Cour d’appel de Besançon, le 5 août 2025, n°24/01030

La Cour d’appel de Besançon, par arrêt du 5 août 2025, se prononce sur la responsabilité d’un prestataire de services de paiement à la suite de deux virements autorisés, ultérieurement révélés frauduleux, réalisés au bénéfice d’un intermédiaire de placement. Un premier transfert, initié au guichet pour une souscription d’actions, et un second, exécuté en ligne vers un établissement étranger pour une opération d’épargne, ont été contestés après la découverte de l’escroquerie. Le premier juge avait retenu la responsabilité contractuelle de l’établissement de crédit pour manquement à l’obligation de vigilance et alloué une indemnité globale.

Sur appel de l’établissement, la cour est invitée à qualifier le régime de responsabilité applicable aux opérations autorisées par l’utilisateur et à préciser l’étendue du devoir de vigilance du teneur de compte. L’appelante soutient l’exclusivité du régime spécial du code monétaire et financier réservé aux paiements non autorisés et conteste toute anomalie apparente. L’intimé invoque l’assistance reçue au guichet, l’irrégularité du bulletin de souscription et des alertes intervenues postérieurement pour un proche dans la même agence. La question de droit tient au point de savoir si l’opération autorisée relève du droit commun de la responsabilité contractuelle et, dans l’affirmative, si des anomalies apparentes imposaient un refus d’exécution ou des diligences renforcées.

La cour confirme l’application du droit commun pour les virements autorisés et distingue les deux opérations. Elle retient un manquement de vigilance pour le premier virement, en raison d’irrégularités formelles manifestes du bulletin de souscription, mais exclut toute faute pour le second au regard de l’absence d’anomalie intellectuelle, limitant la réparation à une perte de chance évaluée à 2 000 euros.

I. Le cadre applicable aux paiements autorisés et la compétence normative

A. L’exclusivité du régime spécial pour les paiements non autorisés

La cour rappelle le principe d’harmonisation complète du régime de responsabilité du prestataire au titre des paiements non autorisés, en citant la jurisprudence européenne. Elle souligne que « le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement (PSP) […] a fait l’objet d’une harmonisation totale si bien que les états membres ne peuvent maintenir un régime de responsabilité parallèle au titre du même fait générateur ». Cette orientation, confirmée par deux décisions postérieures, cantonne la spécificité du dispositif du code monétaire et financier aux seules opérations dépourvues de consentement.

La décision formule nettement la frontière opératoire: « Toutefois, ce régime spécifique, et sous certains aspects dérogatoires au droit commun de la responsabilité civile, est cantonné au domaine des paiements non autorisés. Pour ce type de transfert de fonds […] le dispositif légal prévu par le CMF a vocation à s’appliquer à titre exclusif (Cass. Com 27 mars 2024 n° 22 ’ 21. 200). » Le rappel du texte et des références montre une lecture orthodoxe de la directive et de sa transposition, ainsi qu’une cohérence avec la chambre commerciale.

B. Le retour au droit commun pour les virements autorisés

La cour opère ensuite la bascule décisive: lorsque l’ordre est consenti par l’utilisateur, le régime spécial ne gouverne pas la responsabilité. Elle énonce que « l’ordre émanant du titulaire du compte doit être réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique ». En conséquence, « lorsque le virement a été autorisé il est à ce jour admis que le régime spécial de responsabilité des articles L 133 ’ 18 et suivants CMF n’est pas applicable et seule la responsabilité contractuelle de droit commun peut être mise en ’uvre par le client à l’encontre de l’organisme gestionnaire du compte (Cass. Com 12 juin 2025 n° 24 ’ 10. 168). »

La solution s’accorde avec la summa divisio entre contestation d’autorisation et contestation d’exécution. Elle clarifie l’office du juge: hors anomalie formelle de l’ordre, l’éventuelle faute du teneur de compte se mesure à l’aune de l’obligation de vigilance, résiduelle mais réelle, et la réparation obéit aux règles classiques de la causalité et de la perte de chance.

II. L’obligation de vigilance du teneur de compte et l’évaluation du dommage

A. La caractérisation d’anomalies apparentes dans le premier virement

La cour rappelle d’abord l’économie de l’obligation de vigilance, conçue comme tempérament au principe de non-immixtion. Elle précise que « la banque n’a pas à effectuer de recherche, à réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations qu’il lui est demandé d’accomplir par le client sont régulières, non dangereuses et qu’elles ne sont pas susceptibles de nuire à des tiers. Mais la règle […] doit néanmoins être pondérée par le devoir […] de déceler les anomalies apparentes ». L’office du prestataire consiste à réagir devant un faisceau d’irrégularités manifestes, non à instruire la convenance économique.

Pour le premier virement, la cour écarte à bon droit l’invocation d’un texte réglementaire propre aux augmentations de capital. Elle retient cependant plusieurs anomalies formelles du bulletin: variations d’orthographe de l’intermédiaire, ponctuation défaillante, mentions imprécises sur une exonération « totale » d’impôt, terminologie inadaptée à l’opération. L’ensemble révèle, selon la cour, un document « affecté d’un certain nombre d’irrégularités formelles qui auraient dû attirer l’attention du PSP ». Cette appréciation concrète, centrée sur la matérialité de l’acte, justifie une substitution de motifs et l’engagement de la responsabilité pour défaut de vigilance.

B. L’absence d’anomalie intellectuelle pour le second virement et la perte de chance

La seconde opération appelle une solution inverse. Aucune pièce contractuelle ne permettait d’identifier la nature exacte de l’engagement, le bénéficiaire final ou des caractéristiques singulières. Surtout, l’historique du compte révèle un volume important d’opérations similaires, pour des montants cumulatifs élevés, excluant l’idée d’une rupture d’usage. La cour en déduit l’absence d’« anomalie intellectuelle » au regard du fonctionnement habituel du compte, écartant ainsi tout manquement de vigilance sur ce volet.

Quant au préjudice, la cour rappelle la mesure de l’indemnisation lorsque la faute tient à un défaut de vigilance préalable à la conclusion: « le manquement du PSP […] engage sa responsabilité mais l’indemnisation du préjudice ne peut intervenir que sur la base de la perte d’une chance de ne pas contracter ». Elle ajoute que « cette perte de chance qui s’analyse traditionnellement en la disparition d’une éventualité favorable ne permet donc pas […] de se voir attribuer l’intégralité des pertes ». L’évaluation à 2 000 euros, en considération d’alertes générales antérieures et de l’expérience spéculative de l’utilisateur, traduit un contrôle de proportion fondé sur l’aléa et la causalité.

Ainsi, l’arrêt articule nettement les deux étages du raisonnement: d’une part, la stricte limitation du régime spécial aux paiements non autorisés; d’autre part, au titre du droit commun, une vigilance ciblée sur les anomalies apparentes, appréciée concrètement et corrélée à une réparation en perte de chance. Cette construction, attentive aux sources européennes et nationales, offre une grille opératoire sobre et suffisamment prédictive pour les litiges analogues.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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