolidée en 2019. Le salarié a sollicité, en 2020, la reconnaissance d’une faute inexcusable, après mise en œuvre d’une tentative de conciliation prévue par le Code de la sécurité sociale. La juridiction de première instance a rejeté la demande au fond, estimant qu’aucun lien n’était établi entre le défaut allégué d’équipements de protection et les pathologies.

La procédure d’appel a d’abord vu l’employeur opposer la prescription biennale, en soutenant que le délai avait couru depuis la première reconnaissance du caractère professionnel de la maladie. Le salarié a répliqué en invoquant la suspension attachée à la conciliation préalable et le caractère régulier de la saisine juridictionnelle intervenue ultérieurement. Ces thèses concurrentes plaçaient la cour devant un double enjeu, tenant à la recevabilité temporelle de l’action et à l’exigence probatoire caractérisant la faute inexcusable.

La question juridique portait, d’une part, sur l’effet suspensif de la tentative de conciliation au regard du délai de l’article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale. D’autre part, au fond, elle concernait la caractérisation d’une faute inexcusable au regard des obligations de prévention et de protection individuelles, et surtout la preuve d’un lien de causalité entre un manquement imputé à l’employeur et les lésions reconnues au titre de la législation professionnelle.

La cour a rejeté la fin de non‑recevoir, retenant la régularité temporelle de la saisine à la suite de l’échec de la conciliation. Au fond, elle a confirmé le jugement, considérant que la preuve du lien causal entre un défaut de mesures de protection individuelle et les pathologies n’était pas rapportée, malgré la reconnaissance au titre des tableaux de maladies professionnelles.

I. Recevabilité de l’action et portée de la conciliation préalable

A. Le délai biennal et son aménagement par la conciliation
Le délai de l’article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale encadre strictement l’action en faute inexcusable, dont le point de départ est classiquement fixé à la connaissance du caractère professionnel de l’affection. La procédure de conciliation préalable, lorsqu’elle est activée, suspend cependant le cours de la prescription jusqu’à son issue notifiée. Cette lecture, conforme à la finalité de la conciliation instituée par le Livre IV, préserve l’accès au juge sans priver l’employeur des garanties temporelles.

La motivation insiste sur l’information de l’échec de la tentative de conciliation et l’antériorité de la saisine juridictionnelle par rapport au délai résiduel. Le raisonnement, précis et chronologique, replace utilement chaque acte procédural dans le calcul du délai, en articulant l’exigence de célérité avec la séquence legalement prévue.

B. L’application au cas d’espèce et le rejet de la fin de non‑recevoir
La cour retient que la demande de reconnaissance a été introduite, la conciliation a échoué, et la juridiction a été saisie avant l’expiration du délai restant. La solution s’appuie sur une lecture stricte des dates et des effets légaux, sans extrapolation. Elle valide l’approche du premier juge et ferme le débat sur la recevabilité.

Le propos se cristallise dans une formule claire: « La juridiction de premier ressort ayant été saisie […] avant l’expiration du délai de deux années à compter de la réception du sort de la procédure de conciliation ». L’enjeu de recevabilité étant purgé, l’instance pouvait se concentrer sur l’examen des conditions matérielles de la faute inexcusable au regard des éléments produits.

II. Faute inexcusable et exigence probatoire du lien causal

A. Les critères de la faute inexcusable et l’office du juge
La cour rappelle les paramètres cumulatifs de la faute inexcusable, qui supposent conscience du danger et carence dans les mesures nécessaires de protection. Elle énonce que « La caractérisation de la faute inexcusable de l’employeur passe toutefois par la démonstration que le manquement de l’employeur à son obligation de résultat s’inscrit […] dans une conscience du danger […] mais aussi de l’absence des mesures nécessaires prises pour l’en préserver. » L’énoncé place la charge de l’allégation dans un cadre exigeant, et recentre la discussion sur la matérialité du manquement et sa relation à l’atteinte.

Le raisonnement distingue à bon escient deux plans: l’application des tableaux de maladies professionnelles, qui fonde la prise en charge, et la preuve d’une faute inexcusable, qui requiert un surcroît d’établissement sur la prévention et la causalité. La méthode évite la confusion entre présomption professionnelle et imputation fautive.

B. L’insuffisance de la preuve du lien entre manquement et atteinte
La cour constate l’existence d’affections au genou caractéristiques des gestes et postures du métier exercé, mais relève l’absence d’éléments déterminants sur l’équipement manquant et son aptitude à prévenir les lésions constatées. Elle note qu’« aucun équipement de protection individuel de nature à prévenir […] les lésions » n’a été objectivé par des éléments probants débattus contradictoirement. Ce constat ne nie pas l’exposition au risque, il souligne un déficit de rattachement causal.

Le cœur de la décision réside dans la formule décisive, selon laquelle l’instance « n’ayant pas permis d’établir le lien de causalité entre le défaut de mesures de protection individuelle et les pathologies », la qualification recherchée ne peut prospérer. L’office du juge est ici classique: la charge de convaincre sur le manquement et sur son efficience causale demeure au demandeur, même en présence d’une pathologie reconnue au titre des tableaux.

La solution s’achève dans la continuité du premier jugement: « En conséquence, la cour ne peut que confirmer le jugement entrepris ». La portée est mesurée mais ferme: l’obligation de sécurité ne se confond pas avec une automaticité de la faute inexcusable, en l’absence d’un faisceau probatoire établissant, au-delà du risque, l’inobservance concrète des mesures de prévention et l’efficacité causale de cette carence.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture