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La médiation judiciaire en droit du travail suscite un intérêt croissant depuis plusieurs années, les juridictions cherchant à désengorger leurs rôles tout en offrant aux justiciables une voie de résolution amiable de leurs différends. La Cour d’appel de Bastia, dans un arrêt avant dire droit du 18 juin 2025, illustre cette dynamique en ordonnant d’office une mesure d’information sur la médiation dans un contentieux prud’homal relatif à une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et à des allégations de harcèlement moral. Un salarié, embauché en qualité de vendeur depuis avril 2015, avait saisi le conseil de prud’hommes d’Ajaccio de diverses demandes, dont une résiliation judiciaire de son contrat de travail. L’employeur l’avait ensuite licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en mars 2022. Le conseil de prud’hommes avait rejeté l’ensemble des demandes du salarié, jugeant notamment prescrite la demande de rappel de salaire antérieure au 1er juin 2018, l’absence d’heures supplémentaires, l’absence d’éléments laissant supposer un harcèlement moral, et la légitimité du licenciement. Le salarié a interjeté appel, sollicitant la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur et diverses indemnités. L’employeur a conclu à la confirmation du jugement et formé un appel incident sur les frais irrépétibles.
La question posée à la cour était celle de l’opportunité de soumettre ce litige prud’homal, caractérisé par des demandes de résiliation judiciaire et de réparation de préjudices liés à un harcèlement moral allégué, à une mesure préalable d’information sur la médiation.
La Cour d’appel de Bastia a ordonné la réouverture des débats et enjoint aux parties de rencontrer un médiateur afin de recevoir une information sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation, en application de l’article 127-1 du code de procédure civile.
L’examen de cette décision conduit à analyser le recours à la médiation imposée en matière prud’homale (I), puis à en mesurer les implications pratiques et les limites (II).
I. Le recours à la médiation imposée en matière prud’homale
A. Le fondement textuel de l’injonction de rencontrer un médiateur
La cour fonde expressément sa décision sur l’article 127-1 du code de procédure civile. Ce texte autorise le juge, même sans l’accord des parties, à leur enjoindre de rencontrer un médiateur chargé de les informer sur la mesure envisagée. La décision précise que « le juge peut, s’il n’a pas recueilli l’accord des parties, leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu’il détermine, un médiateur chargé de les informer sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation ». Cette disposition, issue de la réforme de la procédure civile, traduit une volonté législative de promouvoir les modes alternatifs de règlement des différends. Le juge n’impose pas la médiation elle-même, mais seulement une rencontre informative, ce qui préserve formellement la liberté des parties.
La cour qualifie cette décision de « mesure d’administration judiciaire », insusceptible de recours. Cette qualification emporte des conséquences procédurales importantes : les parties ne peuvent contester cette injonction par les voies de recours ordinaires. Le choix de cette qualification témoigne de la nature préparatoire et non décisoire de la mesure, qui ne tranche aucun point du litige. La cour exerce ainsi un pouvoir discrétionnaire, appréciant souverainement l’opportunité du recours à la médiation.
B. L’application au contentieux prud’homal et ses particularités
Le contentieux du travail présente des spécificités qui interrogent l’opportunité de la médiation. En l’espèce, le salarié invoquait un harcèlement moral, sollicitait la résiliation judiciaire de son contrat et réclamait diverses indemnités. Ces demandes mettent en jeu des droits fondamentaux et des questions d’ordre public social. La cour a néanmoins estimé opportun de proposer la médiation, considérant que « les parties trouvent une solution adaptée, et satisfaisante pour chacune d’elles, aux points objets de la présente instance ».
Cette approche révèle une conception pragmatique du règlement des litiges prud’homaux. La médiation peut permettre aux parties de dépasser le strict cadre juridique pour aborder les dimensions relationnelles et psychologiques du conflit. Le harcèlement moral allégué, même s’il doit être apprécié au regard de critères légaux précis, s’inscrit dans un contexte humain que la médiation peut contribuer à apaiser. La cour fait le pari que le dialogue facilité par un tiers neutre pourrait aboutir à une solution globale, là où le juge ne peut statuer que sur les demandes formées.
II. Les implications pratiques et les limites de la mesure ordonnée
A. Le cadre procédural strict de la mesure d’information
La cour encadre précisément la mesure ordonnée. Elle désigne nommément le médiateur, fixe un délai de deux mois pour l’information des parties et prévoit une audience de rappel au 9 septembre 2025 pour recueillir leur accord éventuel. Le médiateur a pour mission de « convoquer les parties, séparément ou ensemble, afin de les informer sur l’objet et le déroulement de la mesure de médiation ». Cette formulation laisse au médiateur une latitude dans l’organisation des rencontres, tout en préservant le caractère informatif de sa mission.
La réserve des dépens témoigne du caractère interlocutoire de la décision. La cour ne préjuge pas de l’issue du litige et maintient ouverte la voie juridictionnelle. Si les parties refusent la médiation ou si celle-ci échoue, l’affaire reviendra devant la cour pour être jugée au fond. Cette architecture procédurale garantit que la médiation demeure une option et non une obligation de résultat. Le juge conserve la maîtrise du calendrier tout en offrant aux parties une opportunité de règlement amiable.
B. Les interrogations sur l’efficacité de la médiation en présence d’allégations de harcèlement
L’opportunité de la médiation en matière de harcèlement moral soulève des questions délicates. Le harcèlement constitue une atteinte à la dignité du salarié et relève de l’ordre public social. Le conseil de prud’hommes avait jugé que le salarié ne présentait pas d’élément permettant de supposer l’existence du harcèlement allégué. Cette appréciation, contestée en appel, devra être tranchée si la médiation échoue.
La médiation suppose une égalité des parties dans la négociation. Or, la relation de travail est structurellement déséquilibrée. Le salarié, licencié pour inaptitude après avoir allégué un harcèlement moral, se trouve dans une position de vulnérabilité. L’efficacité de la médiation dépendra de la capacité du médiateur à rétablir un équilibre dans les échanges. La décision de la cour repose sur l’hypothèse que les parties peuvent trouver un terrain d’entente malgré la gravité des griefs formulés. Cette approche traduit une confiance dans les vertus du dialogue, tout en laissant au juge le dernier mot si ce dialogue échoue.