Cour d’appel de Besancon, le 22 juillet 2025, n°23/01511

La reconnaissance des maladies professionnelles hors tableau constitue un contentieux récurrent en droit de la sécurité sociale. La Cour d’appel de Besançon, par un arrêt du 22 juillet 2025, se prononce sur le lien de causalité directe entre une pathologie de l’épaule et l’activité habituelle de boulanger.

Un salarié ayant exercé les fonctions de boulanger auprès de plusieurs employeurs a adressé le 28 mars 2018 à la caisse primaire d’assurance maladie une déclaration de maladie professionnelle. Le certificat médical du 9 décembre 2017 constatait une rupture partielle du supra-épineux, une tendinopathie sévère et des scapulalgies de l’épaule droite. La caisse a refusé la prise en charge le 6 décembre 2018 faute de documents administratifs transmis. L’assuré a présenté une nouvelle déclaration le 6 mai 2019 pour la même pathologie. Les conditions du tableau n° 57-A n’étant pas réunies, la caisse a saisi le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté, lequel a rendu un avis défavorable le 18 novembre 2019.

Le Tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier, par jugement du 24 juin 2020, a ordonné la jonction des deux procédures et désigné le comité régional de Rhône-Alpes-Auvergne. Ce dernier a conclu le 31 janvier 2023 à l’existence d’un lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle. Par jugement du 22 septembre 2023, le tribunal a jugé que ce lien était établi et renvoyé l’assuré devant la caisse pour la liquidation de ses droits. La caisse a interjeté appel le 12 octobre 2023. Par arrêt du 11 octobre 2024, la Cour d’appel de Besançon a infirmé le jugement et désigné le comité régional du Centre-Val de Loire. Ce dernier a transmis un avis défavorable le 13 février 2025.

La caisse demandait à la cour de constater la confirmation de l’avis du premier comité par celui du troisième et de débouter l’assuré. L’intimé sollicitait la confirmation du jugement et l’allocation de frais irrépétibles.

La question posée à la cour était de déterminer si, en présence de deux avis défavorables et d’un avis favorable de comités régionaux successivement consultés, l’assuré rapportait la preuve du lien direct entre sa pathologie de l’épaule droite et son activité habituelle de boulanger.

La cour conclut que le lien direct n’est pas établi. Elle déboute l’assuré de l’ensemble de ses demandes et le condamne aux dépens.

La démonstration du lien de causalité directe en matière de maladie professionnelle hors tableau obéit à des règles probatoires exigeantes (I). L’appréciation souveraine des juges du fond s’exerce sur la base des avis concordants des comités régionaux (II).

I. L’exigence probatoire du lien de causalité directe en matière de maladie professionnelle hors tableau

L’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pose un cadre dérogatoire précis lorsque les conditions du tableau ne sont pas remplies (A). La charge de la preuve pèse alors intégralement sur l’assuré (B).

A. Le mécanisme de la reconnaissance hors tableau

La présomption d’origine professionnelle prévue par l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale bénéficie aux maladies désignées dans un tableau et contractées dans les conditions qui y sont mentionnées. Lorsqu’une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la voie de la reconnaissance hors tableau demeure ouverte. La maladie peut être reconnue d’origine professionnelle « lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime ».

La cour rappelle que dans ce cas, « la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ». L’avis de ce comité s’impose à la caisse. Le code de la sécurité sociale organise par ailleurs un mécanisme de consultation successive en cas de contestation judiciaire. L’article R. 142-17-2 impose au tribunal de recueillir préalablement l’avis d’un comité régional autre que celui initialement saisi.

En l’espèce, trois comités ont été successivement consultés. Le comité de Bourgogne Franche-Comté a rendu un avis défavorable le 18 novembre 2019. Le comité de Rhône-Alpes-Auvergne a émis un avis favorable le 31 janvier 2023. Le comité du Centre-Val de Loire, désigné par la cour, a conclu défavorablement le 13 février 2025.

B. L’inversion de la charge de la preuve au détriment de l’assuré

La cour souligne que la présomption posée par l’alinéa 3 de l’article L. 461-1 ne s’applique pas lorsque les conditions du tableau ne sont pas réunies. Il incombe alors à l’assuré de démontrer le lien direct entre sa pathologie et son activité professionnelle. La juridiction relève que l’intimé « n’apporte cependant pas d’éléments médicaux sérieux pour contredire les avis concordants des CRRMP Bourgogne Franche Comté et Centre-Val de Loire ».

L’arrêt écarte successivement les éléments de preuve avancés par l’assuré. L’attestation d’une vendeuse décrivant de manière générale le poste occupé sans fournir d’indication sur la pénibilité ou la répétition des gestes est jugée insuffisante. La reconnaissance par la caisse d’une maladie professionnelle affectant l’épaule gauche ne saurait établir l’existence d’une pathologie identique sur l’épaule droite. La cour note que « le côté droit n’est pas dominant chez M. [W] et que la sollicitation systématique de ce côté lors de l’exécution des gestes liés à son activité professionnelle n’est pas démontrée ».

La rigueur probatoire exigée par la cour s’inscrit dans la jurisprudence constante qui refuse d’admettre le lien de causalité sur la base de présomptions générales ou d’affirmations péremptoires. La règle actori incumbit probatio trouve ici une application stricte.

II. L’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des avis des comités régionaux

La concordance des avis défavorables emporte la conviction de la cour (A). L’analyse des conditions réelles d’exercice de l’activité professionnelle exclut le caractère habituel des sollicitations (B).

A. La valeur probante des avis concordants des comités régionaux

La cour dispose d’une pluralité d’avis dont deux sont concordants dans leur conclusion défavorable. Le comité du Centre-Val de Loire a retenu « l’absence de lien direct entre l’affection générale présentée et le travail habituel de la victime aux motifs que les sollicitations de l’articulation [de l’épaule droite] sont ponctuelles et que les gestes décrits sont variés sans caractère spécifique par rapport à la pathologie observée ».

L’intimé contestait la régularité de la procédure suivie par ce comité, arguant que seuls le questionnaire assuré et le rapport de l’agent enquêteur avaient été pris en compte. La cour écarte cette argumentation. La caisse justifie avoir adressé l’entier dossier soumis aux deux premiers comités, complété des pièces présentées par la victime dans le cadre de l’instance. L’arrêt relève que cet envoi est confirmé par la page 2 de l’avis dont le conseil de la victime a pu prendre connaissance à l’audience.

L’appréciation des comités régionaux, bien que non juridictionnelle, constitue un élément déterminant de la décision judiciaire. Leur expertise technique permet d’évaluer le lien entre la pathologie et les conditions d’exercice de l’activité professionnelle. La concordance de deux avis sur trois renforce leur force probante aux yeux de la juridiction.

B. L’absence de répétitivité des gestes sollicitant l’épaule droite

La cour procède à une analyse précise des conditions réelles d’exercice de l’activité de boulanger. Elle relève que le comité n’a pas exclu la réalisation d’actes avec décollement du bras d’au moins 90° et 60°, mais a souligné « leur caractère résiduel, l’absence de répétitivité des gestes ainsi effectués compte-tenu de leur variété et l’absence de lien avec la rupture partielle du supra épineux, la tendinopathie et les scapulalgies de l’épaule droite ».

La juridiction détaille les différentes tâches du boulanger. Les activités de pétrissage et de façonnage s’effectuent à hauteur du pétrin ou de la table de travail, soit à hauteur de hanche ou en-deçà. Le chargement du four et le dépôt sur les grilles n’emportent la sollicitation du bras droit que pour les derniers étages et de manière ponctuelle. Les sacs de farine ne pèsent plus 50 kilogrammes depuis la norme X 35-109 du 4 décembre 2009. Leur port est épisodique et sans répétition, l’employeur mentionnant l’utilisation de deux sacs par jour. L’activité de livraison concernait un panier de pains par jour.

L’arrêt écarte également les articles scientifiques produits par l’assuré qui évoquent dans des termes généraux les risques musculo-squelettiques des boulangers ou la réflexion sur la modification du tableau n° 57. Ces documents ne précisent ni les gestes concernés ni leurs conséquences physiques. La mention dans une expertise que l’assuré se serait plaint de douleurs dans les épaules depuis plusieurs années est également insuffisante.

La portée de cet arrêt tient à l’illustration qu’il fournit des exigences probatoires en matière de reconnaissance hors tableau. La concordance des avis des comités régionaux constitue un élément déterminant de l’appréciation judiciaire. L’analyse fine des conditions réelles d’exercice de l’activité professionnelle permet de distinguer les sollicitations ponctuelles et variées des contraintes répétitives susceptibles de causer directement la pathologie.

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Hassan KOHEN
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