Cour d’appel de Bastia, le 18 juin 2025, n°24/00161

La médiation judiciaire fait désormais partie des instruments procéduraux que les juridictions mobilisent avec une fréquence croissante. La cour d’appel de Bastia, par un arrêt avant dire droit du 18 juin 2025, illustre cette évolution en ordonnant aux parties de rencontrer un médiateur dans un litige relatif à des surfacturations hospitalières.

Une société exploitant un établissement de santé avait fait l’objet d’un contrôle externe de la tarification à l’activité, dit T2A, portant sur l’année 2016. L’organisme de protection sociale avait notifié le 16 avril 2019 un indu de 47 183,92 euros correspondant à des surfacturations présumées. La société contestait cette notification et saisissait la commission de recours amiable, laquelle rejetait le recours le 28 novembre 2019. Le pôle social du tribunal judiciaire était saisi le 28 janvier 2020. Par jugement du 18 novembre 2024, la juridiction de premier degré annulait partiellement les indus et condamnait la société à payer 42 433,20 euros. La société interjetait appel le 29 novembre 2024.

La cour d’appel relevait « la multiplicité et surtout l’ancienneté de la pratique » ainsi que la « relative confusion des paramètres à prendre en considération ». Elle ordonnait en conséquence la réouverture des débats et enjoignait aux parties de rencontrer un médiateur avant le 15 septembre 2025 pour un rendez-vous d’information.

La question posée à la cour d’appel était celle de savoir si le juge pouvait imposer aux parties une démarche d’information sur la médiation dans un contentieux technique opposant un établissement de santé à un organisme de sécurité sociale.

La cour répond par l’affirmative. Elle ordonne une injonction de rencontrer un médiateur pour un rendez-vous d’information gratuit et obligatoire, tout en rappelant que les parties conservent leur liberté d’entrer ou non en médiation.

Le recours à l’injonction de médiation traduit la volonté du juge de favoriser un règlement amiable dans un litige d’une complexité technique avérée (I). Cette décision s’inscrit dans une évolution plus large de la politique judiciaire en matière de modes alternatifs de résolution des différends (II).

I. Le recours à l’injonction de médiation face à la complexité technique du litige

L’arrêt révèle une appréciation souveraine du juge quant à l’opportunité de la mesure (A), tout en préservant la liberté contractuelle des parties dans l’entrée effective en médiation (B).

A. L’appréciation souveraine de l’opportunité d’une mesure de médiation

La cour d’appel justifie sa décision par des considérations tenant à la nature même du litige. Elle relève que le contentieux porte sur « la facturation de Groupes Homogènes de Séjours » et sur « le codage de l’exérèse et du lambeau ». Ces éléments techniques, propres à la tarification hospitalière, supposent une expertise particulière que le juge reconnaît implicitement ne pas maîtriser pleinement.

La juridiction souligne « la multiplicité et surtout l’ancienneté de la pratique » en cause. Le contrôle portait sur l’activité de 2016, et la procédure s’étendait depuis près de six années. Cette dimension temporelle constitue un argument supplémentaire en faveur d’une solution négociée. Le juge évoque également le « recours à un anatomopathologiste » et la « relative confusion des paramètres », termes qui traduisent la difficulté d’une appréciation purement juridictionnelle.

L’expression « démêler l’écheveau judiciaire » employée par la cour est révélatrice de sa perception du dossier. Le juge estime que la voie contentieuse classique n’est peut-être pas la plus adaptée pour résoudre un différend dont les ramifications techniques échappent partiellement à l’office juridictionnel ordinaire.

B. La préservation de la liberté des parties dans l’entrée en médiation

L’injonction prononcée par la cour ne contraint pas les parties à accepter la médiation. Elle se limite à leur imposer de « rencontrer un médiateur pour un rendez-vous d’information ». Cette distinction est fondamentale. Le principe du volontariat, consubstantiel à la médiation, demeure intact.

La cour précise que « les parties pourront convenir d’entrer en médiation conventionnelle » ou « demander au juge d’ordonner une médiation judiciaire » ou encore « indiquer qu’elles ne souhaitent pas entrer en médiation ». Ces trois options garantissent le respect du libre arbitre. Aucune partie ne peut être contrainte à négocier contre son gré.

Le rappel selon lequel le rendez-vous est « obligatoire et gratuit » vise à lever les éventuelles réticences matérielles. La gratuité du rendez-vous d’information distingue cette phase préparatoire de la médiation proprement dite, laquelle génère habituellement des frais partagés. L’avertissement relatif à la radiation du dossier en cas d’inexécution « sans motif légitime » constitue toutefois une incitation forte à se conformer à l’injonction.

II. L’inscription de la décision dans la politique judiciaire de développement des modes amiables

L’arrêt s’inscrit dans un cadre normatif favorable à la médiation (A) et soulève des interrogations quant à son efficacité dans le contentieux de la sécurité sociale (B).

A. Le fondement normatif de l’injonction de rencontrer un médiateur

La cour vise les articles 1530 et suivants du code de procédure civile relatifs à la médiation conventionnelle. Ces dispositions, issues de l’ordonnance du 16 novembre 2011, consacrent la médiation comme mode alternatif de règlement des différends et en définissent le régime. Le juge peut proposer aux parties une mesure de médiation à tout moment de la procédure.

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a renforcé les prérogatives du juge en matière de modes amiables. L’article 127-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 11 décembre 2019, permet au juge d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur. Cette injonction s’est progressivement banalisée dans les juridictions civiles et sociales.

La chambre sociale de la cour d’appel de Bastia applique ce dispositif dans un contentieux de sécurité sociale. L’initiative n’est pas inédite, mais elle demeure relativement rare dans ce domaine où les positions des organismes sociaux sont généralement peu négociables. La cour fait néanmoins le pari que la technicité du litige peut favoriser un rapprochement des parties.

B. Les interrogations sur l’efficacité de la mesure dans le contentieux de la tarification hospitalière

Le contentieux de la tarification à l’activité présente des caractéristiques qui peuvent limiter l’efficacité d’une médiation. Les organismes de sécurité sociale agissent dans un cadre réglementaire strict. Leur marge de négociation est restreinte par les règles de codification des actes et les impératifs de contrôle des dépenses de santé.

L’ancienneté du litige, relevée par la cour elle-même, peut paradoxalement jouer contre la médiation. Les positions se sont cristallisées au fil des années. Une expertise judiciaire a déjà été diligentée. Le docteur [W] a rendu son rapport le 11 juillet 2023. Les conclusions de cet expert alimentent les arguments des parties et réduisent peut-être l’espace de compromis.

La décision présente toutefois une valeur pédagogique certaine. Elle rappelle aux établissements de santé et aux caisses d’assurance maladie que le dialogue peut s’avérer préférable à un contentieux coûteux et chronophage. L’affaire sera rappelée le 14 octobre 2025 pour recueillir l’accord éventuel des parties. Le juge conserve ainsi la maîtrise du calendrier et n’abandonne pas son office au profit exclusif de la médiation. Cette articulation entre injonction préalable et maintien du dossier au rôle traduit une conception équilibrée du rôle du juge dans la promotion des modes amiables.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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