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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bastia le 18 juin 2025 illustre les difficultés contentieuses nées de la défaillance d’une entreprise de travail temporaire placée en liquidation judiciaire. Un salarié intérimaire, employé en qualité de maçon depuis septembre 2010, avait saisi le conseil de prud’hommes d’Ajaccio de diverses demandes salariales dirigées contre son employeur, une société de travail temporaire placée en redressement judiciaire le 20 décembre 2021, puis en liquidation judiciaire le 21 février 2022. Le conseil de prud’hommes avait fixé plusieurs créances au profit du salarié. L’AGS-CGEA a interjeté appel de ce jugement, contestant notamment les sommes allouées et sa condamnation à garantir l’ensemble des créances. Le liquidateur judiciaire, pour sa part, a formé appel incident et sollicité la mise en cause de l’entreprise utilisatrice.
La cour d’appel devait trancher plusieurs questions. Concernant la charge de la preuve des heures travaillées et des heures supplémentaires, appartient-il au salarié de justifier de son travail ou à l’employeur de démontrer que le salarié ne s’est pas tenu à disposition ? Par ailleurs, dans quelles conditions l’entreprise utilisatrice peut-elle être substituée à l’entreprise de travail temporaire défaillante pour le paiement des créances salariales ? Enfin, l’AGS peut-elle être condamnée à relever et garantir l’employeur des sommes dues au salarié ?
La Cour d’appel de Bastia confirme partiellement le jugement. Elle valide les créances de rappels de salaires, d’heures supplémentaires, de congés payés et de prime de précarité, mais infirme les dispositions relatives aux indemnités de transport, de grand déplacement et aux dommages et intérêts. Elle rejette la demande de substitution de l’entreprise utilisatrice et infirme la condamnation de l’AGS à garantir l’ensemble des sommes, rappelant les limites légales de sa garantie.
Cet arrêt mérite attention en ce qu’il précise l’articulation entre la charge de la preuve en matière salariale et le régime de garantie des créances dans le cadre du travail temporaire (I), tout en délimitant strictement les conditions de mise en oeuvre de la garantie AGS et de la substitution de l’entreprise utilisatrice (II).
I. La confirmation des créances salariales et l’application du régime probatoire favorable au salarié
La cour rappelle et applique les règles gouvernant la charge de la preuve tant pour les salaires dus que pour les heures supplémentaires (A), avant de statuer sur les créances accessoires selon une appréciation plus restrictive (B).
A. Le renversement de la charge de la preuve au bénéfice du salarié créancier
La cour adopte une position ferme quant à la répartition de la charge probatoire en matière de rappel de salaires. Elle affirme que « ce n’est pas au salarié de justifier qu’il a travaillé, mais à l’employeur de démontrer que le salarié ne s’est pas tenu à disposition ou a refusé d’exécuter son travail ». Cette formulation traduit fidèlement la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l’employeur, débiteur de l’obligation de payer le salaire, doit établir qu’il s’est libéré de cette obligation ou que le salarié n’a pas exécuté sa prestation de travail.
En l’espèce, le liquidateur judiciaire contestait le bien-fondé des demandes salariales sans apporter la moindre preuve de l’absence de mise à disposition du salarié. La cour constate que « cette démonstration n’est pas effectuée par l’employeur, au travers des pièces auxquelles celui-ci se réfère » et que parallèlement « il n’est pas mis en évidence que Monsieur [N] [T] ait été réglé de ses salaires par l’employeur ». Le défaut de preuve patronale emporte confirmation de la créance de 3 140,84 euros à titre de rappels de salaires.
Concernant les heures supplémentaires, la cour applique le régime probatoire issu de l’article L. 3171-4 du code du travail tel qu’interprété par la jurisprudence récente. Elle rappelle qu’« il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement ». La cour souligne expressément que « la jurisprudence n’exige plus du salarié sollicitant le paiement d’heures supplémentaires non réglées qu’il étaye sa demande ». Cette référence à l’évolution jurisprudentielle renvoie à l’abandon du système de preuve partagée au profit d’un mécanisme où le salarié présente des éléments et l’employeur y répond.
L’employeur, pour sa part, « ne verse aux débats aucun élément objectif, par exemple un registre horaire, des fiches de pointage, ou tout autre document horaire individuel ». Cette carence probatoire conduit la cour à confirmer la créance de 518,21 euros au titre des heures supplémentaires. La cour ajoute que l’accord de l’employeur sur ces heures « ne peut être contesté, celui-ci en ayant nécessairement connaissance, au vu de leur volume, caractérisant ainsi son accord implicite ».
B. Le rejet des demandes insuffisamment étayées par le salarié
La cour adopte une approche plus rigoureuse s’agissant des indemnités de grand déplacement et de transport. Elle retient qu’« il n’a pas été justifié par Monsieur [N] [T] de la réunion des conditions nécessaires pour bénéficier de telles indemnités ». Ces indemnités, prévues par les conventions collectives du bâtiment, supposent la démonstration de conditions objectives tenant notamment à la distance entre le domicile et le lieu de travail et à l’impossibilité de regagner celui-ci quotidiennement. Le salarié n’ayant pas rapporté cette preuve, la cour infirme le jugement sur ces chefs de demande.
La même rigueur préside au rejet de la demande de dommages et intérêts. La cour relève qu’« il n’a pas été démontré d’un préjudice subi par Monsieur [N] [T] du fait d’un comportement fautif de l’employeur ». Cette motivation rappelle l’exigence classique de la responsabilité civile contractuelle. Le seul manquement de l’employeur à ses obligations salariales ne suffit pas à caractériser un préjudice distinct ouvrant droit à réparation complémentaire. Le salarié devait établir l’existence d’un préjudice spécifique résultant d’une faute identifiée de l’employeur.
Concernant l’indemnité de congés payés, la cour confirme la créance en retenant que « l’employeur ne justifie pas avoir accompli les diligences lui incombant légalement pour permettre au salarié de bénéficier effectivement de ses droits à congés auprès de la caisse de congés payés ». Cette motivation s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence européenne et nationale qui impose à l’employeur une obligation active de permettre la prise effective des congés. Le défaut de diligence patronale autorise le salarié à « contraindre l’employeur défaillant à exécuter son obligation ».
II. L’encadrement strict des mécanismes de garantie et de substitution en cas de défaillance de l’entreprise de travail temporaire
La cour précise les conditions de mise en oeuvre de la substitution de l’entreprise utilisatrice à l’entreprise de travail temporaire défaillante (A), puis délimite rigoureusement le périmètre de l’intervention de l’AGS (B).
A. Le rejet de la substitution de l’entreprise utilisatrice faute de preuve de l’insuffisance de la caution
L’article L. 1251-52 du code du travail prévoit qu’en cas de défaillance de l’entreprise de travail temporaire et d’insuffisance de la caution, l’entreprise utilisatrice est substituée à celle-ci pour le paiement des sommes restant dues aux salariés temporaires. Ce mécanisme de substitution constitue une garantie légale au profit des travailleurs intérimaires, destinée à pallier l’insolvabilité de leur employeur juridique.
La cour constate que « la S.A.R.L. Impact Intérim a été placée en redressement judiciaire le 20 décembre 2021, puis en liquidation judiciaire le 21 février 2022, et peut être ainsi considérée comme défaillante, suivant l’article R1251-20 du code du travail ». La première condition de la substitution est donc remplie. Toutefois, la cour relève que « la cour ne dispose pas des pièces suffisantes pour lui permettre de conclure à une insuffisance de la caution au sens de l’article précité ». Elle ajoute qu’« il n’est pas démontré d’une cessation effective d’une garantie de la Compagnie européenne de garanties et cautions au 30 juin 2021 tel qu’affirmé par le liquidateur judiciaire ».
Cette motivation révèle l’exigence d’une double preuve cumulative. La défaillance de l’entreprise de travail temporaire ne suffit pas. Encore faut-il établir l’insuffisance ou l’inexistence de la caution financière à laquelle toute entreprise de travail temporaire est tenue de souscrire en application de l’article L. 1251-49 du code du travail. Le liquidateur judiciaire, qui sollicitait la mise en cause de l’entreprise utilisatrice, n’a pas rapporté cette preuve. La cour refuse par ailleurs de suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve en rejetant la demande tendant à faire sommation au salarié de communiquer les contrats de mise à disposition.
Cette solution protège l’entreprise utilisatrice d’une mise en cause fondée sur de simples allégations non étayées. Elle rappelle que le mécanisme de substitution, dérogatoire au droit commun des obligations, suppose la réunion de conditions strictement définies par la loi.
B. La délimitation du périmètre de la garantie AGS et l’impossibilité d’une condamnation directe
La cour infirme le jugement de première instance en ce qu’il avait « condamné les AGS à relever et garantir l’ensemble des sommes dues ». Elle affirme sans ambiguïté qu’« une telle condamnation n’est pas juridiquement possible ». Cette position traduit la nature juridique particulière de l’intervention de l’AGS dans les procédures collectives.
L’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés n’est pas un débiteur ordinaire susceptible d’être condamné au paiement de sommes. Elle constitue un organisme de garantie dont l’intervention s’inscrit dans un cadre légal précis défini par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail. La cour rappelle que la décision ne peut qu’être déclarée opposable à l’AGS « dans les limites légales de sa garantie fixées par les articles L3253-6 et L3253-8 et suivants du code du travail, avec avance des créances visées aux articles L3253-6 et L3253-8 et suivants du code du travail uniquement dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L3253-15, L3253-18 à L3253-21, L3253-17 et D3253-5 du code du travail ».
Cette formulation exhaustive mérite attention. Elle énumère l’ensemble des textes délimitant le champ d’intervention de l’AGS. L’article L. 3253-8 définit les créances garanties. L’article L. 3253-17 fixe le plafond de garantie. L’article D. 3253-5 précise les montants des différents plafonds applicables selon l’ancienneté du contrat de travail. Les articles L. 3253-15 et L. 3253-18 à L. 3253-21 organisent les modalités d’avance et de remboursement.
La cour confirme par ailleurs que « les sommes allouées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ne sont pas garanties par l’AGS ». Cette exclusion résulte de la nature des créances garanties, limitées aux créances salariales proprement dites et aux indemnités de rupture, à l’exclusion des frais de procédure.
La cour rappelle également les effets de la procédure collective sur les intérêts. Elle infirme le jugement en ce qu’il avait prévu que les condamnations produiraient intérêts et capitalisation au taux légal, au motif que « le cours des intérêts étant nécessairement arrêté, dans le respect du cadre défini par le code du commerce, depuis la date du jugement d’ouverture de la procédure collective ». Cette règle, prévue par l’article L. 622-28 du code de commerce applicable à la liquidation judiciaire par renvoi de l’article L. 641-3, interdit la computation des intérêts postérieurement au jugement d’ouverture pour les créances antérieures.