Cour d’appel de Besançon, le 9 septembre 2025, n°24/00781

Rendue par la Cour d’appel de Besançon le 9 septembre 2025, chambre sociale, la décision tranche un litige sur l’origine professionnelle d’un accident et sur la faute inexcusable. La question s’enracine dans une déclaration au registre datée du 26 juin 2018, relative à une douleur au coude droit survenue lors d’un démontage de pièce à la masse, puis dans des constats médicaux initiaux intervenus seulement en septembre.

Deux certificats médicaux initiaux, des 7 et 14 septembre 2018, font état d’atteintes tendineuses et d’une neuropraxie, assorties d’un arrêt de travail prolongé. La caisse a pris en charge l’accident le 29 novembre 2018; consolidation au 5 juillet 2019 avec incapacité de 5%, puis une rechute prise en charge en 2020.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier a jugé, le 2 mai 2024, que l’accident n’avait pas d’origine professionnelle. En appel, le salarié sollicitait la reconnaissance du caractère professionnel et, subsidiairement, la faute inexcusable; l’employeur concluait à la confirmation, tandis que la caisse s’en remettait à justice sur la faute.

La question de droit portait sur l’application de la présomption d’imputabilité au regard de la datation tardive des premières constatations médicales. Elle impliquait aussi de déterminer si, dans une action en faute inexcusable, l’employeur peut encore contester l’origine professionnelle malgré la prise en charge antérieure.

La juridiction d’appel confirme le rejet, après avoir rappelé le cadre légal et probatoire. Elle énonce: « L’accident du travail est défini comme un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail dont il est résulté une lésion corporelle ou psychique, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. » Elle ajoute: « Le salarié bénéficie ainsi d’une présomption d’imputabilité au travail de tout accident survenu aux temps et lieu de travail, à condition que soit établie la matérialité du fait accidentel, c’est-à-dire un événement précis et soudain ayant entraîné l’apparition d’une lésion. » Enfin, elle rappelle: « S’agissant de la preuve d’un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes. » Elle précise encore: « d’une part, que dans le cadre d’une action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, celui-ci peut contester le caractère professionnel de l’accident du travail alors même qu’il n’aurait pas introduit de recours dans le délai de deux mois contre la décision de prise en charge de la [3]. (2e Civ. 2 novembre 2015 n° 13-28.373 – Publié au bulletin) » Appliquant ces principes, la cour écarte la présomption en raison de la tardiveté des constats et de la poursuite du travail sans soins, puis confirme le jugement.

I. Le sens de la décision: présomption d’imputabilité et pouvoir de contestation

A. Le cadre légal et probatoire de l’accident du travail
La définition rappelée commande une double exigence: un fait accidentel daté et une lésion rattachée à ce fait par un lien causal objectivable. La présomption joue aux temps et lieu du travail, mais suppose, en amont, l’établissement de la matérialité de l’événement à date certaine.

La charge probatoire se déploie selon un régime souple, la preuve du fait juridique étant « libre » et ouverte aux présomptions graves, précises et concordantes. La décision souligne cette latitude, tout en la conditionnant à la fiabilité temporelle des éléments médicaux et factuels produits.

B. L’articulation avec l’action en faute inexcusable
La solution retient la possibilité, en faute inexcusable, de contester le caractère professionnel nonobstant une prise en charge antérieure, conforme à la jurisprudence précitée. Le pouvoir de contestation découle de l’objet même de l’instance, qui suppose d’emporter d’abord la qualification d’accident du travail.

La cour estime que des constats médicaux réalisés plus de deux mois après les faits, conjugués à la poursuite d’une activité sans soins, ne suffisent pas à asseoir le lien causal nécessaire. La présomption est donc neutralisée, rendant sans objet l’examen au fond de la faute inexcusable.

II. Valeur et portée: rigueur probatoire et lignes directrices pratiques

A. Une appréciation exigeante de la causalité immédiate
La motivation adopte une ligne stricte sur la nécessité d’une objectivation médicale rapprochée, afin d’ancrer la lésion dans l’événement daté. Cette rigueur est cohérente avec l’exigence d’un « événement précis et soudain », qui ne se concilie pas aisément avec des constats tardifs.

L’approche ménage toutefois la preuve par présomptions, ce qui laisse place à des faisceaux concordants lorsque la datation médicale est décalée. En l’espèce, l’absence de soins immédiats et la reprise du travail ont emporté la conviction inverse, ce qui explique la neutralisation de la présomption.

B. Incidences procédurales et recommandations probatoires
La solution confirme que l’action en faute inexcusable demeure un cadre utile pour débattre de l’origine professionnelle, y compris après prise en charge administrative. Elle invite les praticiens à sécuriser au plus tôt la datation médicale et à documenter la chaîne factuelle sans discontinuité.

Sur le fond, l’arrêt dessine une ligne claire: sans matérialité médicale rapprochée ou présomptions concordantes fortes, la présomption d’imputabilité s’efface. À pratique constante, les employeurs disposent d’un levier de contestation ciblé, et les assurés doivent privilégier des constats précoces, étayés et continus.

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Hassan KOHEN
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