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Par un arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Besançon (chambre sociale) confirme la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur à la suite d’une maladie professionnelle relevant du tableau n° 98. Saisie de moyens principaux tenant à l’inopposabilité de la prise en charge, au caractère professionnel de la pathologie et à l’étendue des préjudices indemnisables, la juridiction d’appel précise les contours de l’office du juge social et affine la mission d’expertise.
Le salarié, embauché comme gardien concierge en 2009, a déclaré en 2015 une lombosciatique par hernie discale L5-S1. La caisse a pris en charge la maladie en 2016 au titre du tableau n° 98. L’état a été consolidé au 30 avril 2019, le taux d’incapacité initialement fixé à 10 % ayant été porté à 23 %, puis à 25 % en 2022. À la suite d’une inaptitude, un licenciement pour impossibilité de reclassement est intervenu en 2019.
Après une tentative de conciliation infructueuse, le pôle social a, en 2024, retenu la faute inexcusable, majoré la rente au maximum et ordonné une expertise. L’employeur a relevé appel, sollicitant l’inopposabilité de la décision de prise en charge et contestant l’origine professionnelle. La caisse a demandé la confirmation des principes indemnitaires admis par le droit positif. Le salarié a sollicité la confirmation du jugement.
La Cour d’appel de Besançon énonce les principes d’imputabilité de la notification au représentant légal de la copropriété, déclare irrecevable la demande d’inopposabilité, admet la contestation du caractère professionnel dans l’office du juge de la faute inexcusable, puis caractérise la faute au regard du défaut de prévention. Elle précise enfin l’étendue des préjudices indemnisables et resserre la mission d’expertise autour des postes admis.
I. L’opposabilité de la prise en charge et le contrôle de l’origine professionnelle
A. L’irrecevabilité de la demande d’inopposabilité dans le cadre de l’action en faute inexcusable
La cour rattache la notification à la personne habilitée à représenter le syndicat des copropriétaires, sur le fondement du décret de 1967. Elle rappelle que « il est rappelé qu’aux termes de l’article 31 alinéa 1 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, le syndic engage et congédie le personnel employé par le syndicat et fixe les conditions de son travail suivant les usages locaux et les textes en vigueur ». Ce mandat légal confère une représentation permanente pour la gestion du personnel, ce qui suffit à imputer la notification.
Le raisonnement est ensuite résolument processuel. La cour souligne, d’une part, la portée limitée d’une absence éventuelle de notification, cantonnée à l’ouverture d’un recours sans délai. D’autre part, elle tranche au fond de l’office du juge de la faute inexcusable par une formule de principe, conforme à la jurisprudence de la deuxième chambre civile: « il ressort d’une jurisprudence constante que si l’employeur peut soutenir, en défense à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, que l’accident, la maladie ou la rechute n’a pas d’origine professionnelle, il n’est pas recevable à contester la décision de prise en charge de l’accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels ». La demande d’inopposabilité est donc déclarée irrecevable, conformément aux arrêts du 8 novembre 2018 et du 9 juillet 2020.
Cette solution est cohérente. Elle protège l’économie du contentieux en dissociant l’opposabilité administrative de la contestation de l’origine professionnelle, recevable comme moyen de défense dans le procès de la faute. Elle évite la reconstitution incidente du contentieux de la prise en charge, dont les voies propres demeurent fermes et distinctes.
B. La persistance d’un débat probatoire utile sur le caractère professionnel
La cour précise immédiatement l’étendue de l’office du juge de la faute inexcusable. Elle énonce que « ainsi qu’il vient d’être dit, l’employeur conserve, dans le cadre de l’action en reconnaissance de sa faute inexcusable, la possibilité de contester le caractère professionnel de la maladie ». Ce rappel maintient l’équilibre des armes dans la phase contentieuse, tout en préservant la stabilité de la décision de prise en charge.
Au fond, l’analyse factuelle est exigeante et concrète. L’enquête de la caisse est jugée probante, en ce qu’elle distingue les tâches accomplies sur les sites, documente la manutention manuelle répétée de charges lourdes, décrit les dénivelés, pentes et distances, et confronte ces éléments au tableau n° 98. L’existence d’un scanner du rachis confirmant la pathologie renforce l’ancrage médical du lien causal. La thèse d’une causalité concurrente tirée d’un second emploi à temps très partiel est écartée, la cour retenant la prédominance de l’exposition sur le site principal.
Le contrôle exercé révèle la méthode attendue: confrontation du tableau aux expositions concrètes, hiérarchisation des facteurs d’efforts, et appréciation d’ensemble du faisceau probatoire. La cour restitue ainsi à la catégorie des atteintes lombaires la rigueur requise par la présomption attachée aux tableaux, sans oblitérer l’exigence d’une exposition habituelle et caractérisée.
II. La caractérisation de la faute inexcusable et l’encadrement des réparations
A. La conscience du danger et l’insuffisance des mesures de prévention
La motivation rappelle d’abord, en des termes constants, la définition de la faute inexcusable. La cour énonce que « le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur revêt le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Elle ajoute que « il est indifférent que la faute inexcusable […] ait été la cause déterminante […] il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire ». Le rappel articule la conscience du danger avec la défaillance préventive concrète.
L’appréciation factuelle retient plusieurs indices concordants. La géographie des lieux impliquait des pentes marquées et des dénivelés. Les contenants à tracter étaient volumineux et lourds, la traction s’effectuait sans assistance mécanique. Surtout, les documents uniques d’évaluation des risques de 2011 et 2012 visaient déjà le risque de troubles musculo-squelettiques, par des termes reproduits par la cour: « Pour la sortie des containers, le salarié utilise un chemin inadapté (chemin en gravier) risque de TMS du aux containers qui ne roule pas » et, en mesures à prévoir, « Etudier la possibilité de crée un chemin goudronner ou bétonner ». Le défaut de production des documents postérieurs et les constatations réalisées en 2016 confortent le constat d’absence de mesures adéquates.
L’articulation de ces indices emporte la conviction. La connaissance du risque résulte des évaluations formalisées, et l’inertie face aux correctifs simples consomme le manquement. Le standard jurisprudentiel issu des arrêts fondateurs sur l’obligation de sécurité est respecté: conscience du danger objectivée et carence dans l’organisation, la formation et les moyens, malgré des marges de prévention accessibles.
B. L’étendue des préjudices indemnisables et la mission d’expertise
Sur l’indemnisation, la cour se place sur le terrain du droit positif actuel. Elle rappelle que « en l’état du droit positif, la victime d’une faute inexcusable de son employeur est en droit d’obtenir l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent, qui dans ce cadre est constitué des douleurs physiques, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence subis après consolidation ». Cette affirmation s’inscrit dans l’évolution récente, qui admet l’autonomie du déficit fonctionnel permanent dans le champ de la faute inexcusable, en sus de la majoration de rente et des préjudices listés.
L’office expertal est ensuite resserré pour prévenir les dérives. La cour précise que « il sera seulement précisé qu’en ce qui concerne le poste assistance d’une tierce personne, seule doit être examinée la période antérieure à la consolidation, et que l’expert missionné n’a pas à dire si la victime subit des préjudices exceptionnels ni si l’état de la victime est susceptible de modifications ». La délimitation exclut les projections aléatoires et reconduit la distinction classique entre le temporaire et le post-consolidation, ce dernier relevant d’autres mécanismes.
Cette calibration présente deux vertus. Elle sécurise la lisibilité des postes indemnisables, en évitant la double réparation, et canalise l’expertise sur des items clairement admis. Elle ménage, en outre, l’articulation avec la majoration de la rente et les prestations en nature, ce qui évite les chevauchements et consolide la prévisibilité des liquidations.
Le dispositif tire les conséquences procédurales de ces orientations. La demande d’inopposabilité est écartée, la faute inexcusable confirmée, la mission d’expertise ajustée, l’avance des frais par la caisse étant rappelée avec recours contre l’employeur. L’allocation au titre de l’article 700 et le renvoi pour la poursuite de l’instance complètent un arrêt qui, tout en s’adossant à une ligne jurisprudentielle ferme, consolide utilement les repères probatoires et indemnitaires en matière de manutention manuelle lourde.